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UMA HORA DE VERDADE

Escapade en Angola

 

 

 

Par Rached TRIMECHE

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Luanda. (Novembre 1997). L'Afrique reste un continent riche en surprises et difficultés de toutes sortes. L'Angola mon 25ème pays visité en Afrique sera fidèle à la coutume et nous procurera d'innombrables aventures.

Les millions de bombes antipersonnel, le pétrole, le diamant, l'or, l'U.N.I.T.A, le M.P.L.A et près de quatre siècles de possession portugaise sont les seuls clichés que j'avais en tête. Débarquement à Luanda, après neuf heures de voyage, dans un avion privé en provenance de Tunis.

 

A première vue, tout paraît normal. Notre escale technique de Douala au Cameroun s'est bien passée et ce nouvel aéroport de Luanda a l'air sympathique. En quittant notre avion, nous sommes envahis à la gorge par une lumière éclatante et étouffés par une chaleur moite et subéquatoriale.

Des policiers filiformes, vêtus de bleu et de noir, nous glissent fermement et silencieusement à chacun une feuille bleue à la main et nous poussent avec fermeté dans un bus vétuste afin de rejoindre l'aérogare. Cette première impression est plutôt positive. De la chaleur en plein mois de novembre et déjà des fiches de police à remplir dans le bus, pour pouvoir quitter rapidement l'aéroport et rejoindre ainsi nos hôtels en fin

d'après-midi après toute une journée de voyage.

Cela n'était qu'une impression. Trois policiers en civil décrètent qu'il faut rassembler  les passeports de la centaine de voyageurs (invités du pays) pour leur délivrer un inattendu visa d'entrée. Une montagne de passeports verts trône sur le bureau du commandant de police. Il crie à tue-tête qu'il faut préparer 70 US $ par personne et venir rapidement chercher son passeport. Soixante minutes plus tard, une dizaine de policiers n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la façon de délivrer ce visa d'entrée et décident de redonner à chacun son passeport.

On nous demande donc de nous mettre en cinq colonnes derrière une "red line", ou ligne rouge marquée au sol, face au guichet des policiers qui vont arriver. Trente minutes d'attente ne changent rien au programme et les guichets des policiers restent vides. Les agents  ne se manifestent pas.

Le chef de police décide d'adopter une nouvelle stratégie face aux voyageurs fatigués, irrités et énervés. Il décide de récupérer tous les passeports sur son bureau et d'enregistrer chacun, sur un gros livre blanc. Ce nouveau manège dure une heure.

 

ARRIVÉE HOULEUSE

Les joueurs de l'Espérance Sportive de Tunis, leur staff technique et les 101 supporters perdent leur patience et leur latin. La partie se complique, car le chef ne trouve pas le moyen de "récolter ses dollars" après avoir apposé son visa sur tous les passeports. Il essaye en portugais et en zoulou peut-être, d'articuler les noms des passagers pour les appeler. Peine perdue. Nous sommes à la troisième heure d'attente, quand survient une troisième nouvelle : des hommes d'affaires brésiliens sont arrivés à Luanda depuis 48 heures. Tous les hôtels sont pleins à craquer. Seuls les joueurs et leur staff technique ont une chambre de réservée et réellement disponible. Toutes les autres réservations ont sauté.

Comment gérer la crise ? A la guerre comme à la guerre, nous sommes pressés, allons lentement.

Je me fais l'interprète du groupe pour demander en portugais au policier en chef d'accepter mes services. Je lui demande dix passeports contre 700 $ sonnants et trébuchants et je pensais en finir ainsi au bout de 13 transactions. Mais l'Afrique a son charme. Sur les dix passeports à remettre, deux récipiendaires n'avaient que des francs français non acceptés dans ce pays. Finalement, coups de gueule et coups de nerfs arrosés de sourires jaunes nous éjectent par petits groupes hors de l'aéroport.

 

Aucun bus, aucun taxi et 3 000 badauds. Tel est le menu du soir. Avec trois camarades voyageurs, nous faisons de l'auto-stop, payant finalement 30 $ la course, qui en réalité ne coûtait que 20 000 kwanzas, soit un seul dixième de dollar US.

Et le prévu arriva : le deuxième, le cinquième tout comme le sixième hôtel refusent de nous loger, faute de place. Au septième hôtel, nous changeons de stratégie, en formulant autrement notre question :

"Quel genre de chambres disponibles avez-vous ?".

La réponse ne tarde pas :"Mais bien sûr, les deux dernières suites sont pour vous Messieurs, à 150 $ la suite. Toutes les doubles sont hélas occupées".

La lueur d'une lumière. L'ombre d'une solution. Je demande à visiter les suites et dans la foulée, une double. Sans réfléchir, le réceptionniste nous tend 4 clefs pour aller visiter deux suites et deux doubles. Le décor vaut le détour. Imaginez, sur la presqu'île de Luanda, dite "isla da Luanda", un splendide palace appelé Panorama. Un cinq étoiles dont toutes les chambres donnent à l'ouest et à l'est sur la mer. La largeur des escaliers est de 4 mètres et les ascenseurs ont arrêté de fonctionner depuis dix ans. En vingt ans, les cinq étoiles de l'établissement ont perdu quatre soeurs en route.

Finalement, tout est bien qui finit bien. La chambre double est plus sympathique que la suite. Elle a de surcroît un vieux téléviseur qui ronronne et elle ne coûte que 68 $.

 

A peine installés, nous sortons découvrir à pied ce quartier peu illuminé, où des dizaines de personnes campent par terre face à leur case, à même le sol. L'électricité est absente et des  lanternes métalliques concurrencent l'éclat de la pleine lune africaine.

A minuit, sur le bord de la route, un gros bus vert et blanc nous double en bord de plage et s'arrête brutalement. Les portes s'ouvrent tout aussi brutalement et une vingtaine de Tunisiens fatigués et énervés s'en échappent tout aussi brusquement. Ils demandent tout simplement secours et conseil pour trouver une chambre d'hôtel. Les deux dernières suites de notre hôtel Panorama sont alors prises d'assaut. Quant au dernier des passagers, comme celui des Mohicans, il trouva à 2 heures du matin un semblant de chambre à l'hôtel Méridien, à 195 $ US  la nuit.

 

HISTOIRE

Quel est donc ce curieux et lointain pays d'Afrique si difficile à aborder?

Sur 1 246 700 km2 (le 7ème plus vaste pays d'Afrique) vivent 11 300 000 Angolais, sur une superficie supérieure à celle de la France et de l'Espagne réunies.

Recouvert à 43% par la forêt, l'Angola est frontalier à la Zambie à l'est, à l'ex-Zaïre au nord et à la Namibie au sud, tout en gardant dans sa forme rectangulaire une large côte sur l'océan Atlantique.

Les Ovimbundus, les Umbundus et les Kongos représentent 70% de la population angolaise et parlent aussi bien le portugais que les dialectes dérivant du banto. 45% des Angolais sont animistes et tout autant sont catholiques.

Au XIIIème siècle, l'Angola était le Royaume de Kongo, avec Mbanza comme capitale , qui deviendra São Salvador. En 1484, deux ans après la découverte du pays par le Portugais Diogo Cao, cette région devient province portugaise. Un comptoir prend pieds et forme pour devenir au siècle suivant un centre de traite des esclaves.

En 1641, les Hollandais suivis des Brésiliens tentent de s'emparer de ce territoire. Soixante ans plus tard, le clergé portugais impose Pedro IV roi de ce royaume et ordonne de brûler sa farouche et belle épouse Béatriz.

Plus de quatre siècles plus tard, en mars 1975, l'Angola acquiert son indépendance et devient une république. A ce jour, la guerre entre le F.N.L.A., le M.P.L.A. et l'U.N.I.T.A aura fait près de 100 000 morts et plus d'un million et demi de déplacés.

 

L'Angola quitte la coupe portugaise qui peu à peu perd toutes ses colonies. Le Brésil (en 1822), Goa (en 1962), la Guinée Bissau (en 1974), le Cap Vert (en 1975), le Mozambique (en 1975), São Tomé et Principe (en 1975) et l'Angola (en 1975).

Il est vrai que le Portugal garde en son sein les archipels des Açores et de Madère et qu'il a finalement restitué la contestée île de Timor à l'Indonésie. Reste enfin Macao qui suivra, silencieusement cette fois, les traces de Hong Kong pour être restituée à la Chine le 20 décembre 1999.

Reste que Timor est une vraie pomme de discorde. Au sud de l'Indonésie, cette grande île de près de 34 000 km2 portugaise depuis 1586 fut partagée en Ouest à la Hollande et en Est au Portugal jusqu'en 1975. Timor, dite "Tim-Tim", porte aujourd'hui le nom de Loro Sae et garde jalousement son trésor, le prix Nobel de la Paix 1996, José Ramos-Horta). Je pense avec nostalgie à la voisine île de Flores où j'ai découvert les célèbres komodos, quatre jours après le crash de mon avion à Darwin, au nord de l'Australie.

 

Le 10 janvier 1989 est décrété jour férié pour fêter le départ des 50 000 premiers soldats cubains, après 13 années de présence.

La guerre civile angolaise qui dure depuis la fin de la domination portugaise en 1975 oppose le M.P.L.A., parti  au pouvoir soutenu principalement par l'URSS et Cuba, à l'U.N.I.T.A., soutenue surtout par l'Afrique du Sud et les Etats-Unis.

Le 31 mai 1991, un accord de paix est solennellement signé à Lisbonne, entre le président Dos Santos et le chef de l'U.N.I.T.A. Jonas Savimbi, en présence de James Baker secrétaire d'État américain, d'Alexandre Bessmertnykh ministre soviétique des Affaires Étrangères, de Javier Pérez de Cuellar Secrétaire Général des Nations Unies et de Yoweri Museveni président de l'O.U.A. L'accord prévoit l'instauration d'un cessez-le-feu, la fusion des troupes belligérantes en une seule armée nationale et l'organisation d'élections pluralistes.

Le 19 mai 1993, le président américain Bill Clinton annonce la reconnaissance par les États-Unis du gouvernement angolais dirigé par le M.P.L.A.

A la mi-1996, les accords entre le président marxiste reconverti et le rebelle Savimbi prennent corps. La lutte fratricide semble cesser.

 

IVOIRE ET MOTOCROSS

Marco Polo, notre nouvel ami et guide improvisé, se veut tantôt agent secret, tantôt membre du gouvernement ou encore chef de police spéciale. Sa blanche 4x4 coûte bien    70 000 $, soit près de 1 000 mois de salaire au SMIC angolais. Ses trois autres petites voitures sont sagement parquées face à sa maison qu'il nous fait découvrir aux aurores naissantes.

C'est une place de terre battue, de 100 mètres sur 50, traversée d'eau ruisselante et de boue en tous genres. La terre minérale vire du rouge au jaune en passant par le saumon. Au troisième étage de cet immeuble, une jeune dame bien en chair s'agrippe à un fer forgé à moitié rouillé. L'épouse de notre guide lui demande à haute voix de prendre avec nous ses deux jeunes enfants de 4 et 5 ans.

 

Notre escapade commence par une ballade à travers Luanda. Quatre cents ans de colonisation portugaise ont laissé d'innombrables et imposants édifices encore intacts de l'extérieur. De beaux palmiers centenaires et altiers longent les quais et donnent tant d'attrait à cette capitale qui se pare d'un zeste de Nice et d'un parfum du Caire vu la nuit.

 

Nous continuons à rouler tranquillement dans notre superbe 4x4, vers le village de Benfica, quand un bruit assourdissant venant de nulle part et de partout nous somme de stopper. Imaginez, dans cet Angola pauvre, misérable et encore en guerre civile, une attraction inattendue : deux oiseaux fous, perchés sur deux japonaises volantes, survolent des dunes de sable de six mètres de haut. Les motos crachotent, pétaradent et ronflent à souhait, guidées par leur jeune toréador de 16 ans. Le spectacle est magique et l'insouciance grandiose. Près de 400 enfants, torse nu, acclament à tue-tête les héros du jour, qui du Texas connaissent toute la magie.

 

En fin de journée, c'est la découverte du marché de Benfica. Près de 200 étals forment un véritable souk. Je n'ai jamais vu de ma vie de voyageur autant d'ivoire exposé de la sorte. Et du vrai. La statuette, la statue, le buste, le crocodile, la corne ciselée, les corps de femme voluptueux et toutes sortes de bracelets et de colliers jonchent ces étals à des prix coriaces. Ici, un seul billet de 100 $ sera considéré comme petite monnaie. Mais l'ivoire défendu et prohibé se vend par dizaines et par centaines de pièces au vu et au su de tous. Les deux grands hôtels du pays n'ont-ils pas leur propre magasin d'ivoire ?

Qui songe aux 22 mois de gestation de l'éléphante qui met bas un seul éléphanteau tous les quatre ans ? Ce mastodonte prendra à ce rythme bien vite hélas le chemin d'extinction du mammouth à la toison dorée.

 

A quarante minutes de voiture de Luanda, nous arrivons aux villages de Benfica puis de Futungo. Plus loin encore, au bas d'une côte, une large et souriante mer bleue s'étale à nos pieds.

Le marchandage est rapide : un million de kwanzas (un seul billet de banque avec 6 zéros) par personne (environ 4 $ US) pour traverser un bras de mer d'un kilomètre dans une vieille barque rouge et plate. Torse nu, grosses chaussures Dockside, chaussettes rouges et jeans râpés, notre jeune pilote de 17 ans, musclé et souriant, prend en main le gouvernail. Son copilote, qui subit les affres économiques de l'Angola en manque d'essence (second producteur d'Afrique !) s'agenouille face à un vieux et gros bidon rouge de 30 litres, au pied du moteur de la barque. Une savante tubulure, scotchée de partout, relie le bidon nourricier au moteur fatigué.

La traversée est splendide et la découverte de l'île de Mussulo est subjuguante. Imaginez un bout des Seychelles, aux innombrables cocotiers filiformes qui bordent une plage de sable fin pour vous accueillir avec grâce et magie. L'air est vivifiant et les oiseaux nombreux nous font escorte, battant la mesure d'une musique exotique et mélodieuse.

La mer devient un lagon, le sable de la soie, le bruit du silence une mélodie et la cime des cocotiers une invitation au voyage.

Au bout de trente minutes de marche, à 38° C à l'ombre, nous quittons à regret cette cocoteraie pour reprendre notre impériale barque rouge. De sa mansarde en béton (ancienne  résidence secondaire du chef de l'État) un policier assoupi nous regarde d'un léger frémissement de paupières. La sieste est sacrée.

Notre capitaine est en train de vider l'eau prise dans sa barque. En vingt minutes, nous abordons un nouvel Éden. Un jeune couple souriant émerge de l'eau en nous souhaitant la bienvenue avec rires et gesticulations. Peter est blond, Maria est noire. La belle Angolaise est mariée au Suédois depuis 16 ans. L'athlétique  pétrolier nordique vit une lune de miel prolongée avec ce charmant et souriant sosie de Naomi Campbell.

Nous voilà pris rapidement dans le tourbillon de ce couple avec qui nous trinquons une fraîche bière portugaise. Le déjeuner est au poisson et le dessert à la noix de coco. Nos maillots sont déjà secs et l'heure du départ approche. Tout paradis terrestre a hélas une porte de sortie. Notre pilote aux grosses chaussures noires jalousement lacées avance dans l'eau pour approcher sa barque de la rive.

Soudain, un spectacle hallucinant nous fige sur place. Imaginez des milliers de curieuses souris grises de 10 cm de long et au ventre bombé, jetées sur le rivage. Vues de près, ces souris ne sont pas des souris mais bien des poissons. Des hybrides entre des piranhas et des bébés requins qui échouent curieusement dans ces lieux. A un âge si tendre. Une algue, un gaz que sais-je ? C'est que la bête devenue adulte sera féroce et plus d'un nageur lui aura  laissé en pâture un bras ou une jambe. Dire que je venais de nager seul 30 minutes dans cette eau...

 

FLICS A MINUIT

 

Il est minuit. L'heure des braves. Il nous est formellement déconseillé de longer à pied les quatre kilomètres de côte qui nous séparent du centre ville de Luanda.

Le voyageur n'ayant d'acquis que le cri du coeur et l'instinct, se lance à l'aventure bercé par les reflets de la pleine lune. La nuit est si belle et cette pseudo-promenade des Anglais croule sous un charme tropical. De temps à autre, quelques réfugiés Congolais de Kinshasa en blouson de cuir lancent leur bouteille de bière vide sur la tête de Namibiens ou de Congolais de Brazzaville.

Je crois rêver le Bronx de mes vingt ans, où j'étais pris au piège d'hirsutes compagnons de nuit. L'instinct de vie fut le plus fort...

Le voyageur n'est-il pas finalement le résultat de toutes ses rencontres durant sa vie?

Soudain, apparaissent en milieu de chaussée deux frêles et noirs policiers, tout de vert vêtus. Ils arrêtent les conducteurs de nuit avec qui la conversation semble plutôt amicale. Voyant ces deux touristes égarés, les policiers lâchent leur proie pour une autre. Nos papiers sont déjà dans leur poche et dans leurs paumes atterrissent nos sous. La blague change de goût quand ils commencent à compter à haute voix le nombre de billets de banque de chacun. Dix, vingt, trente minutes déjà. Le manège continue et les décomptes du compte sont un faux compte.

Le choix est simple : passer le reste de la nuit à la centrale de police, ou se délester d'une partie de notre avoir. Finalement, c'est une simple carte consulaire qui effraye nos hôtes, qui relâchent enfin leurs deux proies nocturnes.

 

Les nuits se suivent mais ne se ressemblent pas à Luanda.

Un autre soir, à l'entrée d'une salle de fête, sans trop comprendre ni réfléchir, emportés par la foule, nous voici somptueusement accueillis à la porte d'entrée. Les belles voitures C.D., Unicef et F.A.O. déversent des créatures de rêve perchées sur leur 1m80, drapées dans de longues robes blanches ou noires, fendues à la taille. Curieux Angola qui fête son vendredi culturel en musique.

Aux quatre coins de la salle, des bars vous offrent généreusement du vin blanc d'Afrique du Sud, frappé à souhait, de la bière portugaise légèrement mousseuse et toutes sortes d'alcools, sans parler du petit bar noir qui vous offre à profusion du Johnny Walker étiquette noire. Des serveuses en tablier bleu ne laisseront jamais votre assiette vide et la décoreront rapidement d'agapes et de victuailles de toutes sortes.

La musique est "hot" mais la salle est encore calme. Peu à peu une belle et grande Brésilienne, brune aux yeux vert émeraude, commence un voluptueux solo sur la piste. De jeunes téméraires  en costume et cravate lui emboîtent le pas. La salle se mue en véritable corrida.

 

LE STADE

Cet après-midi c'est enfin le stade qui nous accueille.

C'est au Burkina Faso, en 1994, que j'ai assisté pour la première fois de ma vie à un match de football dans un stade. Me voici aujourd'hui pris d'assaut par une vague humaine pour assister, trois ans plus tard, à mon cinquième match déjà.

Le stade national de Luanda "Estadio da cidadela" est un imposant héritage des architectes russes. L'équipe de Petro Atletico attend de pied ferme l'Espérance Sportive de Tunis, qu'elle vaincra 1 à 0 aujourd'hui en match aller. La finale de coupe d'Afrique se jouera 15 jours plus tard en retour à Tunis et sera gagnée par l'E.S.T. Un beau match avec des finalistes qui se sont donnés corps et âme.

A la mi-temps, un Angolais souriant me fait signe de la tribune d'honneur et engage un sympathique dialogue en portugais. Au bout de deux minutes, la grille qui nous sépare m'est ouverte et le champagne coule à flots. Les entremets, beignets de crevette et gourmandises de toutes sortes seront ce que j'ai mangé de plus délicieux en Angola. Ici, on ne badine pas avec le football et on fait honneur aux responsables sportifs angolais. De partout, une chanson improvisée court à travers la bouche des hôtes de marque : "Uma hora de verdade, e viva o Angola". Les Angolais souhaitaient marquer 3 buts à 0, pour maximiser leur chance au match retour.

 

POLITIQUE

Essayons de pénétrer les méandres de la politique et de l'économie angolaises.

Le 27 septembre 1992, les troupes rebelles de l'Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola (U.N.I.T.A.) de Jonas Savimbi (ancien étudiant de Lausanne) et les forces régulières du Mouvement pour la Libération de l'Angola (M.P.L.A.) du président José Eduardo Dos Santos sont formellement dissoutes, pour être fondues au sein des nouvelles Forces Armées Angolaises (F.A.A.) en application des accords de paix du 31 mai 1991.

Les 29 et 30 septembre, les Angolais participent aux premières élections générales multipartites depuis l'indépendance de leur pays en 1975. A l'annonce des premiers résultats favorables au M.P.L.A., Jonas Savimbi dénonce les fraudes et annonce le retrait de ses officiers des F.A.A. Les affrontements reprennent. Ils cessent le 3 octobre, avec une U.N.I.T.A. décapitée suite à des combats qui ont fait plusieurs milliers de morts. Elle contrôle toutefois les deux tiers du territoire national. Un cessez-le-feu est conclu avec le gouvernement le 26 novembre 1994.

Le 9 décembre, l'U.N.I.T.A. accepte les cinq portefeuilles proposés par Marcolino Moco.

Enfin, en 1997, un gouvernement d'unité et de réconciliation est formé autour du Président José Eduardo Dos Santos.

 

ÉCONOMIE

L'enclave de Cabinda, cible favorite des commandos de l'U.N.I.T.A, à l'estuaire du fleuve Zaïre, regorge de pétrole. La production dépasse 32 millions de tonnes de pétrole par an, classant ainsi l'Angola au 22ème rang mondial et au 2ème africain.

La production de diamants, estimée à 1 200 000 carats par an, est principalement vendue par des circuits parallèles. L'État qui tire 45% de son PNB (Produit National Brut) du pétrole, espère gagner 52 autres pour cent par le diamant et signe un accord commercial avec la firme De Beers.

Le café, le sisal, le poisson, le bois et le coton sont autant de produits d'exportation de l'Angola. Avec un PNB de près de 980 $ par tête et par an (soit le triple du Togo), l'Angola se classe 155ème sur 226 pays.

Le taux de croissance démographique est hélas voisin de 4% et demeure le premier frein au bien-être. La population du pays double tous les 25 ans. L'espérance de vie n'est que de 45 ans pour les hommes et de 48 ans pour les femmes. Le taux de mortalité infantile de 137 pour 1 000 est aussi catastrophique que les 41% d'analphabètes.

Le manioc, avec près d'un million de tonnes de production, est la principale culture de l'Angola. La racine du manioc ou cassave est comestible et féculente. Ces racines servent à la fabrication du tapioca et du pain.

Le 22 septembre 1990, la monnaie nationale est remplacée par un "nouveau kwanza", d'une valeur inférieure de 50% à celle de l'ancien.

Ce nouveau kwanza dévalué en 1996 ne représente plus aujourd'hui que 250 000 unités pour un seul dollar.

En 1993, les pénuries affectent, avec une égale gravité, les territoires contrôlés par l'un et l'autre camp. Selon l'ONU, 1 000 personnes meurent chaque jour des suites de la guerre et de la famine. L'hyperinflation s'aggrave après la tentative de stabilisation du ministre des Finances qui voulait convertir le régime marxiste de Luanda à l'économie de marché. La compagnie américaine Chevron, principal opérateur en Angola, investit pourtant à tour de bras, tout comme Elf la concurrente.

 

MINES ANTIPERSONNEL

Lady Di, à la fin de sa si courte vie, était en 1997 en Angola. La princesse des coeurs voulait sensibiliser l'opinion mondiale sur la gravité de ces millions de mines antipersonnel terrées dans le sol de notre planète tuant ou mutilant 22 personnes par minute, soit 20 000 personnes par an. D'innombrables producteurs continuent à semer la mort ou l'infirmité en vendant une mine au prix d'un simple repas.

Il faudrait plus d'un siècle pour déminer les 120 millions de mines antipersonnel actuellement enfouies dans le sol de 68 pays. La frontière des deux Corées, la Bosnie-Herzégovine, le Kampuchea et l'Angola forment le peloton de tête de ces 68 pays en guerre latente.

Le sommet du 4 décembre 1997 à Ottawa a réuni 125 pays et 121 d'entre eux ont entériné l'accord canadien. Il sera ainsi interdit de produire, de vendre et de stocker des mines antipersonnel. Les U.S.A., la Chine et la Russie ne se décident toujours pas à parapher cet accord. Cinq pays d'Afrique et la majorité des pays du Moyen Orient, de l'Europe et de  l'Amérique latine refusent également. Israèl rejette catégoriquement cet accord, bien que 101 Palestiniens aient été victimes de ces mines, dont 71 enfants et 28 tués.

En Bosnie, on recense 1 000 victimes en deux ans, dont 223 tués. Les unijambistes ne se comptent plus en Corée, au Kampuchea ou en Angola par exemple.

La co-lauréate du prix Nobel de la Paix 1997, Jody Williams, de l'organisation qui fait campagne pour l'élimination de ces mines, fut accueillie en héroïne à ce sommet d'Ottawa.

Sous les feux de la rampe, l'Angola prend conscience du problème et pense à de meilleures solutions entre les deux fractions soeurs ennemies.

 

DEPART ROCAMBOLESQUE

Il est 20 heures et notre groupe au grand complet est déjà à l'aéroport de Luanda. Notre avion privé nous attend et nous sommes les seuls passagers de l'aéroport.

Soudain surgit du fond du couloir un responsable en civil avec un téléphone portable en main qui demande à parler au chef de notre groupe :

- "Désolé, mais vous ne pouvez pas partir, car nous avons oublié de vous faire passer les formalités douanières".

Notre avion est pourtant là, sous notre nez, à 40 mètres de cette porte vitrée. Tout est prêt, mais il faut quitter cette salle d'embarquement pour repasser du côté de l'enregistrement.

Imaginez le tohu-bohu d'une centaine de passagers énervés, agacés et pressés qui essaient de fourrer et d'incruster rapidement leur gros bagage à main dans une vieille machine dite scanner.

Le premier passe, le second aussi et le troisième trépasse. Fier de sa découverte, l'honorable douanier à la fine moustache bien taillée et au regard rouge sang ouvre avec fracas le cabas du voyageur.

Quelle joie ! Deux statuettes d'ivoire apparaissent soudain. Au bout de deux heures de fouille, une dizaine d'objets d'ivoire sont rapidement dirigés vers le douanier en chef avec les passeports des fauteurs. Aucun argument n'est accepté, ni achat légal ni équipe sportive. Nos dollars sont refusés et notre patience reste notre seul atout.

Voilà que la providence fait pointer à l'horizon un célèbre cinéaste angolais qui fut un jour lauréat du festival de Carthage...

Les fouilles terminées, notre ivoire et nos passeports restitués, nous nous apprêtons enfin à embarquer dans notre avion quand arrive soudain un nouveau responsable, toujours en civil, qui nous dit :

-"Vous avez oublié de payer votre taxe de sortie".

Une nouvelle heure de perdue pour expliquer au sieur policier que les 70 $ US payés par chacun à l'arrivée couvraient aussi bien les frais de visa que cette taxe de sortie.

Tout cela me rappelle mes péripéties de sortie au Nigeria, avec la même équipe sportive. Mais nous n'étions que six supporters.

Notre Angolais, inspecteur principal, accepte mais trouve une nouvelle astuce pour soutirer quelque chose à ces voyageurs venus de loin.

Une nouvelle taxe d'aérogare est à payer, alors que la tour de contrôle nous avait déjà autorisés à partir. Une nouvelle heure de palabres (l'arbre des palabres est bien africain) s'engage vainement. Notre chef de groupe met fin à tout ce remue-ménage, honore la facture inventée et nous quittons enfin l'Angola.

 

                                                                                                                                                                                                                   R.T

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