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C H Y P R E  L’île d’Amour

 

 

 

 

 

Par Rached Trimèche

www.cigv.com

 

 

 

 

LARNAKA (Décembre 1992). Bercé par ces vers d’Euripides (Les Bacchanales), Skander, jeune homme de 14 ans, s’accroche au hublot de son avion qui après 2 heures de vol s’apprête à atterrir sur l’île de Chypre aux couleurs chatoyantes.

 

“Oh ! Poser mon pied sur l’île d’Aphrodite,

à Chypre, fréquentée par les Amours, qui

enchantent. Vivre brièvement avec douceur.”

 

Le petit avion anglais Bac 1-11 de la Cyprus Airways déverse dans un petit aéroport perlé d’hibiscus, de lauriers et de hauts peupliers ses 52 passagers embarqués à Rome.

La police et la douane sont aussi méticuleuses l’une que l’autre. la police par exemple veillera à ce que votre passeport ne comporte aucune trace de cachet du territoire nord-chypriote conquis par les Turcs, tout en vérifiant la validité de votre visa d’entrée.

Au parking de l’aéroport, le ton est donné par la beauté éclatante de ce parc automobile germano-japonais où le volant est bien à droite. Nous sommes bien en ancien territoire britannique.

Keriakis, notre ami à la veste écossaise, à la moustache finement taillée et au port très “british”, nous fait traverser la ville sans cacher sa fierté de Chypriote face à cette belle autoroute et à ces luxueux édifices qui la bordent.

L’accueil à l’hôtel Princess, à l’orée de la ville de Larnaka est très chaleureux. Un gigantesque Père Noèl tout de rouge vêtu surplombe toute une crèche en papier mâché qui reflète la chaude ambiance de la Natalité.

Skander demande et obtient auprès de la réception une chambre avec vue sur mer. Quelle surprise de trouver en ce bout du monde, dans ce simple hôtel, une chambre d’un raffinement sans pareil. La rose moquette, le téléviseur câblé, la climatisation et l’agréable salle de bain n’ont rien à envier à cet ingénieux interrupteur général qui ne fonctionnera qu’en déposant votre clé dans la fente murale indiquée.

 

 

Nous voici quelques heures plus tard, déambulant dans les rues nocturnes de Larnaka. Cette fin de journée, cette végétation en pénombre, ces odeurs flottantes et ces bruits feutrés de notre île, loin du rush touristique, font de Chypre au mois de décembre une île mystique. En effet, un zeste de Californie mélangé à un parfum d’Orient, à un atavisme grec, à un semblant de Malte, à une quiétude de vieille Angleterre et à un petit air méditerranéen, forment le charme particulier de cette île.

 

NICOSIE

 

En moins d’une heure, l’autoroute d’excellente qualité qui relie Larnaka

à Nicosie est avalée par notre blanche petite auto japonaise. C’est plutôt l’arrivée qui est compliquée. La circulation très dense ne facilite guère et point la conduite d’un novice habitué à conduire à droite.

 

C’est qu’avoir un volant à la droite d’un véhicule fausse tous vos réflexes dans un pays où l’on roule à gauche.

- Le réflexe de s’accouder sur la main gauche tombe à l’eau face au vide séparant les deux chaises.

- Le réflexe du changement de vitesse à droite devra vite passer à gauche et surtout le fait de doubler à droite vous ôtera, hélas, l’espace nécessaire et instinctif de sécurité qui devrait séparer une voiture de l’autre. Et c’est ainsi qu’à l’entrée de Nicosie, la capitale de Chypre, malgré le cri strident de Skander, je double mal et me rabats trop vite en effleurant largement la belle verte BMW mal parquée.

 

C’est un Saint-Nicolas de sept mètres de haut qui nous accueille sur le trottoir de cette large avenue de Nicosie. Le Guiness book de 1992 risque d’arborer sa hauteur comme étant le plus haut personnage de Noèl.

La porte de Famagusta aux voûtes originales, le théâtre municipal, la rue du musée byzantin et le palais de l’archevêque sont visités en grande vitesse pour revenir enfin au centre ville vers la place de la Liberté où des vendeurs de pin's multicolores font recette et foule.

 

Cette capitale de 130 000 habitants présente des vitrines très bien achalandées. Les plus grandes marques de parfums rivalisent avec les derniers gadgets électroniques ou les dernières robes à la mode. Les files se font pressantes à la rue Lédra devant ce marchand de glace qui vous propose une cinquantaine de parfums qui vont de l’exotique avocat à la délicieuse noisette. Cette brasserie voisine n’a plus de siège à offrir à ces nombreux Anglais en quête de bière de pression.

 

Toute cette ville semble ignorer qu’à quelques mètres à peine, un mur de Berlin, rappelle à qui pouvait l’oublier que le pays est conquis.

 

Notre promenade se termine fatalement dans un cul de sac. En découvrant en pleine ville que cette rue s’achève par un mur gris et lugubre qui la coupe en deux, je ne peux que retenir mon effroi. Cette noire guérite encadrée par quatre soldats nous fait face et nous demandons d’avancer quelques mètres plus loin. Nous arrivons dans un onusien “no man’s land”, on ne peut plus lugubre.

 

Imaginez un soldat de l’ONU cravachant son vélo faute de cheval de course. Et imaginez surtout le clocher de l’église d’en face surmonté d’un haut parleur de propagande turque.

 

Oui, l’armée turque campe en face, s’y incruste, y reste et se fige. La guérite du soldat chypriote est égayée en cette veille de Noèl par le drapeau national chypriote barré d’une blanche croix en son centre et s’effilant à l’extrémité supérieure par une angoissante “tâche de sang” marquée d’ un seul chiffre : 1974, l’année d’occupation du nord de l’île par les Turcs.

 

En effet le 15 Juillet 1974, l’armée turque envahit le nord de Chypre et s’y installe.

La ligne Attila sépare ainsi le territoire chypriote en deux parties. 34% du territoire (le nord) devient zone turque en occupant ainsi les plaines les plus fertiles du pays et comptant près de 150 000 Musulmans turcs.

Chypre compte en outre 700 000 Grecs chrétiens orthodoxes, et 15 000 divers chrétiens.

Près de 200 000 Grecs du nord se sont réfugiés dans la partie sud après l’invasion.

Les bases britanniques occupent encore près de 256 km2, soit 3% du territoire national.

En 1977, Spyros Kyprianou remplace Makarios décédé.

En 1983, Raouf Denktas se proclame Président de la République Turque du nord de Chypre, reconnue uniquement par la Turquie, tout en étant condamnée par l’ensemble des instances internationales.

En octobre 1987 un accord d’union douanière est signé avec la CEE.

Le 21 février 1988, le candidat de gauche George Vassiliou est élu Président de la République. Son mandat s’achèvera en février 1993.

 

Et je repense au concierge de mon hôtel “Princess” de Larnaka qui me parla avec fougue, coeur et passion jusqu’aux mâtines sonnantes du drame de l’occupation turque. Démis, ce globe trotter converti, a bien connu la Côte d’Ivoire et le Gabon avant d’ouvrir une boucherie à Athènes, de déclarer faillite au bout de dix ans et de venir s’installer à la réception de cet hôtel de Larnaka. L’histoire du pays est longue et passionnante par la bouche de notre hôte.

 

A la croisée des chemins

 

Chypre vivait en toute quiétude, au croisement de trois mondes, l’Europe, l’Afrique et l’Asie, en équilibre avec 77 % de Chypriotes grecs et 18 % de Chypriotes turcs. Mais Chypre ne voulait pas en 1974 d’une présence américaine sur son territoire sous forme de base de l’OTAN. Il fallait à la politique anglo-américaine un prétexte pour installer à Chypre une base militaire, donc permettre à la Turquie alliée d’envahir un tiers du territoire chypriote pour avoir ainsi pignon sur rue.

 

Le prétexte était simple. A cette époque, la junte militaire grecque prenait le pouvoir et n’avait pas comme principal ami le Président chypriote Makarios. Il fallait simplement prévaloir et prétexter le coup d’Etat de la junte grecque pour rallier Chypre à la Grèce. C’est tout ce qu’il fallait à la Turquie pour venir défendre Chypre contre la Grèce, et surtout assurer la quiétude des Turcs Chypriotes. Le 20 Juillet 1974, six jours après le coup d’Etat grec, les Turcs débarquent au nord de Chypre. Monseigneur Makarios quitte subitement Chypre.

Samson, homme de paille, de l’armée grecque est mis au pouvoir pour finalement quitter la présidence huit jours plus tard et aller croupir dans les prisons chypriotes qu’il quitta en Janvier 1992 pour raisons de santé.

 

Voilà Klérides, le Président de la Chambre des Députés qui prend la présidence du pays jusqu’au retour de Makarios en novembre 1974.

Et, caprice du hasard, ce même Klérides se présentera 20 ans plus tard soit en février 1993, aux élections présidentielles. Mais en cette même période turbulente de 1974, le gouvernement tombe et Caramélis l’ancien Premier Ministre grec en exil à Paris depuis huit ans rentre en Grèce pour assurer la naissance d’un régime démocratique. Le même hasard veut qu’en cette année 1992, c’est ce même Caramélis qui est revenu à la présidence de la Grèce.

 

Entre-temps, les Turcs arrivent à Chypre le 20 juillet 1974, livrent une bataille de trois jours et colonisent le tiers du pays vingt jours plus tard.

 

Actuellement le parti pro-communiste “AKEL” fort de 30 % des sièges parlementaires continuera à faire basculer les candidats à la Présidence de la République comme l’on fait en 1974 ses prédécesseurs communistes qui ne voulaient pas de l’OTAN à Chypre.

 

Mais que veut la Turquie aujourd’hui ?

 

Elle accepte de se retirer en grande partie mais tient à créer un Etat chypriote-turc. Une pieuse pensée au policier de l’aéroport qui chercha vainement sur mon passeport le cachet de cette République fantoche.

C’est que l’entrée en territoire turque marquera votre passeport d’un cachet qui vous interdira tout futur accès à Chypre. Cette pseudo-République turque n’est en effet aujourd’hui reconnue que par un seul Etat onusien au monde, la Turquie.

 

Les résolutions de l’ONU ont beau être écrites, elles resteront hélas lettre morte face à tant de drames humains, à l’instar de la Bosnie-Herzégovine, du  Moyen-Orient et de tant d’autres foyers d’incendie. Mais le bloc de l’Est éclaté met à jour une Roumanie, des Etats Soviétiques et Yougoslaves qui ne demandent que l’aide économique de la Turquie et reconnaîtront sans problème aucun la République Chypriote Turque.

 

Mais il ne faudra pas oublier la candidature de la Turquie à la CEE où il faudra “montrer patte blanche” et ne pas imposer un sanguinaire dictat à Chypre.

 

Avec le temps, la solution finale serait peut-être hélas de concrétiser la création d’une République turque sur le sol chypriote, pas sur 40 % du sol comme aujourd’hui, mais seulement sur 25 % du territoire, tout en acceptant la création d’une Fédération des deux parties.

 

L’ONU et Chypre approuvent ce projet qui est bien sûr déjà refusé en partie par la Turquie. Les Turcs s’obstinent à refuser dans ce projet la liberté de circulation entre les deux Républiques et interdisent derechef le retour des Grecs Chypriotes dans leur territoire du nord de l’île.

 

Et je repense à mon ami Président du LION’S Club de Limassol qui dût quitter manu-militari, sans aucun bien, son foyer et son giron pour aller refaire fortune à Limassol au sud du pays avec une première nuit passée à la belle étoile, couvert d’un simple drap abritant au chaud un bébé de deux ans entre ses parents. C’est le soir de Noèl, dans ce beau quartier de Limassol, il est minuit, l’appartement de notre hôte vibre sous le charme de cette fête chrétienne.

 

Une fine nappe blanche brodée par une vieille tante est à l’honneur ce soir, sur cette table centrale qui nous réunit.

 

Ellie et son mari Andréas président la table à l’anglaise, en s’asseyant à chaque bout de table, Nikie leur fille de 18 ans et Skander ne tiennent guère en place et préfèrent souvent les fauteuils de ce salon-salle à manger orné avec nostalgie. Ce beau vase bleu d’Israèl côtoie ce large et soyeux tapis perse sur lequel repose une bergère aux joues pleines et aux coussins pourpres.

 

 

Un “Kourapies”, sorte de pâte d’amande saupoudrée de fin sucre blanc refait le tour de la table mais ne concurrence pas le “Mélomakazono” qui est un petit cousin composé de pâte d’amande légèrement trempé dans le miel (bonjour les calories !).

 

L’arbre de Noèl savamment illuminé et couvant ses précieux cadeaux donne à ce gîte encore plus de chaleur. Le champagne aidant, Andréas repense à Famagusta, sa ville natale conquise aujourd’hui par les Turcs. La larme à l’oeil, Andréas nous reparle de ces quatre jours d’été de 1974 où les Turcs lui laissaient la possibilité de quitter la zone nord à condition de tout abandonner. Il se souvient encore des trois fourchettes, trois couteaux et trois cuillères qu’il avait pris soin de cacher au fond de son unique valise et qu’il ressortait tous les soirs sur un banc public de Limassol pour se donner l’impression d’être chez lui.

 

Petit à petit, Andréas a retrouvé son métier d’enseignant et Ellie vole des heures de sommeil pour coudre et broder des vêtements qu’elle vendra en fin de semaine afin d’arrondir la cagnotte familiale. Quinze ans plus tard, le couple achète enfin cet appartement. Le père devient proviseur de lycée, la mère maîtresse de maison et la fille employée de banque.

 

Tout cela semble si loin, mais les blessures ne cicatriseront jamais. Leur seul espoir c’est de voir un jour Bill Clinton décider d’appliquer les résolutions onusiennes concernant Chypre et voir à la limite un Etat fédéral se créer pour le bien de tous.

 

Un “Batika”, melon frappé hors saison, étanche la soif de notre parleur qui nous propose une assiette de “haloumi” ou fin fromage de chèvre. A une heure du matin, la soirée s’achève dans la 4X4 de nos hôtes qui tiennent alors à nous faire visiter la dizaine de kilomètres de côte perlée de luxueux hôtels qui font de Limassol un véritable joyau touristique. Le verre de l’amitié est pris chez K. Théocharous, un autre réfugié de Famagusta, l’actuel propriétaire du “Hawaï Beach Hotel”, un des plus luxueux hotels du monde. Les coupes de champagne se suivent et se ressemblent...

 

Lania et le village du Chêne Royal

 

Nous venons ce matin de dépasser un petit village de pères bénédictins avec une forteresse presque millénaire gardant intactes toutes ces fortifications sous le nom de “Château de Kolossi”.

 

 

 

 

Soudain, le maître des cartes routières  impose à son conducteur un changement de direction, il n’est plus question de prendre l’autoroute pour Paphos, la ville la plus à l’ouest du pays mais de grimper vers les villages de montagne. Ces villages se succèdent et ne se ressemblent pas. Le village de Korti avec ses pierres blanches, ses ânes noirs, ses grosses jarres brun-rougeâtres d’un mètre de diamètre et ses toits en tuile rouge succombent sous le vacarme du silence. Au prochain village des “Lefkaritika” ou les broderies Lefkara (nom du village) ornent les portes. Les maisons attendent d’éventuels touristes.

 

Mais où sommes nous donc en ce coin perdu du Monde ?

 

Cet Etat insulaire de la Méditerranée orientale couvre 9 250 km2, juste un peu plus vaste que la Corse, et se classe ainsi 3ème île de la Méditerranée après la Sicile (27 708 km2) et la Sardaigne (24 090 km2).

720 000 Chypriotes (ou Cypriotes) peuplent l’île d’Aphrodite ou île d’Amour.

 

Chypre produisait dès l’antiquité du bois et du cuivre. C’est ce second matériau qui serait à l’origine de son nom à l’époque où l’île était dotée d’une écriture syllabaire-chypro-minoen.

 

En 1191, Chypre passe des mains des Lagides à celles de Rome puis à celles de Byzance. Conquête de Chypre par Richard Coeur de Lion (Richard 1er), né à Oxford, roi d’Angleterre de 1189 à 1199, lui-même fils d’Henri II.

De retour de la troisième Croisade, il fut retenu en captivité en 1192 pendant deux ans par l’empereur Henri VI qui ne le libéra qu’en échange d’une énorme rançon.

Chypre passe ensuite aux mains des Lusignans qui en font un royaume latin en 1197. Devenue une des bases d’attaque des Croisés, cette île est le principal centre latin d’Orient après la chute de Saint Jean d’Acre en 1291.

Devenue vénitienne en 1489, elle est conquise par les Turcs un siècle plus tard.

L’époque contemporaine de Chypre est marquée par la date de 1878 où l’île passe sous administration ottomane.

En 1925, elle devient colonie britannique où s’affronteront 30 ans plus tard les partisans de la Turquie et ceux de l’Enôsis (Union de la Grèce), pour enfanter en 1960 une République indépendante présidée par l’archevêque orthodoxe Makarios et un vice-président turc pour équilibrer les ethnies.

En 1974, la fièvre grecque contamine Chypre par un coup d’Etat favorable à l’Enôsis qui devient un prétexte aux Turcs pour débarquer dans l’île, tout en proclamant unilatéralement le nord de l’île Etat autonome reconnu à ce jour par la seule Turquie.

 

 

La route perd son asphalte, le paysage son soleil et notre boussole son aiguille. Skander a beau tourner sa carte dans tous les sens, on ne propose à notre blanche petite Japonaise que de foncer toujours tout droit. Soudain c’est l’impasse. Une énorme antenne de radio dans un champ clôturé et fermé est la seule hospitalité de cette montagne à 1.100 mètres d’altitude. Il faut reprendre la route en sens inverse. La descente est si facile que l’on se trompe encore de sentier. C’est une boue gluante qui embourbe les roues de notre petite voiture. De la caillasse, des branchages et de la patience   finissent par nous sortir de cette impasse et nous mettre cette fois sur le chemin de Platres à la recherche du village de Lania.

 

Je repense à mon village perdu au sud de l'île de Mayotte en plein Océan Indien, en vadrouille entre l’Ile Maurice et les Seychelles. Je repense aux trois baobabs de 500 ans qui m’attirèrent dans ces lieux perdus et qui m’offrirent une indélébile journée de voyageur.

 

Mais où est donc ce chêne ?

 

Le village n’est pas un village et l’entrée se confond avec la sortie. Le hameau n’a que quatre maisons et un restaurant. Le restaurant portant le nom “The royal OAK” ou chêne royal est fermé le lundi, expliquant l’absence de toute âme qui vive et de tout véhicule qui circule. Point de “Moussaka” ni de “Dolmades” ou feuilles de vignes farcies de riz pour ce midi au Chêne Royal.

 

Imaginez ce restaurant en retrait de la route et bordé d’un arbre majestueux. Ce chêne appelé “Michael” âgé de mille ans (deux fois mes baobabs de Mayotte) s’élance d’un tronc de cinq mètres de diamètre.

 

La branche de gauche fugueuse et folichonne fait une échappée de vingt et un mètres sur la droite avec un diamètre de soixante centimètres et repose en son milieu sur une tige métallique toute masquée de lierre qui lui sert de béquille. C’est le centre de Michael qui est le plus envoûtant. Une quinzaine de marches vous invitent à pénétrer le chêne royal pour arriver dans une loggia de neuf mètres carrés et contempler encore plus de dix siècles d’histoire végétale et chypriote.

Les quelques feuilles que je vole à l’arbre arriveront-elles au CIGV-HQ à Ben Arous pour être offertes aux amis de passage ?

 

 

 

 

 

 

PAPHOS

 

Il est vingt trois heures, Paphos s’éveille. Non, ce n’est pas une réplique de la parisienne chanson composée par notre Cigeviste Jacques LANZMANN, mais bien notre arrivée nocturne à Paphos après l’aventure de l’arbre  millénaire.

La ville est loin d’être morte et à force de descendre nous finissons par arriver au vieux port. Pittoresque, aguichant et bourdonnant comme une ruche, à croire que les 20.000 habitants se sont tous donnés rendez-vous autour de ce blanc pélican qui se déhanche sans vergogne aucune. Habitué à la foule, notre palmipède au long bec sert surtout de publicité au restaurant d’en face qui porte son nom.

 

Une guérite de deux mètres carrés offrant des tabacs de toute sorte met en évidence un beau téléphone rouge. Il suffira de deux minutes et d’une simple pièce de monnaie pour que Skander appelle sa maman à 3 500 kilomètres de distance. Il est vrai que ce pays accueille deux fois plus de touristes que d’habitants et qu’il faut veiller à leur confort.

En bout de jetée se dresse majestueusement le château de Paphos construit par les Turcs en 1592 sur l’emplacement d’un château médiéval en ruine. Il est tard et les maisons de Dionysos et de Thésée seront pour un autre voyage. Pas de mosaïques romaines pour le programme de ce soir, ni de tombe de roi à visiter dans cette ville historique.

 

Nous sommes pourtant bien dans la cité ou est née au milieu des rochers et de l’écume des eaux, la déesse de l’amour Aphrodite. Nous passerons à la sortie de Paphos face à ces rocs millénaires et légendaires “Pétra Tou Romiou” ou Rocher d’Aphrodite.

 

Dans notre petit restaurant lové au flanc d’une colline, face au port, la gentillesse du personnel rivalise avec la magie des lieux. L’île de l’Amour est amour à chaque coin et recoin de Chypre.

Katya, tout de court vêtue avec une noire mèche vagabonde barrant son front, de larges créoles aux oreilles et des yeux en amandes, se joint à notre table et s’emballe dans une amoureuse description des bains d’Aphrodite.

 

A la sortie de Paphos entre les villages de Polis et Latchi, une grotte pittoresque avec une bruyante cascade d’eau forme les bains d’Aphrodite. Huit kilomètres plus loin se dresse la “Fontana Amorosa” ou fontaine d’amour, au bassin fameux, inaccessible à toute voiture qui n’a pas quatre roues motrices.

 

LARNAKA

 

Anglais jusqu’au bout des ongles et jusqu’à la plus petite nappe de table, ce restaurant aux lumières tamisées, au plafond très haut et au personnel stylé nous fait revivre l’ambiance de la Nouvelle Zélande, tout en savourant un “beef stifado” une bonne viande du pays cuite dans le vin et le vinaigre. Curieux pays où l’agence de location de voiture a prétexté une bosse sur l’aile gauche pour nous faire payer, malgré une assurance tout risques, cinq fois la location, ne fusse l’intervention musclée de la police locale.

 

Avec quel amour, ces artisans vous emballeront vos souvenirs, avec quel courtoisie on vous indiquera votre chemin et avec quelle politesse on répondra à toutes vos questions !

 

Poulos, jeune banquier de Larnaka savoure avec soin son “afélia” ou viande de porc marinée dans du vin rouge, mais délaisse notre vin de table pour se mettre à la mousseuse “Keo Beer” de Limassol d’un demi-litre, comme en Bavière. Notre banquier averti et son épouse présidente d’entreprise à la fauve crinière et aux yeux noisette nous mènent dans les méandres de l’économie de Chypre, ce petit Etat aux pieds d’acier  pareil aux célèbres dragons d’Asie.

 

ECONOMIE

 

Avec 7 000 dollars de PNB (Produit National Brut) par tête et par an (un peu plus que la Grèce et presqu’autant que la Guadeloupe), Chypre est classée 63ème pays sur 223. L’agriculture ne procure que 2% du PNB. La culture de l’orge occupe 34% des surfaces emblavées, celle de la vigne 20% et

le blé 3%.

Les agrumes, la pomme de terre et la vigne sont les grands produits commerciaux et la Grande Bretagne reste un friand client de primeurs.

Bien que l’activité minière soit stoppée, l’industrie contribue à 25% du PNB global. La cimenterie, la chaussure, la confection et l’agro-alimentaire sont les principales composantes industrielles de Chypre.

C’est peut être l’atavisme grec qui fait de Chypre la 3ème flotte commerciale mondiale avec 21 millions de tonneaux de jauge brute, soit plus de quatre fois la capacité française.

Le PNB de Chypre serait supérieur de 4 000 autres dollars si on ne tenait pas compte de celui de la partie turque qui est très bas. Cela donnerait un PNB de 10 500 dollars par tête et par an, équivalent à celui d’Israèl, et Chypre serait classé 43ème pays du monde au lieu de 63ème.

1991 qui fut une année de très faible croissance économique a été suivie d’un plein essor en 1992 grâce au dynamisme et au génie grec-chypriote.

Les accords tissés avec la CEE et les suites de la guerre du Liban ont fait de Chypre un important centre de transactions qui se substitue ainsi à la place financière de Beyrouth.

Quant à la guerre du Golfe, elle n’a fait que diminuer le tourisme insulaire et les exportations vers le Moyen-Orient, tout en haussant le prix du pétrole qui freine la croissance économique. Chypre qui ne connait pas de problème de chômage a par contre une insuffisance de main d’oeuvre et une inflation contenue à 5%.

Elle accueille près de 1,5 million de touristes par an, soit le double de sa population. Avec 23% du PNB le tourisme chypriote atteint ainsi un des taux les plus élevés de la planète à l’instar de certaines îles des Caraïbes.

La Livre chypriote vaut environ 2 US $.

 

Beyrouth, Tel Aviv et Amman, fougueuses et tourmentées capitales du Proche-Orient ne touchent qu’un centre nerveux de Chypre. La police et la finance font si bon mariage que l’île ignore du chômage la définition et savoure une haute qualité de vie. Cette caverne d’Ali Baba qui reflète pourtant les battements nerveux du Moyen-Orient sait donner à ses enfants confiance, ardeur et quiétude.

 

La richesse de son histoire n’a d’égale que les merveilles de ses gîtes et le charme de cette population où les soeurs d’Aphrodite connaissent tous les secrets de la joie et où les hommes, grands seigneurs préparent l’avenir du pays.                       

 

  

 

 

 

                                                                                                                                                                                                 Rached Trimèche

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