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SVALBARD THE TOP OF THE WORLD

 

 

Par Rached TRIMECHE

www.cigv.com

 

 

 

 

 

Longyearbyen (Août 1993). Cela fera bientôt deux heures que nous avons survolé le cercle polaire et nous voilà enfin en plein Océan Arctique, à la lisière de la calotte sphérique nord. L’aimable commandant de bord de notre minuscule avion invite son curieux passager du bout du monde à partager l’habitacle de son cockpit pour vivre un atterrissage sur un autre bout du monde.

 

Au loin, les icebergs dérivent sans se ressembler, précédés par des “Bourguignons” ou monceaux de glace flottants de quatre mètres de long, détachés de la banquise. Soudain, une verte et rase toundra se dévoile à l’horizon tout en faisant paraître une mini piste d’atterrissage dite “Aéroport International de Spitzberg” dans l’archipel de Svalbard.

Depuis mon départ de Tunis, c’est ce cinquième avion qui boucle les 28 heures de voyage non-stop pour tenter une exploration au pôle nord à l’heure du soleil de minuit.

A cet arrêt de Narvik, je repense à mes 20 ans et à cette même latitude polaire où j’étais à Kiruna, en Suède, proche de Narvik la Norvégienne. C’était mon premier grand voyage au nord, en auto-stop.

Notre petit avion Braathens au fuseau bariolé à la suédoise se faufile entre les collines comme un marsouin dans l’eau. Le paysage est divin. Le souffle est coupé. L’irréel est présent. Imaginez des dizaines de surfaces d’eau entourées et entourant des bras de terre. Ces fjords ou pénétration de la mer en terre, contrairement aux fleuves, sont ici une oeuvre artisanale et divine de fine dentelle. Les petits lacs se suivent sans se ressembler parmi les glaciers, le calme serein, le vide et le soleil de minuit. Dans cet aéroport de transit de Narvik, une belle plaque arbore six chiffres magiques précisant notre traversée du Nordkapp ou Cercle Polaire : 71° 10’ 21”.

Soudain, une toute petite voiture électrique surgit de nulle part pour venir au pied de la passerelle de notre avion et y accueillir un octogénaire passager handicapé. Je profite de cet arrêt pour faire le tour de l’aéroport. Les cinq voitures du parking sont curieusement munies de fiches électriques mâles qui sortent timidement du capot avant. Aucun étonnement à la chose, il fera bientôt -20 et -30 degrés et le moteur à essence ne démarrera pas sans le secours d’un apport électrique de quelques minutes pour chauffer le moteur. Plus tard, au Svalbard, on retrouvera devant chaque maison une grosse fiche femelle avec une rallonge qui ira vers les stoïques voitures qui auront passé dehors la nuit polaire, par -39°.

Entre Narvik et Tromso, pour tuer le temps je m’efforce de suivre les gestes de cette belle plante blonde de 1,78 m aux yeux bleus métalliques et au sourire carnassier. A 5 000 mètres d’altitude, cette habile hôtesse de l’air expose son jaune gilet de sauvetage qui arbore en prime pour l’océan Arctique un sifflet de sauvetage et une micro lampe de poche. Mais a-t-on seulement le temps de survivre sur ces banquises nordiques ?

Le choc climatique a commencé à Tromso, au nord de la Norvège s’étirant sur 1 760 kilomètres. A cette dernière escale, 5 degrés centigrades ventés nous fouettent le visage au bas de la passerelle. Il faut vite regagner l’avion pour endosser un premier sweatshirt par dessus une estivale chemise. Et me voilà avec 30 degrés de différence en 24 heures, joggant pendant 30 minutes sur la piste d’atterrissage de ce mini aéroport face aux visages amusés des agents portuaires.

Tout au fond de l’aéroport, un hélicoptère Super-Puma tout de noir vêtu, pareil à une grosse libellule s’apprête à quitter sa base pour l’océan Arctique et abandonner ce paysage de fjords, de lacs bleus, de buissons, de montagnes, de mauves et de lavandes pour affronter dans quelques heures la seule et unique toundra.

 

LONGYEARBYEN

 

En quittant l'avion je récupère mon seul bagage à main et sort rapidement de ce petit aéroport pour aller à la rencontre de cette terre du bout du monde. Un deuxième sweatshirt s’impose avec cette température au dessous de zéro et un blizzard fouettant. Je ne peux attendre une heure de plus le mini bus qui va récupérer la dizaine de passagers qui attendent leurs bagages et me décide à faire du stop pour rejoindre la capitale.

Grand, blond et fort, emmitouflé dans une chaude veste de fourrure et protégé par des bottes en cuir et des gants de laine, Norbert, pilote de métier m’invite à partager sa voiture de location pour rejoindre Longyearbyen. Deux kilomètres de piste souvent asphaltée sont la voie principale menant à la capitale. A notre gauche, l’océan Arctique se dévoile dans toute sa splendeur et son calme saisissant. A droite, une végétation où aucun arbre ne pousse couvre le sol d’un fin tapis de mousse, de lichen, de rares fleurs jaunes et blanches et d’herbes folles saisonnières.

L’aéroport est vide. Les quelques voitures isolées sont aussi muettes que ce gros bus rouge. Seul le bruit du silence amplifie ces lieux où le froid est de plus en plus intense. Mais que diable ai-je fait au bon dieu pour quitter la douce station balnéaire d’Hammamet en Tunisie et venir en exploration au Pôle Nord ? Et je pensais à ces vers de Charles Baudelaire :

            Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent

            Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons

            De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,

            Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Soudain, ce désert polaire s’anime. De la couleur. Imaginez la capitale du Svalbard sous la forme d’une cinquantaine de chalets noirs, jaunes, rouges ou verts, lovés entre deux collines nues. Le Kro motel est encore à 200 mètres au bout d’une piste défoncée et certes non  asphaltée. A quoi servirait donc l’asphalte au pays des motoneiges et des traineaux à chiens ?

 

GULF STREAM

 

S’il y a vie au Svalbard c’est uniquement grâce au passage du Gulf Stream. Ce grand voyageur marin a un cheminement très particulier. Entre le sud de l’Afrique et de l’Amérique Latine un gigantesque courant marin froid et circulaire tournoie au coeur de l’Atlantique. C’est au large de Mexico que se forme un autre courant, le Gulf Stream, un courant marin chaud qui monte vers l’Atlantique nord et l’océan Arctique avec une fine et dernière branche qui se meurt au large du Svalbard. Le choc nordique entre un Gulf Stream à 28 degrés et un courant marin polaire à 3 degrés enfante une eau tempérée qui engendre un plancton. Le courant marin passe ainsi  du mélange horizontal au mélange vertical. Cela permet ainsi aux planctons et algues de remonter à la surface et d’assurer la vitale photosynthèse, donc la vie. Ce plancton est source de phosphore (P) et de nitrogène (N) qui sont sources de toute vie. Les poissons et les oiseaux sont les premiers clients de ce plancton. Le renard polaire se nourrira ainsi d’oiseaux.

Grâce aux poissons, le phoque peut se nourrir et servir lui-même de pâture, en haut de cette pyramide animale, au roi des animaux polaires, l’ours blanc que nous essayerons de rencontrer.

Dans un monde plus lointain, au large du Pérou et de la Mauritanie par exemple, nous retrouvons ce phénomène de courant marin chaud qui monte vers les côtes tout en entraînant vers le haut les précieux phosphore et azote, fournisseurs attitrés de plancton et d’algues, donc de vie. Les Incas d'antan utilisaient bien au Pérou la “Harina del Pescado” comme ciment pour la construction, tellement le poisson était abondant. Quand à la fertilité des eaux mauritaniennes, elle est source d'une grande économie régionale qui attire même les chalutiers japonais et italiens.

Les mers de Behring, du Nord et de Berents sont des mers continentales aux courants marins verticaux contrairement aux océans qui ne sont que des déserts biologiques aux courants marins horizontaux.

Il est temps maintenant d’aller à la conquête de Longyearbyen.

 

SVALBARD POSTEN

 

Tor Ole aux fines lunettes d’écailles et en simple tee shirt blanc nous reçoit dans son bureau directorial du journal Svalbard Posten qu’il dirige avec deux autres personnes. L’unique journal de Longyearbyen est édité tous les vendredi à 2 400 exemplaires pour 1 000 habitants. Très fier de son journal, Tor Ole, notre premier contact au pays, nous fait remarquer que les personnes exilées dans ce bout du monde ne manquent pas d'envoyer le Svalbard Posten à leur famille restée à Oslo ou ailleurs, pour leur donner des nouvelles de Spitzberg.

Trois petites salles forment l’ensemble de ce journal. Mon premier contact, dans ce 106ème pays visité est établi et un emploi du temps est vite mis au point.

 

LA TOUNDRA

 

Dans un monde où la neige et les glaces recouvrent le sol neuf mois sur douze, il ne faut pas s’attendre à voir des buissons et des forêts. Nous sommes dans un monde comparable au Sahara nord-africain où la pluviométrie ne dépasse pas 300 mm par an.

Le phénomène végétal est très simple. deux problèmes majeurs empêchent la vie végétale. Tout d’abord, il suffit de creuser le sol d’un mètre pour trouver de la glace en plein été boréal. La glace est donc présente en terre les douze mois de l’année.

Secundo, la décomposition végétale est ainsi extrêmement lente et prive la terre de tout terreau, au Svalbard, en Sibérie, au Groènland, en Alaska du nord et au Canada du nord, toutes régions de toundra.

Cette toundra (ou “tundra” en russe) est un simple tapis végétal discontinu, riche de graminées, de lichens et même d’arbres nains que je verrais un soir chez le dentiste du village dans un vase de fleurs. Un simple vase blanc de 15 centimètres de haut qui porte une plante de 10 centimètres qui n’est autre qu’un arbre centenaire. C’est qu’à chaque hiver, une nouvelle couche de glace cache ces nouvelles plantes qui renaissent l’été d’après sans croître.

 

Mais où sommes nous donc en ces terres lointaines ?

L’archipel de Svalbard ou “Pays aux froides côtes” s’étale sur 63 000 m2 en plein océan Arctique, entre 74 et 81 degrés de latitude nord, soit au sommet de la planète.

60% de la dizaine d’îles du Svalbard sont recouvertes de glaciers. Spitzberg, la plus grande de ces îles recouvre plus de 50% de la surface de l’archipel. La température de ce pays varie de -39 à +11 degrés durant l’année avec une moyenne de -14 en hiver et de +4 en été dans la capitale. 4 200 habitants peuplent ces terres boréales, en tenant compte bien sûr des 2 000 Russes lovés dans les villes russes de Pyramiden et de Barentsburg que nous visiterons en cours de reportage.

 

HISTOIRE

 

En 1596, sur une solide embarcation de fortune, le vaillant et intrépide Willem Barents débarque aux îles Svalbard. Le navigateur hollandais tourne ainsi une nouvelle page de l’histoire du pays en nommant l’île principale Spitzbergen en découvrant ses “Hautes montagnes pointues” pouvant atteindre 1 717 mètres. Mais le “Pays aux froides côtes” fut découvert quatre siècles plus tôt par les Vikings selon des documents découverts en Islande. Au 17ème siècle, l’intense chasse à la baleine attire aussi bien les Hollandais que les Anglais, les Danois, les Norvégiens et même les Basques. Un siècle plus tard, les trappeurs russes font la chasse aux fourrures et aux duvets tout en laissant aux Norvégiens le soin de traquer le phoque.

Au début de notre siècle, un nouvel Eldorado naît avec la découverte du charbon. Mais le conflit entre diverses puissances impose la tenue d’une conférence internationale à Paris. Le traité de 1920 est signé à Versailles par 42 pays dont la Norvège, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne par exemple. Cinq ans plus tard, l’Allemagne se rallie à ce traité tout comme la Russie en 1935.

Ce fameux traité donne à la Norvège une souveraineté absolue sur le Svalbard tout en permettant aux autres puissances d’exploiter les ressources minières du pays. Cette enclave boréale est donc politiquement norvégienne tout en étant complètement démilitarisée (selon l’article 9 du traité) et ouverte à la recherche scientifique, volcanique, océanographique et maritime.

 

Un jour de 1906, John Munroe Longyear (1850-1922), un célèbre homme d’affaires américain, de passage pour la deuxième fois au Svalbard se décide à acheter une concession minière à l’emplacement même de la capitale actuelle à laquelle il donna son nom : “Longyear City” ou “Longyearbyen”. Avec son associé Frédéric Ayer, il construit les premières maisons de Longyear City et ouvre la mine de charbon n°1 que sa puissance financière permet d’exploiter, avant de revendre le tout dix ans plus tard à la toute puissante société norvégienne S.N.S.K (Store Norske Spitzbergen Kullkompani), l’actuelle propriétaire de facto de Longyearbyen.

 

THE HUSET

 

Comment gérer le loisir des 1 000 habitants de Longyearbyen quand on habite le sommet de la planète ? Huset (LA maison) répond à ce besoin. A deux kilomètres du centre-ville, au bord d’une rivière et à flanc de colline, se dresse une énorme baraque rouge et blanche. Le premier étage est une salle de cinéma. Au rez-de-chaussée, un hall sert de kiosque à journaux avec à sa droite le plus fin restaurant de Svalbard. Baleine, phoque, saumon fumé et champagne trouvent amateurs à toute heure.

Les experts et les “Commandants Cousteau” de tous bords ne sont-ils pas légion au Svalbard ? Mais c’est à gauche du hall que s’ouvre le bar-café. Imaginez un pub anglais aux fenêtres à doubles rideaux épais qui empêchent tout soleil de minuit de passer. Sur la droite, derrière un bar très vieille Angleterre, deux demoiselles en jupe noire et chemise blanche immaculée arborent une coiffure du siècle passé et un sourire figé, derrière un beau Viking de 1,90 m, blond, filiforme et moustachu tout aussi muet. Pour 40 couronnes norvégiennes, l’équivalent de 40 FF le verre, la bière pression file comme des petits pains. Et au prochain ! Les tables sont hautes et les chaises inconfortables, avec une disposition dans la salle qui ne facilite guère les contacts. Cette monotonie disparaît les fridays (comme ils disent).

Effectivement, dès le vendredi soir toute cette salle se transforme pour trois nuits consécutives en salle de danse où les flots de bière, de champagne et de vodka suivent le rythme assourdissant des haut-parleurs. Les 1 000 habitants semblent s’être tous donnés rendez-vous à la fois en ce lieu pour finalement arrêter net toute activité à 1 h 30 du matin précise. Les rideaux s’ouvrent brusquement et une blafarde lumière envahit les lieux. Tout le monde se précipite sur la blonde et souriante vendeuse de saucisses à la moutarde, nichées dans des petits pains chauds.

Un gros bus rouge de 50 places attend ses passagers. Nous sommes dans une République policée, personne n’a le droit de conduire au Svalbard s’il a bu plus d’un verre de bière. Les voitures passeront la nuit devant le Huset et pour 10 couronnes, tout ce monde se retrouvera à la place centrale de Longyearbyen pour décider de la suite de la fête. A chaque fin de soirée, une jeune dame entreprenante et sympathique saura ouvrir sa maison à toute cette foule réunie, jusqu’à 7 heures du matin, noyée par les vapeurs éthyliques et la fumée des cigarettes en mélangeant les “God Aften”, les “God Kveld” et les “God Morgen”, le jour et la nuit.

 

NATURE

 

En quittant mes nouveaux amis à 23 h 30 par un soleil écarlate, on me fait revenir dans cette somptueuse salle à manger toute de bois blanc vêtue. Cet intérieur de chalet arbore en bout de pièce sur une table basse de mystérieuses roches noires. Edita notre hôtesse se décide à m’offrir religieusement une de ces reliques. Imaginez une simple pierre noire et légère, polie d'un côté et caverneuse de l’autre qui présente la trace intacte d’une feuille.

Il y a 60 millions d’années, le climat de Svalbard était tropical, avec non seulement des dinosaures mais aussi des sauriens, des poissons et des plantes de toutes sortes, d’où sa richesse actuelle en fossiles.

C’était l’époque où toute une forêt couvrait le Svalbard, c’était l’époque des dinosaures dont le riche et petit musée de Longyearbyen présente les traces de pas en fossiles géants. Cette petite pierre noire est également un fossile de 60 millions d’années.

Les montagnes du Svalbard sont formées de couches sédimentaires avec des roches tendres telles que les schistes, le grès et les calcaires. Un véritable paradis géologique pour remonter l’histoire du temps. les gisements de charbon se sont ainsi formés au cours des différentes périodes géologiques. Aujourd’hui, seuls les Norvégiens et les Russes dans deux enclaves distinctes continuent d’exploiter ce non rentable charbon avec chacun près de 500 000 tonnes par an. Ces roches renferment également du phosphate, de l’amiante, du cuivre et du fer, mais en quantité trop minime pour être exploitée. Le forage du pétrole et du gaz serait sûrement plus alléchant.

 

GREEN LIGHT

 

 L’histoire du “rayon vert” trouverait peut être une explication à Svalbard. Du 15 Novembre à la fin Juin, c’est la nuit complète, à 100%. De Juin à Novembre, le paysage est bleu ! Un bleu métallique, irréel et sombre. En Mars-Avril, quand le ciel boréal est tout noir et que la lune et le soleil sont complètement absents, il est possible d’apercevoir les lumières boréales. c’est surtout pendant les nuits polaires que de petites particules électriques en mouvance rapide créent un magnétisme par un long processus électrique. L’oeil averti pourra alors observer pendant une longue minute le célèbre rayon vert et d’autres lumières rouges, jaunes et bleues dans un monde surnaturel et unique.

 

EXPEDITION A PYRAMIDEN

 

C’est un problème de froid. De grand froid. Le blizzard, ce vent coquin et glacial ne cesse de nous importuner depuis 24 heures et contrairement à mes amis explorateurs, je n’ai pensé ni à une nourriture lyophilisée ni à des vêtements adéquats.

A la guerre comme à la guerre. La deuxième paire de chaussettes est vite enfilée mais les vraies chaussures polaires feront toujours défaut. Un second pantalon est enfilé sur le premier. Le vent cinglant passera à travers le premier pantalon puis sera freiné par cette zone nouvelle d’air chaud créée entre les deux toiles. Faute de tricot de peau, oublié à Tunis, la deuxième chemise sera couverte par deux ou trois sweatshirts. Mais reste le couvre-chef ! Le départ à Pyramiden serait peut être et en outre la solution du chapeau.

Lors du traité de Versailles de 1920 signé plus tard par la Russie, il fut permis à une quarantaine de signataires d’exploiter les gisements du Svalbard. C’est ainsi que plus de 50% des 4 200 habitants du Svalbard sont russes.

La ville de Pyramiden est une des deux enclaves russes au large de la Sibérie. J’attrape mon grand bateau noir au quai de Longyearbyen à la dernière seconde. La passerelle est tirée par deux cordes alors que je suis encore dessus. Une cinquantaine de vaillants explorateurs scientifiques ou voyageurs perdus font partie du voyage.

Au bout de deux heures, le paysage du fjord ne change guère. Les falaises nues sont grises et les fissures des siècles bien profondes. Des mouettes et des sternes arctiques au bec noir et au plumage blanc étincelant nous escortent comme des motards policés en poussant de temps à autre un cri strident qui me ramène en pensée et souvenir au détroit qui sépare le nord du sud de la Nouvelle Zélande en 1971.

Les fjords de Kongsfjorden, de Ny Alesund et de Isfjorden pénètrent profondément les côtes du Svalbard au pied de fascinantes montagnes de glace.

Soudain, la visibilité s’arrête à deux mètres. Je suis obligé de sautiller pour ne pas geler car je refuse de quitter le pont. le spectacle en vaut la peine. Venus de nulle part, des milliers de “bourguignons” ou immenses blocs de glace de 2 à 20 mètres de long surgissent. En forme de champignons nucléaires, de pins parasols, de boules bien rondes, de fleurs et d’animaux, les milliers de glaces flottantes nous empêchent d’avancer. Un mètre tout au plus. Le courant marin a dû changer de cours et les vents de direction. La banquise s'effrite et les bourguignons nous stoppent. Le plus extraordinaire est cette couleur bleue reflétée dans la glace flottante qui devient une sorte de cristal de Bohême ou de Venise flottant à la surface de l’Océan Arctique. La filtration des ultra-violets en est le pinceau créateur.

Faute de brise-glace, nous rebroussons chemin et changeons de cap. Je repense à la ville de Petra en Jordanie que je ne pûs visiter en décembre dernier à cause de la neige qui en empêchait l’accès à 12 kilomètres de l’arrivée (voir Astrolabe 38).

 

ICEBERGS

 

Mais comment diable naissent ces cathédrales flottantes, ces géants aux pieds de glace qui atteignent souvent 800 mètres de long sur 500 mètres de large et 80 mètres de haut, avec 89% de leur volume sous l’eau ?

Ce sont de véritables glaciers à la dérive. Si les Américains donnent un ou deux prénoms féminins annuels aux cyclones des Caraïbes, les Esquimaux donnent eux un nom plus prosaïque à ces mastodontes flottants. Le “Chapeau anglais” suivra la “Forteresse” et la “Cathédrale” par exemple. Une pieuse pensée au seul et unique voyage, le 14 Avril 1912, du superbe navire, le Titanic qui coula sous la bise d’un iceberg.

La glace naît avec le blizzard qui attaque la montagne en collant sa neige aux grandes calottes glaciaires appelées “Inlandsis”. De cet ensemble s’échappent quelques piques appelées “Nunataks” et plus bas, la calotte s’effiloche en “Séracs”, icebergs et “Bourguignons”, trois formes de glace flottante sur l’Océan Arctique.

Mais toute cette glace a une vie magique et réelle à la fois, tel ce glacier “Negribreen” qui avance de 35 mètres par jour malgré ces 15 kilomètres de largeur. Dire qu’un jour l’Arabie Saoudite a songé à acheter ces cubes de glace pour la boisson de ses villes !

 

Le professeur Tor B. ARLOV, explorateur au Svalbard, lors d’une tardive soirée au Huset me précise enfin le b.a.ba de la glace. par une simple phrase. la banquise est une eau de mer qui gèle par très grand froid tandis que la glace est un plasma vivant qui forme un glacier ayant pour base la terre contrairement à la banquise qui flotte sur l’eau.

 

Fine et longiligne, emmitouflée dans trois gros pull-overs rouges, Lis s’excite en montrant du doigt un point invisible. Elle croit percevoir l’Ile aux Ours. Il est vrai que la brume est dense et la visibilité nulle. Complaisante, la galerie de fortune écoute le laïus de la scientifique.

Le grizzly de l'Alaska est comme le tigre du Bengale le plus grand carnivore du monde. L’ours polaire que Lis croit deviner, avec ses 600 kilos (400 kilos pour les femelles) et une moyenne de 3 mètres de haut reste l’animal le plus agressif et le plus dangereux du Pôle Nord.

8 000 ours blancs peuplent ces terres boréales et nous attendons tous la chance d'en apercevoir un. Mais la vraie Ile aux Ours n’est pas sur notre chemin. Kongsoya est à 300 kilomètres au nord-est de Longyearbyen.

La mise au monde des oursons est un poème. C’est souvent en avril que la maman ours est fécondée. Le froid polaire ou la biologie des ours blancs fait de sorte que le foetus fraîchement formé ne croît pas jusqu’en octobre. Après cette saison de sommeil, la gestation reprend son cours pendant 3 mois et finit par donner en décembre trois oursons aveugles de 3 kilos chacun. Au mois d’avril suivant, l’ourson pèsera 20 kilos et ne lâchera point sa mère durant un an entier pour atteindre 100 kilos de liberté.

 

BARENTSBURG

 

En fin de journée, le ventre creux et les idées noires nous découvrons du haut de notre pont avant, avec joie et cris une terre habitée. Oui, nous sommes en territoire russe, à Barentsburg, une ville-pays de 1 000 habitants qui mérite à elle seule tout un voyage.

Soudain, notre bateau s’arrête et une chape de silence tout aussi épaisse que la brume semble nous écraser. Une voix fluette s’échappe de la terre qui reçoit notre navire pour nous souhaiter en anglais une chaleureuse bienvenue. Nos marins habiles amarrent notre noir navire à ce quai de fortune qu’ils rallient par un petit pont mobile métallique et grillagé. Nous voici les premiers à poser le pied sur un territoire russe. Nous sommes à Barentsburg, une enclave sibérienne du pôle nord. La voix fluette prend forme sous le manteau au col de vison d’une fine et belle blonde fille de Géorgie. Gilbert Bécaud aurait trouvé son guide en cette Nathalie.

La première surprise à la descente de Barentsburg est de voir pour la première fois au pôle des maisons construites en dur, contrairement aux baraques-chalets de Longyearbyen. Curieusement, dans ce port je ressens le même frisson qu’aux Iles du Salut, au large de Kourou en Guyane Française. Cette enclave russe du bout du monde a tout du bagne solitaire.

Et pourtant, c’est peut être cette haute et rouge cheminée crachant une sombre et dense fumée qui reste la raison d'être de la vie même sur cette terre de Barentsburg. C’est en effet une mine de charbon exploitée depuis près de trente ans qui retient sur ce site 1 300 Russes dont 120 enfants et 300 femmes. La vie de mineur n’est pas une sinécure. Le contrat est de deux ans non-stop avec un salaire majoré de 50% et au retour un congé payé de six mois. Le tout est de tenir deux ans sans femme, sans bouleau de Moscou à écorce blanche, sans alcool à gogo et surtout sans horizon verdoyant.

Laura, ancienne professeur d’anglais à l’université de Kiev en Ukraine, parfaite épouse fidèle, se convertit en guide à Barentsburg pour accueillir le bateau hebdomadaire des explorateurs de passage.

Ses jumelles de 11 ans, délicieuses blondinettes l’occupent le reste de la semaine et remplacent auprès de leur mère le papa absent, ingénieur principal dans les mines de l’île.

 

Un pays en autarcie complète, telle est la ville de Barentsburg. Cette cité

encerclée par les glaces n’est ouverte à la circulation maritime que quelques petits mois par an. Il faut donc penser à pouvoir vivre et survivre. Quand la mer le permet, le charbon est exporté vers la première ville russe importante, Murmansk, aux confins de la Finlande et de la Russie. Après deux jours et demi de mer seulement. Tel est le sort des 500 000 tonnes de charbon produits par an.

Laura, notre guide au verbe gai nous mène tour à tour visiter les points sensibles de son île. La première surprise est celle d’un tableau de 20 mètres de haut sur la place centrale. Imaginez une peinture rupestre des bouleaux de Moscou qui vous redonnent cette impression bucolique de verdure et d’évasion.

Comment nourrir les 300 mineurs, les 500 techniciens et le reste des 1300 habitants ?

Ce premier hangar est une étable avec 22 vaches. Imaginez notre surprise devant cette grosse vache laitière noire qui nourrit les enfants du village. Plus loin, une gigantesque serre produit 4 tonnes de tomates. 700 cochons et 2 300 poules forment le reste de l'Arche de Noé. Cette curieuse bâtisse blafarde et imposante en haut de cette colline est la résidence du Consul de Russie, l’homme qui a tous les pouvoirs politiques mais qui en fait n’est pas aussi important que le directeur de la mine, vrai maître de l’île et qui se contente d’un deux-pièces.

Dans cette ville-Etat, Laura est fière  de nous présenter une immense piscine couverte chauffée qui à notre avis n’a pas reçu de visiteurs depuis un mois. Le communisme est-il donc bien mort et la parade aussi vivante ? l’après Gorbatchev ne semble pas avoir également atteint ce mirifique hôtel du bout du monde où on est prié de consommer une bière qui coûtera 6 fois celle de Genève et d’acheter un tee shirt qui coûtera 10 fois celui de Paris. Cet hôtel semble plutôt servir à certaines coquettes demoiselles en micro jupe bleue, à cette boutique non pas hors taxe mais hors prix et à certains responsables de mines qui doivent  bien trouver leur compte.

Avant de rejoindre notre quai nous voici sur la place du marché arborant une énorme étoile rouge moscovite et sur un flanc de colline ces lettres gravées sur la pierre : “MIROU MIR” ou “Paix pour le Monde”.

Le plus important et presque vital est encore à faire, il s’agit de dénicher dans ce marché de brocante un couvre-chef bien chaud. C’est finalement une toque de vison noir portant l’insigne métallique de l’Armée Rouge qui fera mon bonheur pour l’équivalent de 100 couronnes norvégiennes.

L’armée de l’ancien empire soviétique ne brade-t-elle pas ses sous-marins atomiques au Moyen-Orient et la tenue de ses officiers à tout détenteur de dollars. Le rouble à l’inflation au triple zéro ne vous laisse plus que deux choix : acheter tout ce qui est achetable à la minute même où vous disposez de roubles, ou bien se procurer des devises qui peuvent être stables.

Langoureuse et placide, la sirène de notre navire annonce le départ. Les chaudes larmes de Laura devenues visibles et l’émotion de tous les passagers quittant cette enclave de 1 300 héros d’un autre âge prononcent cette séparation polaire.

 

ANIMAUX

 

Au pays des “Esquimaux” (les Inuits) ou mangeurs de viande crue, la vie explose avec la fonte des neiges, c’est l’été arctique que nous découvrons ce soir à 22 heures, en bord de mer, sous un soleil écarlate.

Un sterne aux ailes déployées et au bec recourbé fonce droit sur nos têtes. Voulant protéger sa couvée, il essaie de faire fuir ces bizarres animaux humains qui la dérangent. Nous sommes dans un pays où les oiseaux vivent par dizaines de millions. Ce même sterne n’émigre-t-il pas à l’île Bird Island aux Seychelles pour revenir l’été suivant au Svalbard ?

Mais la faune est diverse. Les jeunes bécasseaux violets rivalisent d’ardeur avec les oies aux chauds duvets, les goélands blancs, grands amateurs de poisson, tout comme les grandes labbes aux plumages gris ou les bruants des neiges. Au Svalbard, la nature divine étale ses lettres de noblesse. Imaginez ce cycle de vie sur une falaise glaciale. Le plancton donne naissance aux poissons vivant au bas de la falaise. Les excréments d’oiseaux accrochés aux flancs de la falaise nourrissent également ces poissons qui seront la proie de tous les oiseaux de mer. Ces mêmes oiseaux permettent la présence sous leur falaise des ruminants et des prédateurs qui sont liés au cycle des déjections de ces oiseaux de mer.

 

Notre promenade est interrompue par le bruit d’une légère cavalcade.

L’intrus est un renne gros et trapu. Ses bois ou cornes gigantesques lui donnent un aspect irréel. A la naissance des bois, si le premier embranchement est plat et rectiligne, ce sera une femelle. J’apprendrai plus tard que c’est au moment de leur mue annuelle que ces chastes rennes se disputent la femelle. Le combat ne cessera qu’à la tombée des bois.

Ici, le renne est appelé “Caribou”. Sa légendaire survie au froid est liée à son alimentation de simple lichens et à son manteau de fourrure de 5 centimètres d’épaisseur, constitué de poils cylindriques creux contenant de l’air. Si le renne de Svalbard paraît aussi gros, c’est que d’une part il profite de cette belle saison pour manger le maximum de toundra, et que d’autre part une bactérie intestinale augmente de 40% l’utilisation de sa nourriture. Sédentaire, il économise une précieuse énergie dont il aura besoin lorsque la glace envahira la contrée. 10 000 rennes sont ainsi protégés sur ces terres. Les femelles rennes sont les seules femelles du monde à porter des cornes. Le Svalbard autorise quelques jours par an la chasse du renne à raison de deux bêtes par personne.

 

Le boeuf musqué du Spitzberg est beaucoup plus rare, tout comme l’ours et le lynx. Mais la nature est bien faite et chacun trouvera son prédateur pour l’équilibre écologique de la calotte sphérique.

 

Que dire de ce petit mammifère de 15 centimètres et de 100 grammes appelé Lemming, le rongeur des neiges qui se gave de racines et de feuilles tout en vivant à 10 000 exemplaires sur un km2 de toundra ? Les renards et les chouettes raffolent de ce boudin rongeur. Il y en aura pur tout le monde puisque la femelle lemming met bas en moyenne 6 jeunes toutes les trois semaines.

 

La chouette Harfang, dite “Fée du Svalbard ou des neiges” est un rapace nocturne, actif de jour et qui peut avaler un lemming tout entier.

 

Le renard polaire à la vivacité légendaire ne dépasse guère 4 kilos de poids et 95 centimètres de longueur y compris une queue touffue de 30 centimètres. Curieusement, ce renard blanc en hiver, bronzera en été avec une robe brune très claire sous le ventre.

Quand au renard bleu, sa fourrure est d’un bleu sombre qui fait courir hélas plus d’un chasseur. Mais à vrai dire, tous les renards polaires naissent bleus et c’est la deuxième semaine de vie qui marquera la différence de couleur blanche ou bleue. Ce renard se nourrit de tout ce qu’il trouve, des charognes aux insectes en passant par les poissons et les oiseaux. Au Svalbard, sa chasse est strictement surveillée pour éviter son extinction et pour permettre en outre aux villages esquimaux isolés de trouver une viande à leur portée.

 

Le plus grand mammifère du monde, la baleine atteint au Svalbard 35 mètres et dépasse les 100 tonnes. Les baleines ou “Hvaler’s” sont la cible préférée en 1993 de Greenpeace en Norvège. Mais tout cela est un faux problème puisque le pays n’autorise que la pêche de 141 baleines par an du type “Vagehva-Balaenoptera” de 10 mètres de long maximum. La chasse de la baleine bleue reste elle strictement interdite.

 

Les 7 espèces de phoques de la banquise sont hélas abattues pour leur fourrure. Seule l’Alaska abrite les otaries ou “lions de mer” de 300 kilos. Le phoque marbré au pelage variable est souvent présent sur un bourguignon flottant, fuyant l’ours blanc dont il constitue 90% de son régime alimentaire.

 

Le morse, muni de défenses d’ivoire et de pattes palmées démesurées accompagne sans peur aucune tout bateau qui s’aventure sur ces mers de glace.

 

CHEZ LE GOUVERNEUR

 

Sur simple présentation de ma carte de presse, un rendez-vous m’est vite accordé avec le Sesselman, Odd BLOMDAL ou Gouverneur du Svalbard, mais pour dix minutes seulement...

Dans un confortable salon de cuir noir, avec une immense baie vitrée dévoilant le port de Longyearbyen et un flanc de montagne nue, notre dynamique gouverneur en pull beige à col roulé et jean Levi’s 501 m’invite à partager son thé. “Vous voyez là sur la colline d’en face, quand elle est toute de glace parée, on a ainsi la chance de voir de ce bureau un ours polaire.” Il éclate de rire tout en me confiant qu’il n’a eu cette chance que deux fois en deux ans. C’était sûrement l’époque des phoques maigres où l’ours abordait la ville pour essayer de se nourrir.

D’une longue discussion d’une heure trente à bâtons rompus se dégage l’idée suivante.

Depuis l’arrivée du Sieur Longyear en 1906, la situation désertique du Svalbard a bien changée. Les mines de charbon ne sont plus rentables. Il ne reste en exploitation que les mines numéro 3 et 7. La 8ème sera créée malgré le coût de un milliard de couronnes norvégiennes. La réalité est plus amère puisque les mines de charbon actuelles reviennent à plus de 20 millions de dollars US de subvention par an par l’Etat norvégien pour maintenir ainsi sa souveraineté sur le Svalbard.

Le charbon produit est si peu concurrentiel et le transport si onéreux qu’il est préférable de le brûler et de le transformer en énergie électrique offerte gracieusement aux 1 000 habitants de Longyearbyen. Ici, l’électricité est vitale. On chauffe 12 mois sur 12, l’habitation, les conduites d’eau, les véhicules et les lieux communs, sans parler des nuits polaires qui ne connaissent de la lumière du jour que le nom.

En 1997, la mine 3 fermera et 70 kilomètres plus loin commencera la construction de la mine 8 qui n’entrera en production que 13 ans plus tard par le holding norvégien “S.N.S.K.” qui supporte finalement le déficit global de Svalbard de 50 millions de dollars. Longyearbyen devient ainsi la propriété de “S.N.S.K.”.

 

LES TROIS HORIZONS DU SVALBARD

 

“Quand j’étais Procureur Fédéral de la Norvège, m’explique le Gouverneur, je voyais le Svalbard comme un lieu d’évasion et le jour où je vis une annonce sur la presse locale demandant des candidats pour le poste vacant de gouverneur au Svalbard, en toute démocratie, ma simple lettre a été retenue. Me voici plein de passion pour la naissance d’un autre Svalbard.

Nous avons construit un aéroport, nous entretenons 400 mineurs russes, nous maintenons un total de 4 200 personnes (dont 2 200 Russes) dans tout l’archipel. Nous encourageons les Norvégiens par un salaire qui ne connaît que 4% d’impôts, l’absence de TVA de 24%, des marchandises électroniques et électriques qui sont très bon marché, et un modique loyer de 100 dollars par mois, soit 6 fois moins qu’à Oslo.

Toutefois, ils ne peuvent avoir qu’un contrat de travail de 2 ans qui ne peut être prolongé que d’une année. Il ne s’agit pas d’avoir des enfants et des personnes très âgées au Svalbard qu’on ne saura entretenir ni soigner. Nous avons besoin d’une force vive et dynamique pour affronter les nuits polaires et le développement du pays. Le Svalbard doit être le seul pays au monde où la pyramide des âges est d’une étrange configuration en s’étalant presque uniquement au pied des 20/45 ans.

Le mineur norvégien peut gagner 3 000 dollars par mois, tandis que son confrère russe n’en gagnera que 100, soit 4 heures de travail pour l’un équivalant à un mois pour l’autre. La Russie par exemple, avec une main d’oeuvre bon marché n’attendrait que le départ des Norvégiens pour conquérir Longyearbyen en vue du traité de Versailles de 1920.”

 

Le triple nouveau destin du Svalbard est la passion du Gouverneur : Tourisme, Recherche Scientifique et Universités polaires.

Le tourisme dote le pays d’une centaine de lits, souvent précaires. Un méga projet touristique envisage la construction d’une nouvelle unité de 50 chambres. C’est que 18 000 passagers par an accostent le Svalbard. Mais les grands navires nordiques n’y font escale que pendant une heure ou deux. Il suffirait de leur faire passer la nuit à terre pour que le tourisme actuel quadruple.

Mais le problème majeur resterait la surveillance des touristes non initiés qui croient venir en vacances au Svalbard sans précaution aucune. “Une heure d’hélicoptère nous coûte une fortune, et que de recherches hebdomadaires devrons nous effectuer pour retrouver tel touriste isolé dans les glaces, jeté en proie aux dangereux ours polaires.” Tout en sachant que le tourisme de Svalbard est un tourisme de luxe qui revient à 1 000 $ US par jour. Donc ces voyageurs ne seront pas regardants à la dépense.

La deuxième porte de sortie est strictement scientifique. “Les Américains, les Japonais, les Nordiques et les Européens souhaitent tous avoir un point de chute chez nous pour étudier la lumière polaire, la vulcanologie, le mouvement des plaques terrestres, les animaux du Nord et la mouvance des glaciers.” A vrai dire, l’université sera le troisième nouveau pôle d’attraction après le tourisme et la recherche scientifique. La toute dernière université est dite arctique et commence cette année avec 23 étudiants. Elle en comptera 100 cette année.

 

CONSTRUCTION

 

Ce matin, en quittant mon hôtel, je salue à nouveau ces courageux ouvriers. Cela fait deux jours que j’admire ces ouvriers en bras de chemise par un froid polaire s’accrocher au toit de cette baraque de bois blanc qui ne cesse de pousser. Quand on habite au Svalbard et qu’il s’agit de doter la capitale d’une maison nouvelle, on passe une commande ferme à Oslo. C’est toute une équipe qui arrive par avion accompagnée d’un chalet en “pièces à monter” tel un mécano. Profitant du soleil de minuit, c’est 24 heures sur 24 que le travail se fera pour mettre cette maison sur pied. Le plus inquiétant est cette tuyauterie noire qui sort du chalet. Imaginez trois tuyaux parallèles : le premier amène l’eau chaude d'une centrale commune en ville, le second amène l’eau potable d’une citerne commune, et le troisième évacue les eaux usées dans une fosse commune. La ville mouchoir de poche gère ainsi ses canalisations.

Nous avons faim. Où aller déjeuner ?

 

A la déception de tous les touristes, le Kafé Busen n’a aucune poitrine (Busen en allemand !) à offrir mais un beau fast-food propre et rapide. C’est là que je découvre le “Geitost” ou fromage brun sucré et râpé par une pelle métallique. Un délice sans pareil. La coiffeuse, le banquier et le postier se donnent ici rendez-vous pour la pause de midi.

 

LA DRESSEUSE DE CHIENS

 

Il est 23 heures, la nuit est ensoleillée et la seule route qui longe le fjord de Longyearbyen est déserte. Soudain Tor Ole freine brusquement à ma demande. Ce n’est pas un mirage, mais bien tout un chenil de chiens que nous venons de dépasser.

Imaginez une quarantaine de box en bois abritant chacun un énorme chien qui du loup a toutes les vertus. Nous sommes en présence de “Polar dogs”. Ces chiens polaires hantent les lieux par d'atroces et sinistres cris. La fin du monde semble proche et la peur de les voir quitter ces fragiles cages me sidère. Soudain, comme un rayon de soleil paraît une frêle jeune blonde protégée par un anorak bleu bordé de deux interminables tresses d’or.

Mariane au sourire charmeur et radieux, sans peine aucune sort un de ces gros chiens d’une quarantaine de kilos et le tient en laisse pour le conduire vers une étrange machine à deux roues. Mais comment fait-elle pour ne pas se laisser emporter par cet animal en furie ? Elle y va à coups de caresses, de sourires et d’appellation (Tunek ou Kiwi) face aux deux chiennes polaires qu’elle essaie d'atteler à ce traîneau mécanique d'entraînement. Les bêtes obéissent à la douce Mariane et apprennent avec elle leur métier hivernal qui consistera à entraîner sur des kilomètres de glace et sur des vrais traîneaux de bois cette fois les habitants du Svalbard.

La Sibérie et le Groènland sont les principaux fournisseurs de ces chiens à dresser.

L’attelage est achevé et le chariot en fer est converti en vélo-char avec une frêle Mariane assise en Jules César pour amener sa meute sur 5 kilomètres de piste et leur apprendre à tirer.

Le lendemain, Mariane nous reçoit chez elle, ou plutôt chez son père, le seul et unique dentiste de Spitzberg. Tout comme à la mosquée, il s’agit ici aussi de se déchausser à l’entrée et de marcher en chaussettes. C’est que le pays est couvert d’une telle poussière volcanique noire qu’il est nécessaire d’ôter ses chaussures à l’entrée de toute maison et administration. Dans un agréable salon de cuir moelleux, Mariane a préparé des gaufres au miel précédées d’un apéritif russe et suivies d’un thé finlandais, le tout accompagné de gourmandises norvégiennes.

Le portrait de Mariane est tout un poème. A 22 ans, étudiante en Beaux-Arts à Oslo, cette polyglotte au courage certain passe deux mois et demi au Svalbard pour essayer de gagner 50 000 couronnes norvégiennes (autour de 50 000 Francs Français) qui couvriront les frais d’une année d’études.

Le courage de cette jeune dame commence à 7 heures du matin en faisant le ménage d’une dizaine d’appartements jusqu’à 17 heures. Puis, jusqu’à 20 heures 30 elle ira dresser les chiens pour avoir enfin le temps de se doucher, de s’habiller coquettement et de mettre en valeur sa beauté nordique pour aller exercer son troisième job de la journée au bar Huset où elle sera l’hôtesse qui vous vendra votre ticket d’entrée au départ et votre saucisse chaude à 1 heure 30 du matin. Quel bel exemple de sérieux et de volonté pour une jeunesse actuelle qui se laisse souvent aller à la paresse et à certaines pentes glissantes.

Quand on lui parle d’avenir, Mariane répond : “Aujourd’hui en Norvège, 45% des couples sont divorcés et 40% vivent en concubinage. Je me demande si je vais rejoindre la tradition de mes ancêtres en me mariant. Je préfère avoir des enfants et garder leur père comme ami plutôt que de me lier par une bague au doigt.” Spitzberg restera en outre notre lieu d’évasion préféré

 

FICHE TECHNIQUE SVALBARD

 

Nom : Svalbard, entre 74° et 81° de latitude

Capitale : Longyearbyen (Spitzberg)

Population : 4 200 habitants

Saison idéale pour s’y rendre : Juin-Juillet avec le soleil de minuit.

Comment s’y rendre : Passer la nuit à Bergen, en Norvège, au “Airport Hotel” situé à 4 minutes de l’aéroport afin d’attraper le vol de 7 heures 30 du matin pour Spitzberg (la navette de l’hôtel à l’aéroport est gratuite).

Hôtels conseillés au Svalbard : Le Kro Motel.

Réservations : Info-Svalbard : N-9170 Longyearbyen, tél : 080/22 303.

Vêtements : Eviter les fourrures, mais songer à plusieurs chaudes laines, à un bon couvre-chef et des chaussures adéquates.

Expéditions : Commander toutes les sorties en mer (de 1 à 14 jours) à Info-Svalbard : Banquise, Ile aux Ours, Pyramiden, etc...

 

 

Rached Trimèche.

www.cigv.com