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USVI

 

Les vierges américaines

 

Par Rached Trimèche

www.cigv.com

 

 

 

Saint-Thomas.  (mars 1994). Trois boulons rouillés sautent et tressautent. Le quatrième tout au bord de l’aile droite se met également à tressauter. Roland GARROS, à l’époque, a vu pire à bord de son petit avion qui relia Saint-Denis à la ville de Bizerte en Tunisie, mais nous sommes ici à sept heures du matin survolant la mer des Caraïbes entre Saint-Barth et Saint-Thomas à bord d’un minuscule avion dont je suis l’unique passager en compagnie d’un charmant, jeune et flegmatique pilote qui doit être d’une assurance totale ou d’une complète inconscience!

 

C’est que quatre boulons des ailes sont en train de se desserrer! A ma question qui était de savoir pourquoi les îles Vierges américaines, qui sont sous la tutelle de Bill Clinton, gardent-elles encore ce vieux coucou de trente ans aux boulons tressautant, il répondit: “mais enfin, cet avion est archi- amorti et chaque passager est un bénéfice net pour la compagnie! Pourquoi changer d’avion?”

A la paix comme à la paix! La fête ne fait que commencer. Allons aux Vierges américaines!

 

Nous commençons à survoler une île longiligne découpée par deux larges échancrures semblables aux fjords norvégiens. Des dizaines de petits bateaux et voiliers US sont en rade dans ce petit port que nous survolons. Les toits des maisons en tuiles rouges et vertes accrochées aux collines contrastent avec le bleu azur de la mer des Antilles.

Quelle surprise, une vraie, bien réelle et de surcroît asphaltée piste d’atterrissage nous attend. Quelle surprise!

Comme une fleur, la machine atterrit en bout de piste.

Incroyable mais vrai. Pas une âme qui vive, ni policier, ni douanier, ni mécano. Mon 109ème pays est bien curieux!

J’ai encore en tête ces boulons qui tressautent et les conseils du pilote qui me disait de bien tenir cette cordelette qui retenait la porte!

 

Les requins des Caraïbes n’ont pas eu de festin ce matin et nous sommes bien les hôtes de l’Oncle Sam en ce bout du monde antillais.

Comme un marsouin dans l’eau, le pilote glisse dans les dédales de l’aéroport pour s’arrêter pile face à une porte fermée et bordée d’un gros bouton rouge. Il sonne et m’intime l’ordre de me taire et d’attendre. Deux minutes après, c’est moi qui sonne.

Une large pancarte arbore “Emigration and Naturalization Service welcome you to the US”. Les Américains nous souhaitent la bienvenue.

Au diable, voilà une grande et grosse dame noire toute de blanc vêtue ayant perdu son sourire à la dernière guerre mondiale et son amabilité à la nuit des temps qui nous fait un scandale pour avoir sonné deux fois et nous fait lire un texte minuscule accroché sous le bouton rouge disant: “sonnez une fois et attendez.”

Seul le silence est grand pour répondre à cette dame en furie qui découvre son côté policier de service suspectant le passeport et surtout le visa US de l’unique passager en vue.

Elle fait place au douanier qui me demande de déclarer sur l’honneur le contenu de ma sacoche beige.

Toutes ces formalités passées, c’est un autre choc qui nous attend!

 

Une foule hurlante et klaxonnante à la sortie de l’aéroport.

Que de belles limousines et que de grands taxis qui ne cessent de se croiser. En apostrophant la première personne qui me rencontre, un noir d’un mètre quatre vingt dix au tee shirt jaune citron et à la balafre froide et profonde sur la joue gauche, je me vois déjà embarqué sans même le demander dans sa camionnette de service pour descendre vingt minutes plus tard en plein centre ville à Saint-Thomas, la ville principale et non capitale des îles vierges américaines dites USVI.

 

CHARLOTTE-AMALIE

 

Les USVI forment un territoire sous la juridiction du ministre de l’intérieur des Etats-Unis. Trois îles sont le pôle principal d’activité de cet archipel de soixante îlots: Saint-Thomas où nous sommes actuellement, Sainte-Croix et Saint-John situés à l’ouest du proche Porto Rico.

Des 104 000 habitants des USVI, 70% sont noirs et 25% métis.

Ici, à Charlotte-Amalie la capitale de 60 000 habitants, le nom même rappelle l’ancienne occupation française de l’île. Quant à l’habitat, il témoigne encore de l’ancienne appartenance au Danemark par son style nordique.

 

Les USVI découvertes certes par les Espagnols et occupées ensuite par les Anglais passent rapidement sous la couronne danoise jusqu’en 1917.

Les Danois voulaient toujours brader leurs îles aux proches USA mais le prix demandé en 1869, soit 7,5 millions de dollars était trop élevé pour un grand pays qui se remettait à peine de la guerre civile.

C’est finalement en 1917 que les USA achètent cette île pour quatre fois le prix demandé la première fois dans le cadre de leur stratégie pour la défense du canal de Panama.

D’autre part, enfin, le jour déjà cinq fois centenaire où Christophe Colomb aborda ces côtes vierges, il baptisa le premier îlot “Santa Cruz” qui devint Sainte-Croix.

 

Quatre activités économiques font vivre cet archipel:

 

            1) L’île de Sainte-Croix abrite une méga-raffinerie de pétrole qui travaille uniquement pour le marché des USA. 

            2) Clarendon Limited rachète en 1988 la société américaine Martin-    Marietta,une méga-usine qui affine la bauxite avec les aléas de cette matière hélas souvent cancérigène.

            3) Le rhum coule à flots dans les distilleries de canne à sucre.

            4) Le tourisme représente près de 50% du PNB grâce surtout aux magasins hors taxe.

En 1993, près de deux millions de visiteurs sont venus visiter ces îles aussi bien par air que par mer.

C’est ainsi que l’aide américaine ne représente en réalité que 35% du PNB.

Mais le grand patron de Washington sera toujours présent quand il s’agira par exemple de réparer les dégâts de l’ouragan “Hugo” sur Sainte-Croix.

Avec un PNB par habitant et par an de 16 000 $, soit le double de celui de la Grèce, par exemple, les USVI sont classées dans les pays très riches avec un rang de 29ème sur 225 pays.

 

 

 

 

SAINT-THOMAS

 

Les 4x4 japonais rivalisent d’astuce et de vitesse avec les grosses Mercedes et les limousines américaines. Il s’agit de ne point quitter le trottoir d’une seule seconde.

La plaque d’immatriculation des voitures est amusante: sur fond blanc, une lettre et six chiffres forment l’identité de la voiture dans ce pays insulaire. Les lettres sont vertes pour un taxi, noires pour le Gouvernement et rouges pour le commun des mortels.

Tout comme au lointain Canada, ces plaques minéralogiques arborent leur message chauvin. La lettre et les chiffres sont incrustés entre les phrases suivantes: “American Paradise” en haut, et “Virgin Islands” en bas. Et sans bondieuserie aucune, tel minibus présentera à son front cette grosse plaque jaune écrite en rouge et à la gauche d’une croix portant cette inscription: “Jesus is Lord”.

La Main Street de Charlotte Amalie est le coeur battant du pays.

Louis Vuitton, Cartier, Rollex et Longines partageront l’attrait de l’acheteur avec Aïwa, Casio, JVC et Sony par exemple.

Quand l’électronique, la fine porcelaine, les bijoux et les plus belles montres genevoises vous sont proposés à près de 50% du prix d’Andorre ou des Duty Free shops d’Europe, on comprend aisément que près de deux millions de personnes viennent annuellement faire leur shopping à Saint Thomas.

 

Au 32 de cette même Main Street, nous sommes accueillis par notre chaleureux Cigéviste Mulo ALWANI. Dans un magasin sans fin, papillonnent une dizaine de vendeuses à la grâce antillaise et au sourire ravageur autour de dizaines de parures en diamants et de centaines de bagues. Le diamant limpide rivalisera de pureté avec la sombre émeraude, le poétique saphir et le fougueux rubis. Le sertissage des pierres est souvent du nord de l’Italie ou des grandes villes européennes.

Le tout est d’avoir le coeur solide et de savoir attendre avant de se décider.

Dans son bureau-tanière, Mulo dévoile son visage d’homme social où son appartenance au CIGV tout comme au Rotary et à une certaine Loge d’origine anglaise sont évidentes.

 

Au bout de Main Street, en bifurquant à droite vers la mer, on est surpris par tant de palmiers filiformes, de rouges flamboyants et de lauriers blancs.

La poste, le palais de justice, le US Federal Building se côtoient sans se ressembler.

 

LES RICAINS

 

Soudain jaillit de nulle part un homme d’environ un mètre quatre vingt avec un maximum de cinquante kilos. Ses noires tresses poussiéreuses lui arrivent à la taille. Rasta jusqu’aux bouts des ongles avec sa pupille dilatée, il semble planer sur toute la mer des Caraïbes. Il rejoint rapidement un groupe de trois autres Rastas filiformes qui, eux, portent un énorme bonnet de laine de près de cinquante centimètres de diamètre qui cache de telles tignasses que les bonnets semblent bientôt éclater sous ce volume.

Ces cheveux crépus connaissent-ils au moins un shampoing mensuel?

 

Il est vrai que les belles vitrines de Saint Thomas cachent une certaine tragédie. Au dire de mes nouveaux amis de cette île, rare est la nuit qui s’achève sans un cadavre nouveau.

Le problème est simple.

Le niveau de vie de certains est à 100% américain, les milliers de dollars flottent à chaque angle de rue, le pays est fermé à toute personne qui ne présente point de visa US mais il reste les marginaux, les “Ricains” comme ils disent, les Rastas, les autres hispanophones et les Noirs.

Tout ce monde est alléché par ces vitrines et ces dollars et les problèmes sont réglés à coup de machette et de lames de rasoirs sans parler de la drogue dévastatrice.

Tout cela est bien caché et le touriste milliardaire qui se contente de son hôtel cinq étoiles, de ces fabuleux restaurants et de ces magasins de luxe n’en saura rien.

 

LEGISLATIVE HOUSE

 

Quel beau petit jardin aux arbustes et fleurs si délicatement taillés.

La porte ouverte m’aspire presque et je me vois déjà gravissant les marches d’un ancien palais colonial. Au second étage s’arrête mon escalier aérien, je pousse la porte pour me trouver dans un couloir de trois mètres qui aboutit sur une belle porte en chêne de quatre mètres de haut.

La curiosité du journaliste n’a pas de limites et la porte est poussée. Surprise! Me voilà devant Madame le Juge.

Du haut de son pupitre, Mme le Juge, aux trente années à peine voilées et me lance un regard cinglant derrière ses lunettes d’écaille. Que fait donc cet intrus dans cette salle?

Il est vrai que tout respire le tribunal. Du pupitre du juge aux bancs des jurés jusqu’au dernier cercle de sièges offerts au public.

Nous sommes dans un pays démocrate où quinze sénateurs sont attendus ce jour pour légiférer sur un texte de lois locales.

Une certaine TVA de 4% est curieusement répercutée sur chaque transaction de vente d’un seul produit et finit par atteindre le taux de 12% ou même de 20% sur le dos du consommateur. Les sénateurs doivent légiférer et faire en sorte que la taxe de 4% garde sa taille à l’arrivée au consommateur.

L’autre problème réel qu’affronteront les sénateurs face à cette TVA est le déficit de quarante millions de dollars du budget de l’année passée.

John, rédacteur en chef du journal local, me prend en sympathie dans cette salle de la “Legislative House” et me présente à l’assistance laborieuse. Voilà tout ce monde qui se met à présenter Saint Thomas au reporter qui vient de loin.

A ma question quelle différence réelle existe-il entre les USA et Saint Thomas sur le plan social et juridique, on n’hésite pas à me répondre “Nous, en entrant aux USA avec un passeport pourtant américanisé, on est obligé de passer les formalités douanières contrairement aux vrais citoyens américains. Nous n’avons pas voté pour Bill Clinton, pourtant les dernières élections d’Octobre 1993 on nous proposait de voter pour le choix suivant:

            1- Un Territoire US

            2- Un Etat US

            3- Un Pays indépendant

Seuls 10% ont voté pour un Etat Indépendant. Mais du fait que la majorité de nos habitants n’a pas voté, on a annulé ce vote.”

Hodge Derek, le candidat Gouverneur vous dira que tout cela reflète notre angoisse de quitter un jour la coupe américaine. Nous sommes Américains avec un Gouvernement assez autonome similaire à Puerto Rico qui vient quant à lui de voter son refus de devenir un Etat fédéré aux USA.

 

PLACE DU MARCHE

 

Une fanfare soudaine claironne en bout de rue.

­Petit à petit, le vacarme s’amplifie et me voici face à un gigantesque kiosque à musique où une vingtaine de personnes en tenue tyrolienne s’essoufflent entre trompettes, clairons et cymbales. Une foule de près de deux cents personnes est assise à même la terre dans ce joyeux pays au printemps perpétuel. Il s’agit d’une simple fête folklorique.

Un peu plus loin, une véritable brocante d’une cinquantaine d’étals vous propose des objets d’art et surtout des rollex qui paraît-il sont les mieux imitées au monde pour cent dollars à peine au lieu de deux ou quatre mille.

Cette insolite petite baraque multicolore semble faire recette et fortune sans rollex aucune. Comment arrive t-il donc à faire remuer ces cent vingt kilos sans casser la baraque? C’est avec le sourire que ce vendeur de jus de mangue, d’ananas et de papaye vous propose un véritable lait de poule pour cinq dollars.

Mon séjour s’achève bien vite aux Vierges Américaines.

 

La salle d’attente C de l’aéroport est presque vide, je lie rapidement connaissance avec cette jeune rousse aux cheveux coupés en brosse, au jean délavé et aux baskets bien lacés. Mme le Capitaine décline son identité et me parle avec fougue du Général Powells, du Président Bush et de son “Desert Storm”, sa guerre du golfe. Pendant six mois, ce bout de femme a conquis le désert d’Arabie aux côtés de l’état major. Elle affirme derechef que 18% de l’effectif de l’armée américaine est composée de femmes qui adorent leur métier. Oui, dit-elle la guerre du golfe est bien terminée mais qu’y a t-il de changé en Irak?

Son laïus est interrompu par le vacarme d’un gros hanneton vert bouteille aux hélices tourbillonnantes? L’avion de Madame le Capitaine arrive pour l’emporter à Sainte Croix où le Capitaine est basée à la tête de son équipe. Elle devra inspecter la base ce soir même avant de rejoindre son QG à Washington DC et quitter ce paradis antillais des USVI.

 

 

                                                                                  Rached Trimèche

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