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ILES FEROE

ILES AUX MOUTONS

 

Par Rached TRIMECHE

www.cigv.com

 

 

 

 

 

 

Torshavn (Août 1993). Notre RC 455 de l’Atlantic Airways est en train de survoler les Iles Shetland au nord de l’Ecosse, sur la route des Féroé. Cela fait déjà 18 heures que nous avons quitté Longyearbyen au Svalbard pour descendre du Pôle Nord au Cercle Polaire Arctique. Quatre avions et une longue escale à Bergen en Norvège sont déjà au menu de cette descente. Dans une heure nous arriverons enfin aux si attendues “îles aux moutons”.

 

Dans l’avion, l’ambiance qui règne entre les 80 passagers est très amicale et détendue. Mon reportage a l’air de démarrer dans cet avion même où le tout Torshavn semble s’être donné rendez-vous. On me conseille l’hôtel Foroyar ou la pension “Bed and breakfast” Skansin, tout comme le restaurant Rio Bravo. Il faudra ensuite contacter dans le domaine des Grands Voyageurs la célèbre Svanbjorg qui arrive à vendre les timbres-poste des Féroé aux quatre coins du monde. Il faudra rendre une visite de courtoisie en tant que reporter à Marita PETERSEN, la charmante et dynamique Premier Ministre de l'archipel et il ne faudra surtout pas oublier de contacter les deux grands journaux du pays : le “Dimmalatting” et le “Sosialurin”. Bref, voilà tout un programme déjà tracé et plus d’une invitation déjà lancée à 10 000 mètres d’altitude.

 

Notre avion change de cap et commence à survoler à basse altitude de noirs îlots volcaniques. Le paysage est irréel. Le bleu métallique de la mer prononce la nudité de ce pays sans arbres. Des féeries d’eau qui ne semblent jamais tarir sillonnent ces collines. A notre atterrissage, une cinglante averse nous accueille au bas de la passerelle et mon noir et chaud chapeau sibérien n’est pas de trop.

Dans le hall de l’aéroport, l’ambiance est électrique et incompréhensible. Imaginez toute une foule de voyageurs, un douanier et un policier en faction immobilisés en quelques secondes comme par un gaz anesthésiant.

Les yeux écarquillés, ils sont tous accrochés par l’oreille à ces deux gigantesques noirs haut-parleurs qui hurlent.

En langue féringienne (d’origine norroise), proche de l’islandais et du norvégien, le speaker de service ne cesse de répéter au micro de la radio locale branchée sur haut-parleur deux mots magiques qui consternent l’assemblée : “Twe to twe” (deux à deux). Le match est nul et les îles Féroé ne remportent pas la coupe de football cette fois. Nous sommes bien dans un curieux bout du monde où le ballon rond et les timbres-poste sont les plus grands ambassadeurs. Mon 107ème pays visité promet d’être riche en découvertes.

 

Aimables, courtoises et avenantes, Lis EKLUND et sa compagne nous proposent de nous prendre en voiture pour nous conduire à leur hôtel de Torshavn qui n’est autre que le Foroyar annoncé dans l’avion. Au bout de 20 minutes de route, les cols de montagne et l'épais brouillard font place à un tout petit port. Le contact est coupé et nous prenons sagement position dans une file de voitures. Mon étonnement est vite consolé par le départ d’un gigantesque bac noir chargé d’une vingtaine de véhicules. Nous sommes arrivés trop tard et il faudra attendre 40 autres minutes pour le prochain passage. La fumée des cigarettes de ces dames réchauffe l’atmosphère et me fait oublier le voisin zéro degré de l’extérieur. L’épouse du pasteur, Lis, en patiente hôtesse meuble cette attente par un bout d’histoire des Féroé que nous découvrirons tout à l’heure. Une fois la voiture à bord nous allons affronter le vent des Féroé et la bise cinglante face à ce paysage du bout du monde. Quel est donc ce curieux pays ?

 

A 62 degrés de latitude nord, à mi-chemin entre l’Islande et l’Ecosse, en plein Océan Atlantique s’étire l’archipel des 18 îles Féroé sur une superficie totale de 1 399 km2 soit environ trois fois le suisse lac Léman.

48 000 insulaires peuplent cet archipel où Torshavn la capitale abrite à elle seule le tiers des habitants. A 1 500 kilomètres au nord de Copenhague et à 450 kilomètres à l’est de l'Islande, ce petit pays fut longtemps oublié.

Dix des 18 îles sont encore désertes et seuls les 70 000 moutons semblent n’avoir aucun secret de la plus petite parcelle des Féroé.

 

POISSONS

 

Ici, comme au Svalbard, c’est le Gulf Stream, ce chaud courant marin né au large du Mexique qui procure vie et douceur à l’archipel. Ce courant marin chaud sera vertical et fera monter le plancton à la surface de l’eau. Naissent alors les algues et la précieuse photosynthèse source de toute vie.

Les oiseaux des Féroé mangeront les poissons et le cycle biologique commencera. A chacun son prédateur pour l’équilibre de l’écosystème.

Au large des Féroé, le chaud Gulf Stream doublé de courants marins à différentes salinités rend ces eaux très concentrées en plancton et donc très poissonneuses. La morue (toskur), le colin noir et l’églefin abondent.

L’époque où l’homme pêchait la morue et où la femme et les enfants devaient la saler et la sécher pour la redonner aux hommes qui la vendaient est révolue. Aujourd’hui, la flotte de pêche féringienne est une des plus modernes du monde. N’ont-ils pas certains navires au puissant sensor et à tuyauterie aspirante qui iront chercher au fond des mers le poisson voulu qui pourra déjà, à bord, être mis en boites de conserve.

 

Aujourd’hui, le crevettier “Artic Prawn” qui jauge plus de 150 mètres et      1 500 tonnes coûte plus de 20 millions de $ US. Le coût de la pêche est ainsi de plus en plus élevé alors que le marché économique européen se ferme de plus en plus. C’est l’aquaculture qui devient le nouveau créneau économique qui ira même implanter le savoir féringien au Sénégal. Aujourd’hui, une centaine de fermes aquacoles font l’élevage du saumon et produisent plus de 10 000 tonnes par an, représentant 20% de la valeur des exportations du pays.

 

Si les Caraïbes connaissent un climat dit débilitant qui ne varie que de 18 à 28°C toute l’année, ici le climat est dans une fourchette annuelle de 3 à 11°C au sol avec certes des neiges et des glaces en altitude. Les précipitations d’eau annuelles dépassent souvent les 2 000 millimètres. Fortes et fréquentes les pluies sont accompagnées de vents violents qui fouettent sans cesse ces collines nues. Seules la bruyère et l’airelle forment avec l’herbe sauvage un léger tapis verdâtre aux 70 000 moutons du pays.

 

Les oiseaux tout comme les moutons et les poissons sont la troisième source de vie de ce pays. Les Féringiens avaient souvent comme activité secondaire le ramassage des oeufs d’oiseaux nichés en flancs de montagne.

 

HISTOIRE

 

Vers l’an 800 arrivent de Norvège les Vikings, premiers habitants des Féroé. En l’an 1380 c’est toujours avec la Norvège et les voisins Groènland et Shetland que les îles Féroé passent sous la couronne danoise. Plus tard, en 1814 la Norvège retrouvera son indépendance tandis que les Féroé et le Groènland resteront attachés au Danemark tout en devenant de plus en plus autonomes. Pendant la deuxième guerre mondiale, les Féroé furent occupées par la Grande-Bretagne et devinrent ainsi un bouclier des Alliés.

 

En 825, l’érudit et savant moine Dicuil note dans son ouvrage “Livre de la mesure de la Terre” le passage suivant : “Au Nord de Britannia, de nombreuses îles peuvent être atteintes en trois jours de navigation directe avec des vents favorables. Sur ces îles séparées par d’étroits canaux, vivent des ermites venus d’Irlande il y a cent ans. Ces îles désertes depuis la création du monde sont à nouveau inhabitées à cause des pirates vikings qui ont pourtant laissé en paix d’innombrables moutons et oiseaux marins.”

Si la côte ouest riche en oiseaux porte le nom de Vestmanna, c’est qu’elle fait référence aux Celtes ou hommes de l’Ouest.

Toutes ces sagas convergent vers les conquêtes irlandaise, norvégienne et viking de l’archipel inféodé déjà aux terres scandinaves.

Ce pays était déjà régi en 1298 par un texte dit “La lettre des moutons”. La vie de la commune et le partage des terres et des saisons y étaient inscrites tout comme dans les vieux calendriers aztèques. La vie se passait dans le “Bygd” noyau de la société paysanne qui va du “Bour” espace intérieur au “Hagi” espace extérieur.

 

Le Landsstyre ou Gouvernement autonome est dirigé par Marita PETERSEN. Le Lagting ou Chambre haute légifère les affaires intérieures du pays où le Danemark reste le parapluie militaire et souvent celui des Affaires Etrangères, bien que depuis 1972 les îles Féroé aient marqué leur refus d’adhérer à la CEE contrairement au Danemark.

 

DEUXIEME GUERRE MONDIALE

 

Le Parlement féringien ou “Lagting” est, dit-on, la plus ancienne assemblée européenne. Cela fait plus de mille ans que le cap historique divisant le port de Torshavn a reçu à Tinganes l’emplacement de ce lagting.

Je repense à ma visite en Islande il y a huit ans où l’on retrouvait à l’emplacement d’une terre affaissée de 100 mètres les traces du parlement islandais voisin des Féroé. Aujourd’hui, ce lagting administre l’autonomie des îles Féroé et élit un gouvernement local ouvert à tous les partis politiques, allant de ceux souhaitant la proclamation d’indépendance totale, à d’autres souhaitant le resserrement encore plus étroit avec la couronne danoise. Aujourd’hui à Torshavn, c’est un médiateur qui représente l’Etat danois.

En 1940, les îles Féroé devenaient un bouclier anglais contre les Allemands, à l’heure où les Etats-Unis installaient leur base militaire au Groènland et en Islande. Ce fut là l’occasion de construire le premier aéroport des îles Féroé. Pas à Streymoy, île principale de la capitale Torshavn, mais à Vagar, l’île voisine.

Aujourd’hui, les îles Féroé disposent non seulement de timbres-poste, d’équipes sportives et de monnaie nationale à leur effigie, mais s’octroient également un passeport féringien, doté toutefois d’une couronne danoise. La citoyenneté féringienne existe avec un drapeau représentant une croix nordique rouge et bleue sur fond blanc. Cette citoyenneté s’acquiert aujourd’hui non pas par l’ascendance mais par le territoire où l’on réside.

 

Aucun paradoxe n’est absurde au pays déchiré par les vents et intempéries constantes de l’Atlantique Nord. Il y a 700 millions d’années, de grises laves basaltiques s’échappèrent des fissures volcaniques pour ériger un plateau sous-marin en plein Océan Atlantique Nord. Tel est le socle des îles Féroé qui à l’ère tertiaire possédaient encore de belles et innombrables forêts.

 

Les îles Féroé formées à l’ère tertiaire, ont un relief caractéristique de la période glaciaire et prennent pied sur une gigantesque chaîne de montagnes sous-marines qui relie le Groènland à l’Ecosse. C’est en regardant de près ces couches basaltiques horizontales valsant de paliers en terrasses sur les flancs de cette montagne sans arbres que l’on réalise encore plus l’origine volcanique des îles Féroé. Mais c’est de l’autre côté de la montagne, à Vestmanna que des milliers d’oiseaux marins trouveront un pendoir naturel sur les versants de basalte.

 

Nous sommes ce soir à l’hôtel Foroyar réunis en Assemblée Générale Constitutive du CIGV-FEROE qui devient notre 100ème pays à adopter la philosophie des Grands Voyageurs dont le siège est basé en Tunisie.

Le téléjournal consacre 4 minutes à cet événement tout comme les deux grands journaux du pays qui donnent leur une au CIGV.

A voir tous ces baroudeurs descendants de Vikings on comprend mieux cette nécessité dromomane des Féringiens à vouloir toujours quitter le pays pour y revenir très vite. Ce noble peuple de pêcheurs est ici ce soir pour le rapprochement des cultures des cinq continents, eux qui comptent 30 000 citoyens installés hors du pays, soit les deux tiers de la population, et qui reçoient prés de 20 000 visiteurs par an.

 

Une fois installé au Foroyar Hotel, je me décide à aller découvrir la ville. Quel optimisme. Une demoiselle de la réception me prend en pitié en voyant mon hésitation face au portail de l’hôtel. En effet, un vent violent et glacé me repousse tout simplement à l’intérieur. Eclatant de rire, elle m’offre un ciré bleu ou coupe-vent, avec une large capuche qui couvre même ma toque noire.

 

TORSHAVN

 

Ainsi paré, je commence à descendre les deux kilomètres de collines qui séparent notre hôtel du centre de Torshavn. Les moutons et les chevaux semblent être les seuls êtres vivants de ce pays. Ils ont l’art de pouvoir dénicher sur un sol sans arbre ni feuillage, des pousses vertes bien cachées. Le tout est de contrer le vent et de continuer à descendre vers la capitale.

Le port de “Tor” ou Torshavn, capitale des Féroé, est ici appelée “havn” ou port.

Petit à petit des maisons-chalets multicolores parsèment mon chemin. Les plus curieuses sont peintes en noir et bordées de blanc. Qui aurait dit qu’une maison noire pouvait être belle, et même très belle ? Oui, à condition qu’elle soit aux îles Féroé et que son toit soit recouvert de chaume, tel un jardin suspendu avec un pseudo gazon qui remplace les tuiles d’ardoise et peut être même la climatisation.

La ville surprend par sa propreté, son luxe et ses belles boutiques achalandées. Soudain, une plaque métallique accrochée à la porte de l’hôtel Hafnia à quelques mètres du port attire mon attention. En 15 minutes à peine Samàl BLAHAMAR appelé par le standard de l’hôtel est déjà là au volant d’une énorme Mercedes noire qui a tout d’une Lincoln américaine avec sa rangée de  triple sièges.

Samàl, du club KIWANIS-Féroé a vite répondu à l’appel de la standardiste qui lui parle d’un curieux Kiwanien venu de l’autre bout du monde.

Nous voici installés dans son confortable chalet où la principale décoration de la salle à manger est une immense carte planétaire qui est le synonyme même de ce peuple viking et pêcheur à la recherche du temps perdu. Tout au long de la nuit, d’autres Kiwaniens viennent nous rejoindre et l’hospitalité des îles Féroé arbore déjà ses lettres de noblesse.

 

Dans cet archipel où la côte est si escarpée, un détroit est souvent confondu avec un fjord ou pénétration de la mer dans la terre. C’est ainsi qu’entre l’île de l’Aiguille (Nolsoy) et celle de Steymoy, le détroit naturel perd son nom de détroit pour s’appeler Nolsoyarfjordur. La profusion de rochers, d’arches, de grottes maritimes et d’aiguilles laisse libre cours à tous vents et courants marins.

Dans ce pays où seul le mois de juin ne possède qu’une nuit de trente à soixante minutes, les journées sont souvent sombres et voilées par d’épais nuages. Les ondées et les vents violents présents quatre à cinq fois par jour, font de la terre un paysage stérile. Une terre sans arbre.

 

Si dans notre dernière escale au Svalbard, la végétation ne pouvait croître à cause de la glace omniprésente sur terre douze mois sur douze, les Féroé ignorent la présence de l’arbre pour une toute autre raison. L’abondance d’eau est telle que le sol est si lessivé qu’il perd toute sa richesse en terreau en devenant acide. Des ravines se creusent là où l’arbre devait pousser et si un arbuste devait croître dans un lieu isolé, le vent ne manquera pas de le déraciner. Et si un pouce végétal se maintenait, un mouton se dépêcherait de le “bouffer”.

Actuellement, quelques conifères venus du sud de l’Argentine proche de l’Antarctique sont timidement plantés à l’orée de Torshavn, la capitale, pour créer une pépinière. Il faudra alors créer des jardins, les clôturer solidement, créer un terreau et un humus, et faire pousser un si précieux arbuste.

Aujourd’hui, les tourbières tapissent les falaises et les vallées où seule la pomme de terre est habilitée à pousser.

 

ISOLEMENT

 

Déchiré par les fjords et secoué par les vagues de l’océan, cet archipel connut toutes les gammes de l’isolement. La nudité, le froid, le vent et l’éloignement rythmaient la vie des Féringiens qui gardent à ce jour intactes certaines vieilles traditions, danses circulaires et chants ou poèmes longs et épiques. Le Féringien est en outre préparé à affronter quatre saisons en 60 minutes. Comme un parapluie, son coupe-vent trouvera toujours refuge dans un coffre de voiture ou un sac de voyage. Il s’agit d'accueillir le brouillard à couper au couteau, suivi de neige intense tout comme une forte pluie glacée suivie d’un soleil radieux dévoilant un ciel on ne peut plus bleu qui met les montagnes à portée de main. A un rendez-vous, il répondra toujours “OK, mais si le temps le permet”. C’est le pêcheur qui pâtira le plus de cette versatilité météorologique. L’heureuse épouse aura sans le vouloir un mari à la maison dix à vingt jours de suite jusqu’à la fin de la tempête qui paralyse les ports.

Bercés par le ressac de l'Atlantique, les Féringiens sombrent en hiver dans une profonde mélancolie. Je repense à notre avion arrivant de Copenhague où le commandant de bord nous disait  que nous avions beaucoup de chance car l’avion qui nous précédait de 30 minutes avait été détourné sur Bergen en Norvège faute de visibilité sur Torshavn. Les îles Féroé restent et resteront d’abord assujetties à leur difficile climat.

 

La viande de mouton et la pêche abondante ne suffisent plus à l’économie des îles Féroé. La pomme de terre abondante et nouvelle est voisine de nouvelles terres défraîchies qui connaîtront de nouvelles et timides plantations. L'artisanat tout comme l’industrie légère forment un nouveau noyau économique. La manutention des poissons qui va du dépeçage à la congélation en passant par la mise en boite trouve ici une main d’oeuvre féminine experte. Ces mêmes doigts sauront recoudre les filets de pêche et les entretenir. Depuis quelques années à peine, une nouvelle industrie côtière prend pied aux îles Féroé.

 

La surchauffe de l’économie des années 80, liée à la course au gigantisme est une des raisons de la faillite économique actuelle. La subvention aux produits de la pêche est de plus en plus élevée. L’endettement atteint un seuil record. Les chantiers navals de Skali par exemple, déposent leur bilan uniquement par la faute d’un acheteur qui n’a pas pris livraison de son bâtiment. En 1990, un emprunt forcé est lancé auprès des ménages et un second à long terme est contracté à l’étranger. Il faudrait peut être penser à recycler la pêche dans des produits demandés tels que les “plats préparés” et mélanger le poisson avec les produits agricoles. Penser à créer un label de qualité “made in Faroe” pour un poisson qui se vendrait frais.

 

Je repense à ma précédente escale au Svalbard où personne ne comprenait le nom du prochain pays qui m’attendait, les Féroé. C’est un problème de phonétique. “Féroé” seul ne veut rien dire. “Foroé” et “Faroé” non plus. Les Nordiques ne connaissent que la phonétique “FEROYEN ISLANDS”, alors que les habitants des îles Féroé ne connaissent que le vocable “FOROYAR”. C’est en vieux danois qu’on appelait l’habitant d’un archipel un “Foering” (pluriel “Foeringen”), qui enfanta le nom des îles Féroé.

 

Ce pays du bout du monde avec un PNB par habitant de 19 000 $ US, presqu’autant que le Danemark, compte une voiture par habitant et se paie par exemple un système bancaire et téléphonique des plus perfectionnés du monde tout en restant fidèle à la chasse aux gros mammifères marins et à l’intensif élevage de moutons.

INTERVIEW DU PREMIER MINISTRE

 

Dans une vieille bâtisse quasi centenaire, toute de bois construite, un dédale de couloirs et d’escaliers mène à la salle d’attente de Marita PETERSEN, Premier Ministre des îles Féroé. La jeune secrétaire de 1 m 80 et aux 60 kilos de “Tweeggy” confirmés se déploie comme un goéland aux larges ailes blanches pour avertir Madame le Premier Ministre de l’arrivée des journalistes. Madame PETERSEN quitte son bureau sobre et brun pour nous recevoir autour d’une petite table de travail face à de larges fenêtres donnant sur le vieux port de Torshavn.

 

A bâtons rompus, notre Premier Ministre se lance à l’eau et nous dévoile les jardins secrets des îles Féroé.

“La situation économique est certes très délicate. La pêche qui représente 95% de notre production est en grande crise avec une baisse de 30%. Avant la chute du mur de Berlin on vendait par exemple, aux pays de l’Est qui aujourd’hui deviennent nos concurrents. 100 000 tonnes de poisson par an sont à vendre et le marché commun auquel nous n’adhérons pas nous pose plus d’un problème. Chez nos paysans la crise est tout aussi aiguè que chez nos pêcheurs. Nos 70 000 moutons nous fournissent bien 45 000 tonnes de viande par an, mais cela ne suffit pas à la consommation nationale puisqu’il faut en acheter autant chaque année.”

 

Quand on lui parle de baleines et de Greenpeace, elle ne manque pas d’arborer son sourire magnétique et retenu et de lancer un doux et perçant regard bleu-vert derrière de fines lunettes d’écailles pour dire : “On nous fait un faux procès. Nous ne pêchons en fait qu’un seul type de baleine dit “Pilot Whyles” qui ne dépasse guère le petit poids de 1,5 tonne. Les Féringiens ne peuvent pêcher que 300 baleines par an dans des lieux et à des dates déterminés. Mais si des baleines s’aventurent dans les eaux du littoral ou à l’intérieur de nos fjords, il faut alors les tuer en série. On continue dans ce cas à distribuer la viande de baleine à toute la population du coin à poids égal du bébé au vieillard.”

Lorsqu’un troupeau de baleines ou globicéphales est repéré au large, les habitants montent dans leurs barques, encerclent l’animal et le font s’échouer sur une plage pour le tuer. Cet échouage ou “Grindadrap” concerne plusieurs globicéphales qui vont de la petite baleine au dauphin, en passant par l’orque qui a une tête en forme de globe et une peau noir charbon avec une tâche blanche.

C’est alors que la fête commence. Le chef de “Grind” arrivé le premier à côté de l’animal échoué donne solennellement l’ordre de mise à mort au couteau. La baie est rouge. C’est alors que commence l'inscription en chiffres arabes sur la tête des bêtes pour les numéroter et sur la queue en chiffres romains pour indiquer leur longueur en “skinn”.

Quand on lui parle du Danemark, elle n’hésite pas à répondre : “ Je pense qu’il serait bête et dommage de se séparer de ce pays à l'heure où certains pays se serrent les coudes et les législations pour se fortifier.

 

Notre union-collaboration avec le Danemark a plus de 1 000 ans. Nous sommes un si petit pays qu’il serait délicat, avec une mono ressource d’assumer notre survie. En quittant le Danemark nous serions obligés de rechercher un nouveau protecteur. L’idéal serait simplement d’avoir encore une plus large autonomie. Actuellement, nos 8 milliards de couronnes danoises de dettes sont amplifiés par un taux de chômage de 25% lui même augmenté par le nombre de chômeurs âgés de 60 à 67 ans que l’on ne comptait pas auparavant. Le but final serait, dans une dizaine d’années par exemple, d’améliorer notre “Home Rule System” de 1948 ou grande autonomie de décision qui nous permettrait de gérer notre budget de 2,5 milliards de couronnes et d’échelonner, voire même payer notre dette.

Cet équilibre nous donnerait au fond une vraie indépendance. Nous avons eu déjà durant la deuxième guerre mondiale cinq années de coupure totale avec le Danemark occupé par les Allemands. Nous étions alors le bouclier des Anglais et des Alliés et avons dû ainsi créer un système de travail et de vie autonome.

Aujourd’hui, notre Parlement ou Lagting décide les lois et c’est à nous de décider par exemple si nous voulons ou pas nous lancer dans l’exploitation off-shore du pétrole autour de notre archipel. Il est vrai que nous bénéficions du parapluie militaire et souvent diplomatique du Danemark qui accueille entre autres des milliers de Féringiens qui seraient hélas chômeurs chez nous.

 

 

POLITIQUE

 

Le Parti Socialiste qui représente 30% de l’électorat ne cache pas les 8 milliards de couronnes danoises de dettes des îles Féroé, ce qui donne à l’actuel Ministre des Finances l’occasion de dire : “C’est le moment de couper le cordon ombilical avec le Danemark et de prendre nos responsabilités d’indépendance.” Le Danemark continue de verser près d’un milliard de couronnes par an à titre de subvention et de soutien social de l’archipel.

 

Pour ce ministre républicain, on est au creux de la vague, à l’instar de l’immobilier complètement effondré où plus rien ne se vend ni s’achète. Il faut donc réagir.

 

Aux îles Féroé, notre taux de natalité de 2,3 est supérieur à celui de nos voisins. Bien que nos hommes soient souvent en mer, les femmes assurent toutes les responsabilités de la famille et nous n’avons que 10% de divorces

et 20% d’unions libres. La tradition familiale garde son importance.”

 

 

CRISE

 

Les profits réalisés durant l’occupation britannique permirent à la flotte féringienne de passer de la voile au moteur. L’apport en livres sterling dota les Féroé d’une flottille de chalutiers qui devient la première des pays nordiques, mais cette même livre fortement dévaluée par rapport au dollar marqua le début de la crise.

Avec l’augmentation du prix du charbon (moteur de ces chalutiers) en contrecoup de la guerre de Corée, la crise économique féringienne s’aggrave.

La Banque Féringienne s’apprête à sombrer et n’est remise à flots que par le soutien financier de l’Etat danois. Mais cette banqueroute entraîne la chute de la figure de proue du Parti Populaire et néanmoins Président de banque, T. PETERSEN.

D’autre part, le hareng si prisé dans les années 50 devint insignifiant 20 ans plus tard, entraînant une autre crise financière. Il fallait pêcher encore plus loin au large du Groènland et au fond de la mer de Barents, en passant par la pêche de la crevette royale et du capelan au large du Svalbard.

Le grand problème est encore dans un autre domaine, celui de l’espace maritime. Dans les années 50, l’océan était un territoire commun aux pays nordiques mais voilà que l’on commence à le découper en zones protégées avec 200 miles nautiques ou 370 kilomètres délimitant l’espace de l’Etat riverain. En 1977, cet espace devient l’étau juridique des chalutiers féringiens. C’est ainsi que la flotte féringienne quitta les rivages lointains et se replia sur les côtes du pays où l’on commence à s’intéresser à de nouveaux poissons comme le merlan bleu et la dorade.

 

En quittant notre optimiste Premier Ministre, je repense à tout le courage qu’elle doit avoir pour contrer l’opposition actuelle, acquérir la confiance nationale et essayer d’estomper la crise économique. Par rétrospection, le problème du Danemark est encore plus clair. Pour ce dernier, les îles Féroé présentent au moins deux avantages :

1°- Un marché assuré de 48 000 consommateurs qui sont presque toujours obligés de passer par Copenhague pour leurs transactions ;

2°- Cet archipel permet à l'OTAN via le Danemark d’avoir une base assurée dans ces mers du Nord.

De l’autre côté, les îles Féroé ont tout intérêt à bénéficier de la large coopération du Danemark qui les soulage de plusieurs fardeaux en ces périodes de saumon maigre.

 

KLAKSVIK

 

Ce matin, réveillé déjà à 6 heures 30, j’avale, hélas en quatrième vitesse, ce si délicieux petit déjeuner de l’hôtel Foroyar. A 7 heures 30, le bus de la Compagnie TORA nous attend pour aller en excursion d’une journée vers la ville de Klaksvik. Allemands et Islandais, mes compagnons de voyage sont encore plus chaudement vêtus et simplement emmitouflés dans de grosses fourrures. A se croire dans une véritable expédition polaire. Ils n’ont peut-être pas tort. Une pluie cinglante et furieuse donne l’impression de trouer les vitres de notre car. Mais le matériel est bon et roule en musique sans problème aucun, et la dextérité du conducteur n’a d’égale que sa courtoisie.

Les collines sont rases, la brume épaisse et ces centaines de moutons noirs et blancs paissent paisiblement cette rase campagne. Certains portent des boules oranges de 5 centimètres de diamètre et forment un lot sur quelques hectares. Plus loin, la boule change de couleur sur un autre lot avec un autre propriétaire. Bien qu’en liberté totale, ces moutons sont étroitement surveillés et contrôlés. C’est que le prix d’un mouton dépasse facilement les 400 $ et que c’est une des deux grandes richesses des îles Féroé.

Le plus surprenant dans ce paysage est le bruit de ces cascades qui coulent à flots et sans arrêt tous les cent mètres d’une colline. C’est que le sommet de toutes ces collines est transformé en réceptacle naturel d’eau de pluie qui descend rapidement en furieuse cavalcade.

 

Notre premier arrêt est devant cette jetée où il faudra attendre le bac géant pour aller sur une autre île. Profitant de cette attente de 30 minutes, j’affronte à nouveau les vents violents pour me rendre au proche kiosque à essence qui abrite une petite boutique. Avec mes chaussures glissantes, dix minutes sont nécessaires pour franchir les 500 mètres qui me séparent de ce kiosque. Nous sommes dans un pays si moderne qu’à nouveau quelques pièces de monnaie suffisent à me brancher par satellite avec Hammamet en Tunisie pour m’enquérir de la santé de Zied, mon fils de 7 ans renversé brutalement la veille par une folle voiture. Soulagé, j’apprends qu’il est en vie mais il m’est quand même difficile de retrouver mon sourire alors que je devrais être à ses côtés. Il ne me reste plus qu’à téléphoner de nouveau de Klaksvik, la deuxième ville des îles Féroé pour reprendre de ses nouvelles tout en essayant en parallèle de trouver une place dans le prochain avion sur Copenhague au Danemark ou Oslo en Norvège, afin d’attraper une correspondance via Genève ou Paris pour Tunis.

 

BARQUES  VIKINGS

 

Cette belle église est un havre de paix et d’élégance. Là, au bout du monde l’horizon sourit et la paix émerge. Sur nos têtes un bateau viking de quatre  mètres de long est suspendu à la nef de l’église. Les prêtres de l’époque évangélisaient ces terres sur des barques de Vikings.

Le bateau féringien se construit aujourd’hui encore selon le même principe que le bateau Viking, soit une embarcation légère et solide aux lignes admirables prête à sillonner les creux et les crêtes de l’Atlantique.

Tout au fond, se dresse une peinture murale de 30 mètres de haut relatant une scène biblique avec en décor supplémentaire un long couloir qui se termine par le tapis même de l’église jusqu’à la porte sur 60 mètres de long.

A la sortie de l’église, se dressent sur un tableau mural une dizaine d’étranges épées électroniques de 30 centimètres de long. Ces instruments pareils à des clubs de golf ne sont en fait que des écouteurs pour malentendants.

Soudain, une musique hors du temps envahit les lieux et nous fige sur place. Sans réfléchir, j’escalade les marches des deux étages pour me trouver face à un orgue gigantesque, composé de 1 100 pièces mécaniques, qui du son affûteront chaque bémol et octave.

Sa petite barbe naissante, ses chaussures taillées pour maîtriser les clapets de l’organe, son assurance nordique et sa dextérité nous mènent directement au 7ème ciel. Là, en ce bout du monde, mes larmes s’échappent et mon extase n’a plus de frein. Le jeune orguiste barbu me ramène à l’année 1967 dans une cathédrale lointaine à Cologne en Allemagne, en présence du Général de Gaulle et de tant d’autres grands de ce monde qui venaient se recueillir au son de cette même musique sur la tombe du Chancelier Konrad Adenauer. Cette “Toccata et Fuga en Ré mineur” de Jean-Sébastien Bach nous bercera longtemps dans cette ville de Klaksvik où le temps a suspendu son vol.

 

Reprenant notre bus, nous traversons un long tunnel de prés d’un kilomètre pour retrouver la côte ventée et ce beau fjord.

A nouveau flottent ces cuvettes d’acquaculture dans le fjord que nous longeons.

Marita notre guide s’empresse de nous expliquer que cette nouvelle aquaculture procure prés de 20 000 tonnes de saumon au pays, à l’heure où la prise de poissons chute.

Ces énormes cercles colorés flottants sur les fjords bleus sont des bassins d’aquaculture pour le saumon. Ce saumon qui représente aujourd’hui 20% de l’exportation de la pêche féringienne ne connait guère et point la nouvelle concurrence d’I.T.T. qui a décidé d’implanter l’aquaculture du saumon au large du Chili.

Je repense à ce petit village proche du projet de tunnel qui devait relier l’île principale du pays à celle qui abrite l’aéroport international. Là, une rivière présente d’insolites marches d’escalier construites dans le creux du lit de cette rivière. Le saumon migrateur, à l’atavisme certain, revient toujours vers ses vieilles amours. La ponte se fait dans la rivière. Le bébé saumon ou “tacon” vivra deux ans dans la rivière, et n’aura ensuite d’autre souci que de descendre ce cours d’eau pour rejoindre l’Atlantique. Ce futur Grand Voyageur, pas encore membre du CIGV, errera des années au gré des tangages et des roulis, flots et replis. Heureux tout comme Ulysse, le saumon adulte de prés d’un mètre de long, à la mémoire d’éléphant, recherchera les traces de sa naissance et retrouvera sans compas, sextant ni Astrolabe, le nid de la rivière qui a vu éclore l’oeuf qui le couvait.

 

Les îles Féroé vivent ainsi de cette pêche dans un rayon de 200 miles marins qu’elles essaient de défendre aux voisins pêcheurs qui dépassent les frontières. A l’heure des grands navires qui pêchent le poisson le matin pour le sortir le soir déjà en boite stérile, le problème des eaux territoriales sera épineux.

Les Féringiens maîtrisent parfaitement l’art de la pêche, de l’Atlantique Nord à l’Arctique. Leur moderne flotte de pêche va ainsi du Groènland à Terre-Neuve en passant par le Svalbard, la Norvège et l’Islande et les Shetland. Et on comprend ainsi que le domaine de la pêche représente 98% des exportations des îles Féroé.

 

Ces cinq dernières années, le cycle climatique est complètement chambardé. Les vents sont plus violents et la pluie plus tenace et l’on ne voit même plus à l’horizon les coutumières baleines pilotes. Les connaisseurs prétendent qu’il faut attendre l’an 2000 pour de meilleures conditions climatologiques.

 

EN VILLE

 

Nous voici déambulant avec nos amis à travers Torshavn. Là, à la périphérie, c’est tout un quartier insalubre qui vient d’être rasé pour faire place à une chute d’eau houleuse et un mini parc dignes d’un Dysneyland. Plus loin, s’élèvent de bizarres murs en béton gris tous les six mètres. La mairie a simplement décidé d’élever l’armature des maisons et de vendre au futur propriétaire qui en achèvera la construction et l’aménagement, un terrain et les murs extérieurs de la maison. Le tout pour près d’un million de couronnes ou autant de francs français.

Le boulanger du coin qui reste ouvert de 7 à 23 heures et qui régale la capitale de délicieuses brioches croustillantes et fourrées, vient d’acheter deux de ces maisons pour avoir ces grands enfants à ses côtés tout en leur donnant une entrée voisine et séparée.

En bras de chemise, il affronte ses pots de peinture et met au point les boutons de cette grosse installation de chauffage électrique.

 

 Mais que diable font toutes ces petites cabanes noires de deux mètres sur un face aux maisons des Féringiens ? Ce sont tout simplement les réfrigérateurs géants et naturels de toutes ces maisons. C’est ici que les viandes sécheront, à côté des poissons salés. Le sel qui vient des Baléares ira s’incruster dans une morue fendue en deux. Une semaine plus tard ce même sel d’Ibiza moulu plus fin viendra ressaler la morue, après le départ de la saumure.

Dans un autre quartier, à l’autre bout de la ville, c’est ce même espace urbain que nous voyons avec une projection futuriste de dix ans. Ici, les maisons ont poussé sous forme de chalets multicolores avec un bout de jardin pavoisé de gazon, et luxe suprême, deux conifères argentins bien protégés des vents.

 

La pureté de l’air et l’absence de végétation et de population sur d’immenses surfaces donnent à ce pays une virginité écologique, ignorant de la pollution même le nom. La clarté de l’eau ne sera concurrencée que par cette pureté de l’air. Un air où les seigneurs volants, oiseaux de toutes couleurs aiment à se balader. Les montagnes de l’ouest et du nord avec les aiguilles rocheuses et les îlots déserts seront les pondoirs des oiseaux marins tels que les macareux, la mouette tridactyle, le guillemot, le blanc goémon et le noir et blanc petit pingouin tout comme ces deux curieux oiseaux : l’un nommé “fou” et consommé par plus d’un, l’autre le Tjaldur ou pie de mer au beau plumage et cris stridents devenu dès lors l’oiseau national des Féringiens dont il symbolise l’instinct de conservation et le vouloir de continuels progrès. Le 12 mars reste cette fête marquée par le son des cuivres et les rencontres populaires qui accueillent le retour du printemps et du Tjaldur suivi par les sternes, les passereaux, les mouettes, les canards et les échassiers de toute sorte.

 

AU RIO BRAVO

 

Ce n’est pas Fauchon ni Boccuse mais Mouldi MANAI, un jeune Tunisien expatrié depuis 30 ans qui tient la plus belle table des Féroé. Trois couples de médecins danois n’ont-ils pas dernièrement fait le voyage de Copenhague pour se payer un repas gargantuesque arrosé de flots de champagne à quelques milliers de couronnes ?

Imaginez un simple petit restaurant tout de bois construit et vêtu avec une dizaine de tables à banquettes où les serveuses feraient la une de Play Boy. Un maître cuistot applique à la lettre les recettes de Mouldi qui fera de votre viande un délice. Les sauces recherchées rivaliseront de fait avec les entremets, les tranches de saumon et les desserts savoureux..

Le problème au Rio Bravo, est de réserver les places trois jours à l’avance.

La discussion s’anime autour du vin qui n’est vendu à Torshavn que dans ce restaurant et deux autres bars, exceptés les deux hôtels bien sûr. C’est que l’heure de la prohibition aux Etats-Unis est encore toute fraîche aux Féroé.

L’histoire est curieuse. En début de siècle, devant affronter un océan fougueux dans de fragiles embarcations, les Féringiens téméraires et vaillants retrouvaient la terre pour se précipiter d’abord sur l’alcool. La soûlographie va si loin que le pêcheur buveur se voit obligé de vendre un bout de sa terre pour payer le tenancier du bar. Un jour d’été 1906, alors que les pêcheurs étaient en mer et que cette situation foncière empirait, le démocrate gouvernement local décide de passer au vote une loi pour interdire l’alcool. Les “malheureuses” épouses sont toutes présentes face aux urnes. La loi passe. La prohibition est née. Ces dernières années, la loi s’assouplit et permit les quotas. Le Féringien avait enfin le droit d’acheter 12 bouteilles d’alcool par trimestre et ce jusqu’en 1992. Cette année enfin, on n’est plus obligé de demander des exemptions pour un mariage ou un baptême puisqu’on a enfin des points de vente libre au pays.

 

Mouldi passe de l’histoire du vin à sa propre histoire. Dans les années 60 il quitte Tunis pour Lyon en France, et s’engage chez Renault comme mécano. Deux ans plus tard, le vaillant technicien monte à Paris et s’engage cette fois chez Peugeot, pour rencontrer quelques années plus tard quelque part dans Paris une charmante blonde viking.

 

TIMBRES-POSTE

 

Svanbjorg, cette belle blonde Féringienne, étudiante en langue française ne tarde pas à inviter son chevalier servant à passer le week-end prochain aux inconnues îles Féroé. Suivant son flair et son instinct, Mouldi ne se fait pas prier et décide dès son arrivée à Torshavn de ne plus jamais quitter cet archipel du bout du monde. Le mécano fondera le garage “Autosport” au 33 de la rue Torugota et commencera un juteux commerce de vente de voitures. Finalement, c’est un vieux et noir taxi londonien qu’il gardera en souvenir, en pensant à changer une nouvelle fois de métier.

 Dans ce pays où la température oscille pendant 12 mois entre 3 et 11 degrés et où toute baignade est impossible douze mois sur douze, le plaisir de la table est un délice qui perdure.

Sa fille Saloua qui a déjà 17 ans lui conseille également de se lancer dans la fine restauration et c’est ainsi que la seule grande table du pays est l’oeuvre d’un jeune Tunisien Mouldi MANAI qui pense plus tard construire une maison en Tunisie et avoir un pied à terre dans chacun de ses deux pays pour alterner soleil et vents, famille et grande famille.

Svanbjorg son adorable épouse et néanmoins Cigéviste a un métier tout aussi passionnant. Avec son calme légendaire et son cerveau en ébullition elle arrive à vendre à travers la planète l’équivalent de 27 millions de dollars US de timbres poste.

C’est en 1976, un an après l’apparition du premier timbre-poste féringien que les îles Féroé décident d’ouvrir leur propre service postal (Postverk Foroya).

Il fallait y penser, canaliser et réussir et elle l’a bien fait.

Quand on leur parle d’art et de sport, le couple résume en quelques phrases la vie de l’archipel:

Si l’aviron est le sport national des îles Féroé avec des embarcations typiques, les jeux de balle et d’équitation restent très populaires. Le 29 juillet, jour de la fête nationale (Olavsoka) marqué par l’ouverture du Parlement, est ponctué par une procession traditionnelle et les finales estivales d’aviron.

Le Moyen-Age revivra les soirs de danse où les danseurs se prennent la main pour former une ronde qui ondule et qui chante. Les poèmes scandés sont des récits épiques et ancestraux comptant souvent 200 vers chacun. Le meneur de chant à la prodigieuse mémoire entame les vers et imprime le rythme de la danse. Le refrain est vite repris et la foule suit. A l’heure actuelle, ce coin reculé d’Europe doit être le dernier qui rappelle la mystique et la mélodie du Moyen-Age autour d’une musique folklorique qui ne fait appel à aucun instrument.

 

Rached TRIMECHE

www.cigv.com