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Dans les égouts de Bamako

      

                                                       Par Rached TRIMECHE

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Bamako. (Janvier 1995) Il est 22 h00. Je suis heureux de m’installer enfin dans ma chambre, au 11ème étage du “Sofitel Amitié” de Bamako, après un voyage de 12 heures, venant de Tunis via Casablanca.

 

L’aimable portier me conseille vivement de ne pas quitter l’hôtel ce soir et de regagner le mélancolique et unique salon du Sofitel pour éviter un chaud “Bamako by night” hors de l’hôtel.

Je repense à la lointaine époque où, jeune reporter, je couvrais la guerre du Viêt-nam et la lutte fratricide laotienne des princes Souvanaphouma et Souvanapnong à Luang Prapang, ancienne capitale impériale du Laos et à mon bref passage, en octobre 1994, en Bosnie Herzégovine et me dis que Bamako n’a, malgré tout, rien de commun avec ces pays en guerre.

Vaille que vaille, je quitte l’hôtel en souriant, traverse un petit parc de 100 mètres de long et suis déjà stoppé par ce spectacle insolite et touchant.

Imaginez, à 22h00, une vingtaine de jeunes de 14 à 16 ans, groupés par trois ou quatre sous les différents lampadaires du jardin de l’hôtel, apprenant par coeur leurs devoirs du lendemain. L’électricité n’a pas de prix et il est vrai que les écoles publiques viennent de rouvrir au Mali après quatre années de fermeture.

 

20 mètres plus loin, je suis déjà sur la grande avenue qui donne sur la grande place “Lumumba”, un peu la Place de l’Etoile à Paris.

A l’angle même de cette avenue Mohamed V, sort de nulle part, un géant filiforme de1,90 mètre qui me propose gentiment :

- “Patron, tu veux infirmière, masseuse discrète ?”.

Un second personnage, un peu plus balafré me propose derechef une pépite d’or de plus de 100 grammes. Je lève les deux mains en l’air pour dire non au premier et au deuxième et voilà qu’un troisième, encore plus grand et plus balafré, jaillit du noir pour me proposer je ne sais plus trop quoi.

Je refuse avec impatience en levant les bras au ciel et en reculant d’un pas sur mon trottoir, en sens contraire de la rue donc vers le mur.

Soudain, c’est le noir, le vrai noir, le noir du noir.

 

Je me retrouve en position sportive de flexion ou de pompe matinale. Le film flash-back est très rapide et pas très précis en cet instant.

La grande surprise est l’eau dans laquelle je baigne en essayant de me dégager par ces mouvements de pompes.

Le mystère reste absolu. Où suis-je ? Que fais-je ?

Où est le vendeur de pépite ? Où est le “manager”de la masseuse discrète?

En me relevant, je constate que je baigne dans 15 cm d’eau boueuse, noire, puante, pestilentielle et mouvante.

En levant la tête, le schéma devient clair, je suis dans un fossé de 2,20 mètres de profondeur et de 1,40 mètre de largeur qui n’est autre que les égouts de Bamako.

Je fus “absent” deux à trois minutes, ou dix ou vingt au pire. Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Ma première réaction est de me tâter. Je suis entier et je bouge sans effort aucun. Pas de fracture apparente, ni d’hémorragie externe évidente.

Un double malheur immédiat. Je ne trouve ni mes lunettes, ni mon passeport.

Comme dit mon père : “à la guerre comme à la guerre !”

Me voilà donc coincé dans les égouts de Bamako, démuni de lunettes pour un myope et de passeport pour un voyageur et sans âme qui vive nulle part.

J’essaye de barboter et de toucher tous les détritus qui m’entourent, à la recherche de mes lunettes et de mon passeport.

 

TCHETCHENIE

 

Sans secours aucun, j’essaye de me remonter le moral et de voir plus clair dans cette obscurité en pensant à plus malheureux que soi.

Ces cancéreux en phase terminale, ces absurdes guerres de Tchétchénie, d’Algérie ou de Bosnie.

Mais je n’arrive pas à croire que c’est uniquement ce matin, que j’ai eu le plaisir de faire un Tunis-Casa en “Classe Privilège” de Tunisair qui n’avait rien à envier aux charmes discrets de Quantas et Lufthansa.

Le problème est ailleurs, je suis bloqué dans les égouts de Bamako et isolé du monde.

Soudain, un jeune de vingt ans, au tee-shirt blanc entend mon appel au secours et se penche sur les égouts.

- “ As-tu des allumettes, du feu, de la lumière ?”

- “ Comprend pas français.”

- “ Je te donne 100 francs français, mais viens m’aider.”

- “ Non, 200 francs.”

- “ 500 et descends de suite !”

Je gagne ainsi un compagnon dans les égouts et lui interdit de bouger de peur qu’il n’écrase mes lunettes non trouvées.

J’étais soulagé d’avoir au moins un ange gardien.

Un deuxième visage s’approche. Un vendeur de cacahuètes peut-être, avec un panier sur la tête et une torche électrique en main.

Le Messie est arrivé. Il me jette sa torche. Au premier jet de lumière, je trouve mes lunettes que j’engouffre soigneusement dans mon costume bleu.

Il me reste ce sacré passeport à trouver et j’appréhende déjà les formalités policières qui m’attendent en Tunisie pour refaire un passeport. Qui va croire à mon histoire d’égouts ?

Cinq mètres plus loin il est là, vert et flottant. Je le happe ainsi que deux petits timbres fiscaux rouges qui flottaient à côté et le range soigneusement dans mon veston.

Etant en rééducation de luxation d’épaule chez le Professeur Zarrouk, à Tunis, le premier essai de me sortir en me tirant est négatif. La douleur est trop forte et on ne peut me tirer à bout de bras.

Le piège se referme, mais la solution est au bout du canal avec le trottoir qui grignote les égouts en formant un V en bout de parcours.

Je demande alors à mes deux sauveurs de se tenir debout à chaque coin de V et à me soulever par les épaules.

Tout cela a duré 10 ou 50 minutes, je ne sais.

Je revois l’image du comédien Pierre Richard que j’ai plagié sans le vouloir et en me présentant ainsi à la réception de l’hôtel en costume cravate, dégoulinant de fine boue noire, demandant mes clés et appelant mon ascenseur.

Aimablement le concierge me lança laconiquement :

- “ T’es bien mouillé paaatron !”

 

 

 

 

14 TIMBRES FLOTTANTS

 

Vingt minutes, debout dans ma baignoire sous la pomme de douche chaude et vivifiante.

Ma joie est de voir ces milliers de grains noirs et nauséabonds quitter mon front, mes joues, ma cravate en soie, mon veston, mon pantalon et mes chaussures.

C’est au tour de mon précieux passeport. Soigneusement et minutieusement j’essais, page par page, d’enlever toute trace de boue et “récolte” surtout les 14 timbres fiscaux (taxe de sortie) décollés, de 45 dinars (ou 45 US $) chacun, qui seront exigés par la police tunisienne pour le renouvellement du passeport.

Le lendemain, courbaturé et couvert de bleus je me dirige vers le gouffre de la veille et remercie rapidement le Bon Dieu en voyant ce que je vois.

Là, à 2,20 mètres de profondeur, de grosses pierres blanches de 30 centimètres de côté s’étalaient un peu partout et ma chute aurait bien pu être fatale.

C’est que le trottoir de cette avenue principale est divisé en deux, sans ligne de démarcation aucune. Une moitié pour les passants et l’autre pour les égouts à ciel ouvert.

 

Il ne me reste plus qu’a trouver un commissariat de police.

Aidé par Samir, un jeune Carthaginois installé au Mali et spécialisé dans le meuble, je suis rapidement reçu par le colonel responsable de la police nationale. Dans des locaux peints en jaune ocre rappelant les bâtisses de l’insolite île sénégalaise de Gorée, Mamadou Macalou me reçoit aimablement. En 30 minutes à peine, nous arrivons à passer par trois services de police et à faire établir un véritable sauf-conduit avec photo et timbres fiscaux me permettant de quitter le territoire malien malgré un passeport en très mauvais état et continuer mon voyage vers Nouadhibou en Mauritanie.

La vie du voyageur continue et mon seul désir est de revenir au Mali pour découvrir un jour le nord de cet immense pays de plus de 1 240 000 Km2 et prendre le temps de pénétrer le pays Dogon

J’attends avec impatience les retrouvailles du jour avec nos amis Cigévistes, Ousmane Ba et Lamine Keïta qui promettent de mettre sur pieds un dynamique club CIGV qui sera un 109ème maillon dans notre chaîne d’Amitié sur la planète bleue.

 

 

                                                                                              Rached TRIMECHE

(JANVIER 1995)

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