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Yémen,

L’Arabie heureuse

 

Par Rached Trimèche

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Sana’a. (Juillet 1997). Poussé par l’envie de la découverte d’un monde nouveau, tenté par un congrès médical à Sana’a et tiraillé par un calendrier chargé, je pris la décision d’affronter 14 heures de voyage pour aller, en plein été, en Arabie Heureuse, au Yémen.

 

Durant les huit heures d’escale romaine, au sobre et triste salon Navi, moult questions harcèlent l’ignorance de ma culture orientale. Les Yéménites ont-ils conquis la Tunisie et l’Andalousie ? Etaient-ils les chantres de l’expansion (El Hijra) de l’islam et de l’arabisme ? Sont-ils les pères de la langue et des chiffres arabes ? Ont-ils écumé mers, océans et montagnes jusqu’aux confins de la Chine, de la Russie et de l’Europe tout en passant par la corne de l’Afrique ? Ce pays, bercé par le masticage du qat et qui repose sur une incroyable fortune de gisements miniers vivait pourtant à l’âge médiéval jusqu’en 1952. A-t-il vraiment changé ? C’est ce que nous essayerons de découvrir ensemble à travers des expéditions à Sana’a, Kasr El Hagar, Béni Hachaichi, Chibam, Kawkabane, Thila et puis par avion dans le désert de Ryan qui signifie Porte du Paradis, au cœur du Hadhramaout.

Toutes ces questions ne cachaient point une dernière. C’est l’aventure généalogique du nom de mon épouse (d’origine andalouse) qui sera aussi au centre de mes recherches pour tenter de comprendre le retour de l’Andalousie à la Tunisie en passant par « Séguia El Hamra » ou l’ancien Rio del Oro avec une origine qui serait yéménite. Le jeu en vaut la chandelle et les huit heures d’attente se muent en huit heures de silence rêveur.

Il est déjà 5 h 30. L’aube pointe à l’horizon. Une magique boule rouge se déroule langoureusement sur le désert du Yémen. L’aéroport de Sana’a, garni de palmiers filiformes et de lauriers rouges somnolents nous accueille à 2 500 mètres d’altitude, avec en prime une fraîche brise inespérée.

Nos hôtes en tenue d’apparat « Jénbia » ou poignard doré porté par une large ceinture verte, foulard gris à carreaux sur la tête, veste brune nonchalante tombant sur une « fouta » de batik ou jupe longue, nous reçoivent avec courtoisie. Il faut déjà se plier aux us et coutumes du pays. Plutôt que d’aller rejoindre les congressistes au Sheraton où une douche salvatrice nous attend, on est prié de retourner au salon d’honneur qui n’a pu hélas être ouvert avant notre arrivée. Accablés de fatigue et de sommeil, nous essayons de sourire à nos hôtes, à leurs rituels et à leur dynamique caméraman au gigantesque projecteur des années 50.

Un café moka bien yéménite, rapidement bu, nous libère enfin de tout autre protocole. Où se trouve donc ce curieux pays du bout du monde ?

Aussi vaste que la France avec 485 000 km², le Yémen ne compte que 14,7 millions d’habitants soit uniquement 27 habitants au km².

Etalé sur la Mer Rouge et le Golf d’Aden, le Yémen est bordé en son nord par l’Arabie Saoudite et ce grand désert arabe du Roubô el Khali (le quart vide) et en son nord-est par le Sultanat d’Oman.

La population yéménite affiche un taux de croissance de 5 % et doublera dans vingt-deux ans. Le taux d’urbanisation de 33 % dissimule au profane un grand taux de mortalité infantile de 58 % et une espérance de vie de 50 ans à peine, très loin des 82 ans japonais. Un taux d’alphabétisation de 40 % en 1996 laisse le pays avec un PNB (Produit National Brut) de 260 $ par tête et par an soit le 1/8 de la Tunisie ou 24 fois moins que le voisin omanais et se classe ainsi 201e sur 226 pays. Précisons que ces taux fluctuent selon les sources.

 

LES ORIGINES

La péninsule arabique était géologiquement sur le continent africain. Les prolongements de la grande faille de la « Rift Valley » donnent naissance à la Mer Rouge, qui séparera ainsi l’Afrique de l’Asie et l’Ethiopie du Yémen.

Le « Djebel Ennabi Chouyeb » culmine à 3 660 mètres. Deux saisons de pluie, au printemps et en été, apportent avec leurs moussons plus de vie à ce désert.

Quand à l’origine du nom Yémen, les théories sont plus évasives :

1. « Biled el Yamine » ou pays à la droite de la Mecque qui s’oppose au « Biled Echâm », pays à la gauche de la Mecque, soit la Mésopotamie, la Syrie, le Liban et la Palestine.

Seuls les Damascènes continuent aujourd’hui à appeler leur ville « Echâm ».

2. « El Youm » ou pays du bonheur par contraste avec le très vaste désert « Robô al Khali (le quart vide) ». Le Yémen, pays de montagnes, jouit d’un climat agréable et de bonheur.

3. Un des fils de « Kahtan-Yémen » qui descend d’Abraham se sépara des arabes Adnanites, se dirigea vers le sud de la péninsule et s’implanta dans un territoire qu’il baptisa de son nom. La vraie histoire antique du Yémen est encore enfouie dans les sables du désert.

L’Arabie du sud antique s’étendait de Néfratan à Hadramaout soit, l’ensemble de l’Arabie Saoudite et du Yémen.

 

SANA’A

Vingt minutes de taxi pour se frayer un passage entre bus archi combles, 4 x 4 sans frein et petites voitures japonaises dépourvues de feux, pour arriver au cœur de la capitale yéménite. La première impression vous coupe le souffle face à la découverte de cette extraordinaire architecture colorée, du millénaire passé.

L’UNESCO et Astrolabe-Plus-03 classent et protègent la vieille ville de Sana’a tout comme Chibam et Zabid.

La cité des trois quartiers s’évase au pied du Mont-Nougoum culminant à 3 000 m.

A 2 375 m d’altitude, Sana’a s’ouvre par sa porte principale « Bab el Yémen ». D’aucuns prétendent que selon la légende, Sam, fils de Noé, serait le fondateur de la ville de Sam qui évolua en Sana’a signifiant la fortifiée.

On prête aussi au nom de la ville de Sana’a la signification d’artisan spécialisé. On fabriquait surtout le poignard « Jénbia », du fer forgé et des bijoux. Ce large poignard à lame recourbée, ce « Khanjar » ou dague fait partie intégrante du costume masculin traditionnel. Cet instrument d’honneur et de bravoure ne quittera jamais le Yéménite. Les cornes de bovidés servent à la confection du manche. Le fourreau de la « Jénbia » et la ceinture varient selon le portefeuille du porteur. Cette « Jénbia » sera, tour à tour, verticale « assib » ou horizontale « thumi ».

A travers la ville de Sana’a, je retrouve un zeste de Mauritanie et un soupçon de Libye profonde. Le Souk el Melh, marché où le sel d’antan était troqué par les voyageurs-rahalas comme monnaie d’échange est aujourd’hui au cœur des souks de Sana’a. Des colliers de perles, de lapis-lazuli, d’or, d’argent, de baltique ou de malachite jouxtent « jénbias » de toutes sortes, soieries mousselines et soies, sans oublier les épices d’Arabie et d’Afrique.

La propreté est, hélas, quasi-inexistante. J’ai rarement rencontré dans le monde une ville aussi sale. Les égouts faisant défaut et le service municipal réduit à sa plus simple expression font des ordures ménagères une quadrature de cercle. Des milliers de petits sachets en plastique, noirs ou blancs, vides ou pleins, jonchent ça et là, rues, ruelles, sables et collines. Les fosses sceptiques et les générateurs d’électricité sont déjà le début d’une solution aux voiries publiques et aux centrales électriques.

La ville est très sale, certes, mais il ne faut pas oublier que tout était fondé sur le recyclage des biens de consommation. Il n’y avait pas de déchets. Un circuit naturel absorbait le tout. Tout devenait combustible une fois séché, puis cendre, pour l’engrais de la ferme. Mais aujourd’hui arrivent par exemple les sachets et les bouteilles en matière plastique non dégradable. Un nouveau recyclage reste à trouver.

Une curieuse citerne est souvent juchée sur le toit des maisons. C’est la solution provisoire de la Compagnie des Eaux. Une fois par semaine en moyenne, un camion viendra vous livrer une quantité d’eau dans un lieu approprié de votre cave (Majél). Une petite pompe électrique pompera cette eau buvable vers la citerne du toit. Il ne reste plus qu’à ouvrir votre robinet pour que l’eau coule. O rage, ô désespoir, ma caméra m’abandonne ce midi ! Ma maîtresse la traîtresse, ma fidèle petite caméra me lâche au pays où tout est à filmer. Le film est neuf et les deux piles également. Il ne me restait plus qu’à trouver au centre-ville prés de Bab el Yémen un photographe. Eurêka il existe.

Dans une mansarde de 2 m², Salah est en train de ciseler une photo noir et blanc pour l’encadrer. Des gestes experts et précis imbibés de 3 000 ans d’histoire font du résultat un chef d’œuvre complet. Ecoutant à moitié mes doléances, il s’empare de ma caméra, refuse de me vendre des nouvelles piles et exhibe le verdict : « Vos piles sont courtes ».

Je perds mon latin et mon arabe. Que veut donc dire le photographe ? Les piles ne sont-elles pas uniformes dans le monde entier ? Il n’y a que le ridicule qui tue. Le photographe a raison. Mais dans un autre sens. Il s’empare de ma caméra, vide les piles et glisse astucieusement un fil de fer crochu dans le coffret à piles. Un coup sec suivi de « Hamdoullah » et le tour est joué. L’appareil est en marche. Le mystère est simple. Il suffisait de crocheter et de hisser la langue inférieure qui reçoit le pôle positif de la batterie pour rapprocher la pile et rétablir le contact.

Cet esprit astucieux me rappelle mon vol sur la Yéménia reliant Sana’a à Ryan au cœur de Hadhramaout. Nom qui serait la traduction de la phrase « la mort arrive ». La chaleur du désert et la guerre meurtrière sont des morts virtuelles. Dans un vaste Air-bus de la Yéménia ou compagnie d’aviation nationale du Yémen, deux hôtesses de la ville d’Aden nous accueillent. Ces deux Yéménites seront les deux seules et uniques femmes dévoilées que je verrai durant mon séjour. Le voyage à bord de cette ligne, donne un avant-goût du Yémen par deux petits exemples.

Lors d’une escale nocturne, le commandant de bord tout de blanc vêtu et d’or gradé, descend lentement la passerelle en tenant délicatement entre ses mains, un carré de plastique d’un m². Il contourne son avion, pose religieusement son carré sous l’aile gauche et s’adonne à la prière prescrite.

Un passager demande du lait pour son café. Un jeune steward aux fines moustaches noires, qui du système D, connaît tous les secrets, faute d’ouvre-boîtes, enveloppe une boîte de lait dans trois mouchoirs en papier et la cogne brutalement contre l’angle d’un portillon. Le lait jaillit à la minute.

 

LE RITE DU QAT

En découvrant ce midi, sur la place centrale de Sana’a, cette kyrielle de petits hommes au teint halé choisissant soigneusement leurs feuilles de qat (ou kat), je replongeais dans mes souvenirs de l’Amérique Latine de ma jeunesse. Je repense à ces enfants d’Incas de Cuzco au Pérou et de Cali en Colombie qui mâchaient patiemment leurs feuilles vivifiantes de coca. Un coca coupe-faim, coupe-soif et surtout coupe-misère.

Au Yémen, le qat est tout cela et plus encore. Imaginez que sur 14,7 millions d’habitants, hormis les jeunes de moins de 12 ans, toute la population arrête l’horloge du temps pour se donner au rite du qat.

Cet arbuste de 2 à 3 m pousse sagement au long des routes que l’on traverse. Armé d’un kalachnikov (7,62 mm), d’un magnum et de son fidèle poignard « Jénbia » le gardien de cette parcelle ne quittera sa tour de quatre mètres que pour passer la relève au collègue. Malheur à celui qui osera voler quelques feuilles de qat ! Il passera de vie à trépas.

Vers 13 h 00, des milliers de places et de quartiers s’animent par des marchands de qat. On choisira la feuille tendre et claire, le bourgeon de préférence. Pour l’équivalent d’un seul dollar US, on acquiert une gerbe de qat que l’on pourra, enfin, « mâcher » à souhait. C’est que le culte garde tout son côté ancestral et mystique et c’est au « Kasr el Hagar » que j’ai subi le premier choc.

La mémoire a cette faculté de raviver en quelques secondes une scène intacte, indélébile et vivante vingt cinq ans plus tard. J’étais perdu dans le célèbre Triangle d’Or de l’opium, au fond du Laos impérial et aux confins de la Birmanie.

Les caprices du hasard me font pénétrer dans un fumoir. La salle sombre est enfumée à souhait. Des visages hirsutes et délavés semblent fascinés par cet embout de métal. Accoudés à la César et absents tout en étant présents, ils sont là depuis des heures ou des jours, que sais-je, en train de compter « trips » et évasions.

Je revois encore cet homme de quatre kilos à peine, aux guenilles jaunâtres et au regard terne qui remet en marche les ustensiles des fumeurs qu’il drogue à souhait.

Un cauchemar tenace. Non, ce fumoir ou « Mafreg » du « Kasr el Hagar » n’est pas cauchemardesque. Imaginez une salle de 5 mètres sur 2, avec en son centre un monticule de qat frais et tout autour sur deux rangées parallèles, huit hommes de chaque côté qui partent déjà dans un voyage spatial. La chambre est bien fermée, enfumée et embuée. Il s’agit de préparer une chique ou boule de prés de 5 cm de diamètre à caler entre la joue droite et la mâchoire. Le fumeur « yakhzin » ou emmagasine et mâche son herbe sans l’avaler quatre heures durant, une gorgée d’eau minérale « Hadda » ou un thé sirupeux soulage de temps à autre la sécheresse de la bouche. Dans ce fumoir, on refait le monde, on parle politique, philosophie, amour et raison d’être. Vers 17 h 00, on cesse de « qater » et l’on vaque à ses occupations.

Le qat « édhilaï » venant de la région Edhila, connu pour ses feuilles tendres et savoureuses, est le plus coté du pays et donc le plus cher.

Mon unique essai fût de qater quelques feuilles et de ressentir au bout de quelques minutes un léger effet astringent dû à l’éphédrine et un goût amusant de réglisse. Ni myriades, ni « trips », ni folies. Quel est, donc, ce qat ? C’est un arbuste de la famille des célastracées. Sa composition chimique est fort simple, on y trouve des tanins, des vitamines, la cathédine (un alcaloïde neutre), la cathinone, des glucosides, une phénylamine et une mérucathine qui est une simple amphétamine. Une réduction enzymatique de la cathinone en éphédrine procure cet effet asséchant et légèrement anesthésiant qui pousse le mâcheur de qat à boire.

Toutes ces phénylamines donnent au qat un léger effet hallucinogène de drogue douce. Les femmes de leur côté subiront le même rite mais pas en public. Les enfants de plus de onze ans qui portent déjà leur « Jénbia » s’inviteront, tour à tour, à « Khazner » ou mâcher le qat. L’Ethiopie voisine produit également du qat mais en consomme beaucoup moins que le Yémen. Djibouti, la Somalie et le Mozambique connaissent également les douces joies du qat, le « catha edulis forsh ».

 

14 JUILLET A SANA’A

Arrivant à Sana’a un 14 juillet le hasard fait que je sois invité le soir même à l’Ambassade de France, par un confrère Consul, pour fêter la prise de la Bastille.

Il est 18 heures. Le ciel se couvre d’un épais manteau noir, ouvre toutes ses vannes et déverse un véritable torrent d’eau tiède. La mousson prend son temps. Le portillon de l’Ambassade de France est encerclé d’eau et des planches épaisses deviennent un pont improvisé. Deux ou trois cents convives déambulent dans les profondes flaques d’eau des jardins de la résidence, rigolent et boivent dans une pénombre romantique. Le déluge de foie gras, de fromages de France, de jambon fumé, de caviar et de moult délicatesse est accompagné d’une fine rosée de champagne dans des flûtes chantantes. Tout cela paraît irréel au pays où l’islam est strict et où l’alcool est interdit. Une soirée inoubliable en Arabie bien heureuse.

 

MAARIB

Cela fait deux heures que Hassen, mon fidèle chauffeur, livre une dure bataille à sa Toyota automatique à travers monts et rocailles. Soudain, un quatrième barrage qui s’avère, malgré notre plaque « gouvernementale », plus sévère. Le premier soldat en tenue jaune mâche son qat et balbutie à travers des dents vertes qu’il faut s’arrêter, « Fih Mouchkoul » (il y a problème), pour dire que les tribus sont en état de guérilla. Les deux soldats en tenue kaki nous mettent en joue.

Le quatrième flegmatique et imperturbable nous somme de rebrousser chemin. On insiste, il refuse, on insiste, il accepte. Les portes arrières de notre voiture s’ouvrent brutalement et les deux soldats en tenue kaki s’installent confortablement et silencieusement tout en continuant leur « khazna » de qat. C’est ainsi et grâce à nos aimables anges gardiens que nous sommes arrivés en paix à Maarib.

La couleur est uniforme et varie du gris au beige en passant par le blanc sale et le marron clair. Le teint des hommes, la couleur du sable, des pierres et celle de la poussière se confondent dans une teinte mystique et lunaire à l’entrée de Maarib.

A l’heure où Carthage naissait il y a près de 3 000 ans, Maarib connaissait déjà une gloire certaine. O Reine de Saba cigéviste posthume, tu es et restes toujours vivante en ces lieux, magiques et mystiques !

Du barrage au Temple El Mougha, tout laisse percevoir que Maarib fût cette brillante civilisation de l’antiquité. Les caravanes de dromadaires et de chameaux traversaient Maarib chargés d’aromates et d’encens.

Selon Hérodote, la dernière des terres habitées est l’Arabie productrice d’encens de myrrhe, de cannelle, de laudanum et de cinnamome. Le styrax a une gomme résine (le benjoin) pareille à celle de l’encens et se récolte aussi par fumigation. La cannelle sera cherchée dans un lac et le laudanum (teinture d’opium safranée) qui sent si bon provient de la barbe des boucs. Venant de la broussaille, il s’attache comme de la glu sur la barbe des boucs.

Les caravanes quittaient Hadhramaout, traversaient Maarib, la Mecque et Médine pour aller vers Damas en Syrie ou vers Petra dans l’actuelle Jordanie.

De là, partait une seconde route vers la Mésopotamie et Babylone. La route des épices et aromates va de pair avec les royaumes de cette contrée.

Le premier royaume de Maïn date de 1500 av. J.-C. et le royaume de Saba, implanté autour de Maarib vécut de 900 à 115 av. J.-C.

Les royaumes de Himyar, de Katabane et de Hadhramaout tournaient autour des capitales Zafar, Fimna et Chabwa jusqu’à l’an 500.

Dans l’antiquité, le Yémen nommé « Arabie Heureuse » comptait 5 royaumes distincts :

Mai-n, Saba, Qataban, Aousane et Hadhramaout. En 615 av. J.-C., construction du célèbre barrage (ou digue) de Maarib qui sera hélas détruit 1 100 ans plus tard.

En 950 av. J.-C., Balkis, la Reine de Saba rendit visite à Jérusalem au Roi Salomon. Les Ethiopiens pénètrent la légende de Saba en réfutant cette reine yéménite et en la remplaçant par leur célèbre reine Makéda.

A telle enseigne que le Roi Négus, Hailé Sélassié Ier, descendant de Ménélik Ier serait le fruit de la rencontre de la Reine Makéda avec le Roi Salomon de Palestine.

 

LA REINE DE SABA

La généreuse légende nous dit que le souverain d’Israël a partagé la couche de cette reine éthiopienne par un subterfuge culinaire. De cette nuit naîtra, Ibn el Hakem (Ménélik) fondateur du royaume axoumite. En Ethiopie, les Falachas, Juifs noirs, prétendent être les descendants d’esclaves qui ont accompagné la Reine Makéda sur le chemin du retour. De leur côté, les yéménites se retournent vers la Sourate (verset) Saba du Coran qui se termine par le déluge qui rompit le barrage de Maarib face à un peuple non obéissant. Les historiens ne sont toujours pas d’accord sur la date de cette visite et sa véracité. Mais en histoire, tout est souvent supposition et intuition faute de preuves matérielles.

Laquelle des deux reines yéménite ou éthiopienne aurait rendu visite à Salomon à Jérusalem ? Les fouilles archéologiques parleront un jour.

Et si les deux reines n’en faisaient qu’une seule ? Mais Saba a bien existé !

Les cathédrales de Chartres et de Reims en France portent, aujourd’hui encore, sur leur portail la statue de la reine de Saba. Les chrétiens et les musulmans ont gardé la nostalgie du royaume de Saba.

C’était l’époque de grâce, où J.C. Peine décrivait les Arabes comme : « des peuples très riches en vendant aux Romains ce qu’ils retirent de la mer et des forêts sans rien leur acheter en retour ». Maarib sut se défendre contre une première expédition de 10 000 hommes, envoyée par Auguste le Romain, en 24 av. J.-C.

L’hégémonie yéménite reste florissante. Entre temps, Hippalos, le marin grec, découvrit le mécanisme des moussons et rendit possible la navigation sur la Mer Rouge.

« Hadhramaout » trouva, ainsi, sa nouvelle route des Indes délaissant peu à peu sa périlleuse route caravanière.

C’est ainsi que les petits royaumes arabes qui ponctuaient la route des caravanes s’éteignent rapidement au profit des Himyars ou Homérites. Cette tribu des hauts plateaux qui crée rapidement un nouvel Etat autour d’une capitale, Zafar. En l’an 328, un roi homérite élimine tous ses conquérants et se proclame roi de Saba, de Dhuraydan, du Hadhramaout et de Yamanat, soit la superficie de l’actuel Yémen.

Les Himyarites sont les descendants de Himyar ou Hamyar, fils de Saba, fils lui-même de Jectan ou Klechtan, descendant de Sem. La dynastie des Himyarites subsista pendant 2020 ans.

Mais l’histoire est capricieuse et le voisin éthiopien belliqueux. Le judaïsme enjambe, ainsi, la Mer Rouge pour s’installer au Yémen.

Beaucoup plus tard, le « Tapis volant » de 1948 a transporté vers Israël 47 000 juifs. Il n’en restera plus qu’un millier en 1997.

La dynastie Himyarite est, ainsi, judaïsée jusqu’à l’an 518 où la guerre contre le christianisme devient encore plus sanglante. L’année de l’éléphant (voir Coran), l’an 570, détrône le roi himyarite au profit des chrétiens. Une nouvelle capitale est créée, Sana’a, succède à Tai-z et une grande cathédrale est construite pour coiffer tous les chrétiens d’Arabie.

 

L’ISLAM ARRIVE

L’avènement de l’Islam approche. Abraha, roi d’Ethiopie, se meurt et les Perses convoitent le Yémen pour sa position stratégique et s’y installent pendant cinquante ans.

C’est ainsi, qu’en 628, le Yémen adopte rapidement l’Islam, la nouvelle religion naissante de l’Arabie. Du vivant du prophète Mahomet, ses disciples se répandirent au Yémen et islamisèrent les gouverneurs perses. Ce nouveau noyau musulman aurait enfanté ce célèbre hadith : « El Imanou yaméni wa el hekmatou yamania », soit « la foi est yéménite de même que la sagesse ».

Cette glorieuse islamisation des Yéménites en fera le fer de lance des armées musulmanes pour leurs vastes conquêtes arabes. Les califes arabes se succèdent (les Rachidounes, les Omayyades et les Abbasides). 

La propagation de l’Islam s’est faite en trois grandes étapes. La première entre 622 et 632 concerne toute la péninsule arabique. La seconde sous les premiers Califes (632 - 661) ira à l’Ouest vers l’Egypte et la Libye et à l’Est vers l’Asie Mineure, de la Syrie au Khorassan en passant par l’Azerbaïdjan. La troisième conquête sous les Omeyyades (661 - 750) sera plus forte et ira vers tout le Maghreb et l’Andalousie et à l’Est vers le Penjab et le Cachemire.

L’Imam el Hédi Yahia Ibn el Hussein, un descendant de Ali, gendre du prophète Mahomet, prend pied à Saadah au nord du Yémen et s’allie aux tribus Khawlan. C’est la naissance de la dynastie des Imams Zeidites nom dérivant de l’ancêtre Ziéd Ben Ali. Cette dynastie perdura jusqu’en 1960.

En 1173, Saladin (Salah Eddine) envahit le Yémen et fonda la dynastie des Béni Rassoul qui vécut jusqu’en 1454. Plus tard en 1515, les Mamelouks débarquent d’Egypte et sont rapidement renversés vingt ans plus tard par les Turcs Ottomans. Il s’agissait pour les Turcs de barrer la route aux voyageurs portugais qui convoitaient la Mer Rouge.

En moins d’un siècle, l’occupant turc fût chassé du Yémen par les Zeydites.

Coriaces, les Ottomans tentèrent une seconde occupation entre 1850 et 1918, marqués par la révolte de l’imam Yahia qui poussa la Turquie à reconnaître l’indépendance du Yémen en 1911.

Il faudrait, cependant, évoquer l’annexion par les Anglais d’Aden au sud du Yémen en 1839. Un petit territoire de 194 km² avec des petites îles à son large qui aurait pu devenir un Hong Kong.

C’est, ensuite, un vaste protectorat anglais divisé en parties orientales et occidentales et subdivisé en sultanats et émirats qui occupa la moitié sud de l’actuel Yémen.

Ce n’est qu’en novembre 1967 que la République Populaire du Yémen du sud remplace la colonie britannique. Entre-temps, l’Imam Yahia est assassiné en 1948. Son fils, Ahmed, lui succédera jusqu’en 1962. Ce jeune imam visionnaire ouvre, enfin, les frontières du Yémen à sa jeunesse qui put, ainsi, aller étudier aux universités du Caire et de Bagdad. C’est cette même jeunesse, conduite par Ali Abdallah Salah, qui renversera la monarchie le 26 septembre 1962.Une guerre civile de sept ans oppose alors les Royalistes soutenus par le Roi Fayçal d’Arabie et les Républicains soutenus par le Président Nasser d’Egypte.

 

En résumé, en 1962, instauration de la République Arabe du Yémen au nord et cinq ans plus tard, instauration de la République Populaire du Yémen au sud. En 1978 le Président Ali Abdallah Salah accède au pouvoir. Huit ans plus tard le Président du Yémen du Sud suscite un coup d’Etat préventif qui, curieusement, permettra, le 22 mai 1990, la création de la République Yéménite unifiée conduite par le même Ali Abdallah Salah.

Ali Bidh, un des vice-présidents part en exil en 1993. Un an plus tard, « les accords de Jordanie » sont scellés entre les trois partis au pouvoir. 1995 sera une année dure, pourtant embaumée par un accord avec l’Arabie Saoudite et se termine par un raid Yéménite aérien sur l’Erythrée qui s’est emparé de l’île Haniche. L’année commence par des émeutes sanglantes et une brutale dévaluation du Rial qui passe de 12 à 50 pour un seul dollar US et à 130 en 1997. Ce nom « Rial » dérive de la monnaie royale espagnole.

 

LES HACHAÏCHI

Après m’être « amusé » pendant cinq ans à rechercher l’origine des Trimèche qui vient de Trimakis : un Crétois qui quitta en 1725 son île pour la ville de Monastir en Tunisie, je m’aventure depuis plus d’un an à rechercher l’origine des Hachaïchi, nom de famille de mon épouse. Le voyage en vaut la peine et le Yémen nous dévoilera le secret.

Ce périple à rebrousse-poil commence à la ville de Kalat-Al-Andalous près de Bizerte en Tunisie. Chassés par Isabelle la Catholique en 1500, les Andalous arabes (purs ou issus de mariages mixtes) quittent l’Espagne pour une nouvelle escale où l’on parlait également espagnol et arabe. Il suffisait, alors, de traverser le détroit de Gibraltar, le Royaume du Maroc et atterir en plein Rio de Oro, l’actuelle et contestée République Sahraoui qui se love entre la Mauritanie et le Maroc.

Durant mon dernier séjour à « Al Ayoun » capitale de cette contrée, on me confirma que la famille Hachaïchi a bien transité par cet endroit pour aller vers Testour, Gabès et Kaalet-el-Andalos en Tunisie.

Mais ce qui m’intriguait le plus était l’origine même de cette famille. Dés mon arrivée au Yémen, je leur parlais de leurs conquêtes andalouses du VIIe siècle et leur demandais si le nom Hachaïchi leur était connu.

Les noms au Yémen me rappellent mon passage en Islande du bout du monde où l’on nommait les enfants d’une drôle de façon.

La fille de Doris deviendra « Dorisdotter » et le fils de Boris sera « Borisson ». On sera toujours l’enfant du prénom. Pour 200 000 Islandais, j’acceptais le raisonnement. Mais quid de 14 millions de Yéménites qui se payent 3 prénoms à la queue leu leu : Ali Abdallah Salah signifiant Ali fils de Abdallah fils de Salah ?

On ajoute souvent l’origine de la tribu ou de la région pour différencier les choses.

Me revoilà sur les traces d’un nom en compagnie de mon fidèle Hassen Attia, parfait et aimable chauffeur qui m’emmène dans la vallée des « Beni Hachaïchi », perdue dans les montagnes, à 35 km de Sana’a. Et là, miracle de la nature, l’herbe (hachich) apparaît soudain et un long tapis vert meuble le désert. Plus encore, nous voici face à des cerceaux de vigne qui de Bordeaux n’ont rien à envier. Dans un pays où l’alcool est strictement interdit, la tribu de ce village distille son vin qui aurait paraît-il comme clientèle de choix, les trois principales ambassades occidentales. La tribu des « Béni Hachaïchi » de l’agriculture connaît tous les secrets.

Agriculteurs et guerriers, ils avaient une troisième corde à leur arc. Au flanc de cette montagne nue et grise qui cerne la vallée, une centaine de grottes gardent jalousement les ancêtres momifiés à la méthode des pharaons.

La boucle est bouclée et le périple des Hachaïchi est enfin clarifié : Yémen, Andalousie, Rio de Oro, Tunisie.

Tout cela était clair et logique au VIIe siècle. Islamisé avant la mort du prophète, le Yémen est devenu le fer de lance de la conquête arabe et de l’islamisation tous azimuts.

Ces valeureux guerriers entreprirent cinq « foutouhats » ou guerres saintes avec leurs chefs de tribu, femmes et enfants, en allant, d’abord, sur Damas puis sur la Malaisie, l’Indonésie, l’Afghanistan, le Kazakhstan et, ensuite, aux confins de la Chine et de la Russie qui seront, ainsi, islamisées. C’est ainsi que le Yéménite Abderahman al Hafigui à la tête de la troisième Rihla serait arrivé à 100 km de Paris.

L’un de ces chefs, le Roi Himyari fit un vœu au Seigneur que s’il arrivait à islamiser le sud du Grand Caucase (vers l’Arménie) au cœur de l’Asie il irait, en remerciement, habiller la Mecque de soie. Le chef glorieux, piqua alors sur l’Arabie et devint (selon l’histoire-légende) la première personne à habiller la Mecque de son « Mehmel » en soie noire.

La tribu des Béni Hillal prendra le chemin du Haut Nil et viendra arabiser, par exemple, la Tunisie. La bataille de Sbeïtla fit basculer Ifriquia dans le monde musulman.

L’armée de Okba Ibnou Nafaa fera de l’arabe la langue officielle de la Tunisie et vingt-deux gouverneurs s’y succéderont avec Damas comme capitale de l’Empire. Kairouan devient la résidence des gouverneurs Omeyyades de Damas, puis des Abbassides de Baghdad.

Arwa, la Kairouanaise, fille d’El Mansour el Himyari le Yéménite, deviendra l’épouse du deuxième Calife Abbasside Abou Jaafar el Mansour relié à Baghdad. Arwa fut également co-souveraine de la dynastie Abbasside. Son mari est venu de Koufa, près de Damas, l’épousa à Kairouan selon le contrat kairouanais « ezdak el kairouani » ou contrat de mariage kairouanais qui interdit à l’homme polygame d’épouser une seconde épouse sans l’accord de la première et n’a même pas le droit d’avoir des « jouaris » ou femmes esclaves. Ils partirent au cœur de la dynastie abbasside en 750, à Baghdad, et elle régna jusqu’à sa mort en 765, bien avant l’avènement de Charlemagne, en l’an 800.

En l’an 969 Jawher Essekili, un Sicilien islamisé et tunisifié, chef des armées fatimides ira occuper l’Egypte. En quittant Mahdia les Fatimides ont laissé les Zyrides qui ont renié leur appartenance aux Fatimides et renouent avec le Calife sunnite de Baghdad. En représailles, les Fatimides d’Egypte envoient des tribus hillaliennes occuper et dévaster « Ifrykia » la Tunisie, avec en prime un dinar en or pour partir vers cette Tunisie à conquérir.

En résumé, Bagdad succéda à Damas et les Fatimides quittèrent Mahdia pour fonder le Caire et laissèrent en 969, la Tunisie à leurs vassaux Zirides qui seront conquis et ruinés par les Béni Hilal du Yémen qui, à leur tour seront relayés par les Almohades  et les Hafsides. Certains noms de familles tunisiennes sont bien du Yémen : Noôman, El Amri, Ghanem, Charfi, Attia, Jbali, Sellami, Hachaichi, Smaoui, Kallel et Chibani.

La langue libico-punique disparut au profit de l’arabe avec en 1103 une forte pénétration hilalienne. Une troisième ligne de conquêtes yéménites ira islamiser la côte Est de l’Afrique, parallèlement, aux Omanais, adeptes de Sindbad le marin, qui découvrirent les Iles Comores, « Jouzor al Koumour ».

 

FEMMES DU YEMEN

Recherchons la femme dans cette profonde et belle histoire du Yémen. Dans mon avion reliant Rome à Sana’a, ma voisine, qui a gardé ses voiles 5 heures durant, dévoila pourtant ses mains. Ce n’est pas un tatouage mais c’est un curieux dessin noir qui parcourt tout le dos de la main comme une fine dentelle. Ce tatouage vient du « Khadhab », une pierre moulue qui donne une pâte fluide (genre de « harkous ») dont on se sert pour ces tatouages.

Dans leurs salons respectifs, elles fumeront à trois avec le même narguilé géant, le « Madaa» aux trois embouts. Elles fument, elles qatent, elles chantent et elles dansent entre elles. Mais dehors la femme sera cachée et soumise. La yéménite d’origine délaisse le voile noir pour un voile « baltou » rouge bariolé. Sous cette djellaba, elle porte un « cherchéfe » ou ensemble de jupes et de larges écharpes. Une « laghma » sera le masque du visage qui ne laissera percevoir que les yeux noirs. Tous ces habits seront, à leur tour, cachés par un quatrième voile, un immense foulard opaque qui fera de la femme une ombre ambulante. Les mirco-jupes de Hammamet en Tunisie iraient droit en enfer si elles avaient le temps d’échapper aux rafales de kalachnikov face à la honte du village. Pourtant en 1063, Asma femme de Ali Ibn Mohammed Essoulaihi père de la dynastie Souleyhi à Sana’a fut beaucoup plus affranchie. Asma exerçait le pouvoir à ses côtés, assistant au Conseil des Ministres le visage dévoilé. En signe de souveraineté, le prône (contrat de mariage) était prononcé en son nom, l’associant au nom de son époux. Elle alla un jour en pèlerinage à la Mecque avec son époux. Au cours du voyage ils furent interceptés par des opposants qui tuèrent son époux le roi et la gardèrent prisonnière au Yémen même. Son fils Mokarrem la rechercha, la retrouva et la délivra. Elle monta seule sur le trône pendant 4 ans. Malade, elle demanda à son peuple avant de mourir d’élire à sa place sa bru Arwa, la trouvant plus énergique que son propre fils. La reine Arwa dite « Essayida el hora » la dame libre, exerça le pouvoir de 1085 à sa mort en 1138, soit une quarantaine d’années.

Si le Yémen est le pays du café-moka, le Yéménite reste, cependant, un utilisateur bien curieux. La torréfaction à l’italienne produit un excellent ristretto ou un cappuccino résultant d’un café arabica ou robusta. Au Yémen, la destinée du café est autre, le yéménite recueillera, d’abord, la pellicule de grains de café ou « Kchour ». Cette pellicule riche en plusieurs produits actifs et en théobromine fera un breuvage particulier. La graine, autrement torréfiée, fera-t-elle un bon café ?

 

LA CUISINE

Le port de Moka ou Mokha, sur la Mer Rouge exportait du Yémen un café renommé le « moka ». Les cafés « arabica » et « robusta » prendront la relève en Afrique et en Asie.

La Yéménite, déjà, épouse à l’âge de 12 ou 15 ans fera subir à son homme le double adage : « On retient un homme par le ventre et le bas-ventre ». Cordon bleu, elle passera des heures à mijoter des plats raffinés. La liste est longue et appétissante.

La « Selta » est à base de fenugrec « hilba ». Cette graine amère donnera une farine.

Deux cuillères de « hilba » dans un verre d’eau seront battues en blanc de neige. D’autre part, une sauce fine, de la viande hachée et une « bala », feuille d’oignon, forment une sauce épaisse étalée dans un plat de pierre qui chauffe directement sur le feu pendant quelques heures. A la sortie du feu, il ne reste plus qu’à verser la « hilba » fouettée sur la sauce pour obtenir la « Selta » que l’on mange avec des morceaux de pain, dans un plat commun. Ce plat quotidien sera comme les pâtes pour les Italiens.

Le « chafout » est un plat plus complexe. Tôt le matin, la ménagère étalera la pâte de son pain « Lahouh » comme une crêpe sur un plat. On déposera, ensuite, sur ce « lahouh »  de l’ail, du sel, des épices et du petit lait qui fera tremper ce « lahouh » ou pain maison qui deviendra ainsi, un « chafout » servi avec une salade.

Le « Zahaouég » est similaire mais sera inondé de piments très forts et d’une pâte comme l’harissa qui en fera un « scud culinaire ».

Enfin, la « Bent Essahan » est une feuille de baklawa ouverte à la main, parsemée de « Smen » (ou beurre ranci). Une dizaine de couches successives passées au four feront de ce mille feuilles une « Bent essahan » ou « Fille du plat ».

D’aucuns diront que cette « Fille du plat » a suivi l’itinéraire de l’invasion turque au Yémen. Les Turcs furent rapidement chassés et n’eurent donc pas le temps d’apprendre aux Yéménites la confection complète de la baklawa. La recette s’arrêta à la feuille qui mua en « Bent Essahan ».

 

CHIBAM

Nous sommes ce matin à Chibam, un village de pierres et de rocaille à 2 650 m d’altitude. C’était un carrefour caravanier à l’époque pré-islamique. Cette ville fut gouvernée par la tribu des Béni-Yafour qui deviendra la première dynastie hymiarite et qui épousera l’islam en l’an 845. Le village est sinistre et désolant par sa torpeur et sa grisaille.

Essoufflés, nous sommes anesthésiés par la découverte du site. Les constructions en pierre sont basses et grises. Mon guide me force la main et me pousse vers cette mosquée âgée de 1150 ans, construite sous le règne de la Reine Arwa Bent Ahmed.

Le plafond de la salle de prière est un ensemble de carrés de bois d’un mètre de côté, tous ciselés différemment. Un chef-d’œuvre, accroché au ciel de ce village du bout du monde. Trois curiosités mériteraient à elles seules un tout autre reportage :

Au fond de la cour des ablations, un marbre mural d’un mètre sur 40 cm arbore une écriture sud-arabique, ou Mosnad (de l’arabe « sanad » s’appuyer), pareille à des hiéroglyphes. Cette langue sud-arabe est bien l’ancêtre de l’alphabet arabe.

Le Mosnad ou langue sud-arabique est une écriture inventée 500 ans av. J.-C. Elle transcrit l’arabe en écriture sémitique des langues du même nom soit, l’arabe, l’hébreu, l’araméen, l’amharique, etc... L’amharique, langue éthiopienne, est dérivée du Guèze qui s’apparente, tout comme l’arabe, à l’ancien sud-arabique ou Mosnad.

C’est à Zbid que furent créés les chiffres arabes au XIIIe siècle. Aujourd’hui, dans n’importe quel guichet de poste à Londres, à Paris ou à New York, on vous demandera le libeller votre mandat postal en chiffres arabes. C’est curieusement au pays le plus arabe que les chiffres arabes ont disparu pour faire place aux chiffres indiens. Seuls les trois principaux pays du Maghreb, ont su strictement garder les vrais chiffres arabes.

Les Indiens de la côte des Malabars ont, hélas, beaucoup influencé le Moyen Orient et lui firent perdre ses chiffres arabes. Cela se passait pourtant au sud du Yémen vers la fin du IXe siècle, quand un mathématicien érudit Mohammed Ali Al Jaber inventa non seulement « l’algèbre » mais avec ses compatriotes, il inventa le zéro ou « sifr » qui enfanta le mot chiffre. Zéro, le chiffre qui manquait aux neuf autres et qui révolutionna la planète.

Le mot algèbre vient de l’arabe « Al jaber » ou la réduction. De son côté, Mohammed Al Kharezmi invente l’élimination des termes égaux de chaque côté du signe égal (=) et le transfert des termes avec changement de signe.

Comment ces arabes ont-ils dessiné les chiffres ? La réponse est fort amusante. Leur esprit mathématique partait d’un cercle, où le nombre d’angles donne la valeur du chiffre. C’est, ainsi, que par exemple dans un cercle, le dessin du chiffre 1 forme un angle à son sommet ; le chiffre 2, pareil à un Z, compte 2 angles ; le chiffre 3 deux angles face au troisième au centre et le chiffre 8, un composé de deux carrés superposés, formera huit angles.

Mais au Yémen, on perd rapidement son arabe et son latin face à ces chiffres indiens des temps anciens. Malin sera celui qui retiendra un numéro de téléphone ou de taxi. Ces derniers, heureusement, sont repérés par leur plaque minéralogique jaune. Cette plaque sera bleue pour les voitures privées, rouge pour les transports en commun et vert pour le gouvernement.

La deuxième curiosité est l’horloge de la mosquée. Elle est bien à 15 h 30, mais dans cette salle de prière la montre indique seulement 8 h 30. Nous sommes à l’heure arabe pure. L’heure zéro n’est pas minuit mais l’heure du coucher du soleil.

 

LES HOMMES SANS CULOTTES

La troisième curiosité est moins drôle. On me demande d’abord si je suis bien musulman. C’est l’heure de la prière et on m’invite à m’aligner « étadilou » avec les prieurs. Soudain, je découvre avec stupeur à ma gauche et ma droite posées, à même le sol, les petites culottes de mes voisins. Mon guide m’intime de faire de même par mesure d’ablution et je refuse à la honte générale. Mon 138e pays visité est bien curieux.

A la fin de la prière, un sexagénaire de 1,55 m, sec comme un roseau, un visage buriné et des yeux creux, vêtu d’une Djellaba grise et d’une veste noire en poil de chèvre, portant avec fierté sa moustache, sa large jénbia et son caftan noir, m’aborde. Sur son signe, un des prieurs me met en joue avec sa kalachnikov en me disant : « Tu n’es pas musulman ! » Mon guide, intelligent et rapide, veut éviter un cadavre ou un otage aux Yéménites. Il se précipite, en un tierce de seconde sur la poche de mon veston, me déleste de mon passeport vert et leur prouve ainsi que je suis Tunisien. Donc musulman. Mais le chef hésite et demande calmement ; « Pourquoi, donc, est-ce qu’à la fin de la prière, tu as regardé à gauche avant de regarder à droite ? » Ce qu’il ne saura jamais c’est que j’ai pourtant tout fait pour bien imiter tous les mouvements de mes voisins. L’islam est complexe et ses dogmes sont précis.

 

SUNNISME ET CHIISME

L’ère musulmane commence en 622 avec l’émigration, la « Hijra » ou l’hégire de Mahomet vers Yathrib qui deviendra Médine. Mahomet quitte ainsi la Mecque, sa ville natale et le fief des Koraïchites, Bani Hachim. Deux ans plus tard, il décide que la « quibla », la prière sera vers la Mecque et non plus vers Jérusalem. A la mort du prophète Mahomet, l’islam éclate en sunnites et chiites. Le Sunnisme représente l’orthodoxie avec quatre califes qui se succédèrent jusqu’à la dynastie Ommeyyade installée à Damas puis à la dynastie Abbasside qui régnera à Baghdad. Le califat se perpétua, ensuite, par les sultans de l’empire Ottoman. La succession est koraïchite.

Les chiites ne reconnaissent pas cette série de successions et pensent que le titre des commandeurs des croyants revenait à Ali, cousin et gendre du prophète et ses descendants. Pour ces chiites ce n’est pas à la tribu koraïchite de perpétrer et gouverner l’islam, mais c’est à la stricte famille de Mahomet de le faire. Au Yémen, le chiisme a enfanté le zaydisme. Mahomet qui épousa Khadija en 595 resta monogame durant 25 ans. Le prophète eût d’elle quatre filles dont Fatima qui épousera Ali. Mahomet épousa, à la mort de Khadija, Aïcha fille d’Abou Bakr, Saouda, Hafsa, Zeinéb, Oum Salama, Oum Habiba veuve d’un chrétien, Jouairia, Safia d’origine juive.  Mamounia et deux femmes affranchies, Marie la copte et Rihana la juive. L’islam se répand. La guerre sainte (le Jihad) est un devoir. En résumé, on pourrait dire que la « sunna » serait la « tradition » ou la « voie ». Elle relate les enseignements du prophète, ses paroles et ses gestes. La « sunna » sert d’exemple et de modèle aux musulmans qui lisent le « hadith ».

La « charia », véritable loi religieuse comprend l’ensemble des obligations du coran et embrasse tous les aspects de la vie. Quatre écoles lui font référence : les Hanafites (Turquie, Asie), les Malékites (Afrique), les chaféites (Proche et Extrême Orient) et les Hanbalites d’Arabie. Le « Fikh », enfin, sera le droit jurisprudentiel de l’islam qui interprète et applique la charia.

 

 

KAWKABANE

Kawkabane ou deux astres (kawkeb) est un village perché sur une falaise au dessus de Chibam. Un sentier pédestre permettait aux Yéménites de gravir allègrement ces 400 m de pente dans la brume des montagnes. Aujourd’hui, les Allemands viennent de construire un formidable tapis goudronné et balisé de 6 kilomètres de long qui permet aux 4x4 et aux vieilles limousines américaines d’arriver au village millénaire de Kawkabane. Il ne faut pas oublier que ce Yémen authentique et fermé n’a connu les premières automobiles qu’il y a, à peine, un quart de siècle. Soudain, un cortège jaillit de nulle part. Pareilles à des ovnis, une vingtaine de voitures sans plaques minéralogiques aucune, dont sept grosses Mercedes grises paraissent clonées ou jumelles. Quatre jeeps armées et une ambulance ferment le cortège présidentiel qui rentre d’une inspection au nord.

La montée vertigineuse me rappelle mes milliers de kilomètres d’auto-stop sur la cordillère des Andes, de la Colombie au Chili.

Le vertige et le suspens sont garantis à chaque tournant, qui de garde fou ne connaît même pas le nom. Imaginez un monde qui revient au millénaire passé, un village tout de pierres grises bâti et un vide absolu en cette fin d’après-midi. Le coup d’œil sur la vallée est vertigineux et l’horizon semble craquer sous les empreintes de l’histoire. De partout l’Histoire s’infiltre, s’incruste et vous hante.   

Hirsutes, maigrichons et enrubannés, trois Yéménites tout de noir vêtus, nous fuient légèrement par respect ou par crainte.

Plus loin, deux 4 x 4 noires et empoussiérées à souhait, laissent échapper quatre martiens pareils à des Vikings face à un hôtel de fortune. Deux couples de jeunes milanais bravent l’exagération des médias, les éventuels kidnappings de touristes et les probables sables mouvants pour venir affronter avec leurs grosses machines téléguidées par satellite, le célèbre « Robô el Khali » (le quat vide) au nord de Hadhramaout. Le désert des déserts. L’art pour l’art. Le voyage du voyageur.

 

THILA

Nous reprenons notre route à 17° de dénivellation pour aller découvrir plus loin le vieux village de Thila.

Une porte d’entrée médiévale, enchâssée dans une épaisse muraille millénaire nous invite à un voyage hors du temps dans un village historique et antique. A 2 700 mètres d’altitudes, Thila est surplombé d’une citadelle qui nous ferme ses portes, les gardiens peu souriants nous braquent avec leurs armes et nous interdisent toute visite de cette citadelle, dont la position stratégique permet de surveiller tous les villages aux alentours.

Le coup d’œil sera pour une autre fois.

Ce village se remémore avec fierté sa défense glorieuse par l’Imam Al Motahar contre la première invasion ottomane.

Des maisons en pierre de grès poussent comme des châteaux de sable héroïques et arrogants. Le décor des façades change de maison en maison et ferait pâlir d’envie plus d’un Corbusier, Gaudi ou Niemeyer. Avec de la simple pierre taillée, l’architecte yéménite aura su édifier des splendides frises horizontales en dents de scie. Une impression de cité de fantômes se dégage de prime abord, appuyée surtout par l’abandon pur et simple de ces châteaux de quatre étages dont les habitants ont émigré vers Sana’a, la capitale.

D’autres maisons sont construites selon la méthode « zabur » avec des murs construits de couches de boue successives. Les murs sont adossés l’un contre l’autre dans les angles, ce qui donne à l’habitation une forme conique stable et caractéristique.

En découvrant l’architecture du Yémen, je retrouvais en partie le même choc architectural ressenti vingt-cinq ans plus tôt à Cuzco, au Pérou, capitale de l’Empire Inca avec deux points communs au moins, une construction de montagne avec des roches qui épousent arcs et voûtes sans lien aucun.

Plus tard, je retrouvais en Mésopotamie une similitude de cette architecture yéménite. A vrai dire cette architecture est plurielle, elle peut être seulement de pierre ou de terre battue. Le barrage de Maarib qui permettait d’irriguer 5 000 hectares nous édifie sur la grandeur de l’ouvrage de prés de 3 000 ans.

Lors de mes pérégrinations au Yémen, ma grande surprise fût de constater que l’ensemble des constructions est toujours fait sur le sommet de collines, des rochers et même des pics. Fuir l’envahissement d’abord et sécuriser son gîte ensuite. Dans un pays tribal, la protection est majeure. Les carrières de pierres multicolores (blanches, jaunes, noires, vertes et roses) permirent d’édifier maints temples et palais. La construction est en hauteur et à étages multiples. Ne dit-on pas que les premiers gratte-ciel viennent du Yémen ? La traditionnelle cour des maisons arabes fait place aux étages  yéménites. Les pierres d’albâtre, les pierres volcaniques et le gypse seront la décoration de toutes les façades.

 

ARCHITECTURE INSOLITE

Au Yémen, contrairement aux baies vitrées d’Amsterdam qui dévoilent votre chambre à coucher, les fenêtres fermées sont surmontées d’une « kamaria » en arc de cercle. Cette lucarne de verre coloré laissera filtrer la lumière et changera de dessins selon le goût et la richesse de tout un chacun. Un anneau ou arc de cercle en pierre noire de 20 cm de large bordera cette « kamaria ».

Sur les hauts plateaux, la hauteur moyenne d’une maison est de 12 mètres, soit celle de 4 étages. Sur un terrain rocheux, la maison épousera la forme de la roche comme ce palais « Kasr el Hagar » que j’ai visité durant deux heures à la sortie de Sana’a, une maison-tour enchâssée dans un gros rocher basaltique. Un ensemble de pièces en semi-étages, petites, utilitaires et garnies de plâtre, de boiseries et d’étroites fenêtres. Même le courant d’air est canalisé dans une épaisse et large fenêtre, pour en faire un réfrigérateur.

Les plâtriers enduisent les murs intérieurs et aménagent la façade avec des arcs polychromes et des bas-reliefs décoratifs. Ils badigeonnent les éléments de façade tels que les pourtours des fenêtres et les moucharabiehs qui permettent de voir sans être vu.

Soudain, nous sommes pris d’assaut par trois jeunes garçons à la djellaba grise traînant au sol. Ali, aux yeux noirs ronds comme des billes, aux cheveux coupés à ras et au teint très basané s’impose par son verbe et grimpe derechef dans notre 4 x 4 bleue. Longtemps privé de protéines et de calcium il paraît avoir huit ans et il en compte treize.

Nous voici enfin parés d’un guide de montagne qui, des sentiers de pierre, connaît chaque rocaille.

Notre première halte se fait chez Aïda. Elle est belle, souriante et intelligente. A douze ans, elle se permet encore de dévoiler légèrement son visage et m’offre une minuscule bague en perles noires du Yémen. Sa caverne d’Ali Baba est une boutique de 3 m² arborant, jénbias, vieilles clés, colliers d’ambre et autres colifichets.

La tournée du village est un voyage dans l’histoire. La prison et le tribunal de 4 m² chacun jouxtent l’entrée. Le chef du village ou le Cheikh est pratiquement le seigneur et maître de ses 2 000 habitants. On se passe de la République, on conjugue la loi et on reste tribal et souvent tribun jusqu’au bout des ongles.

Le village vit en autarcie complète. Un bain maure ou « hammam » trône à la place centrale et recevra les dames le matin et les messieurs le soir.

Du bois et du mazout conjuguent leurs calories pour chauffer la marmite. Un groupe électrogène des années 50 sert de centrale électrique au village montagnard.

C’est à 18 heures tapantes, que ce groupe se mettra en marche pour offrir quatre précieuses heures d’électricité aux villageois.

La grande surprise est sous forme d’une vingtaine de piscines de 120 m de diamètre. Astucieux, les habitants de Thila ont su endiguer l’eau des pluies vers ces bassins. Chaque quartier aura le sien où pourra puiser l’eau à souhait. Des femmes longilignes, toutes de noir habillées et masquées, sont les porteuses des lourds seaux d’eau. Une erreur de bassin coûtera aux villageois mille rials d’amende et, ou, 7 jours de prison.

 

L’EMBLEME DU YEMEN EST RICHE

L’aigle symbolisant la force du peuple est l’emblème du pays. Cet aigle repose sur un socle où est gravé « République Arabe du Yémen » auprès d’un dessin représentant deux symboles yéménites, le caféier et le barrage de Maarib. L’aigle porte sur ses ailes le drapeau national formé de trois bandes horizontales rouge, noire et blanche : le rouge de la révolution, le noir de la terreur de l’ancien régime et le blanc des principes de la dernière révolution avec sur cette bande une étoile islamique à 5 branches.

Comment expliquer qu’une si glorieuse civilisation soit aujourd’hui aussi autarcique, fermée et même rétrograde ? S’il est vrai que le Yémen est un Etat, c’est tout d’abord, une somme de deux tribus : Hached et Bakil. Ces deux « Kabaïls » (tribus) détiennent le nord et le sud du Yémen et sont divisés en « Achâer » subdivisés en « Ourouchs ». Aujourd’hui les deux « Kabaïls » ou tribus HachedAkham) et Bakil (à Maarib) sont le fief des principaux responsables du Yémen.

Cheikh Sinan Abou Louhoum (Bakil) est conseiller du Président et Cheikh Abdallah el Ahmar (Hached) est le Président de la chambre des députés. Le Président de la République du Yémen, Ali Abdallah Salah, est lui-même un Hached, il est président du Conseil présidentiel (réélu en 1993, ancien président de la RAY depuis 1978) avec Hayder Abu Bakr al-Attas, reconduit en mai 1993 comme chef de gouvernement. Les principaux partis sont le Congrès Populaire Général (CPG), Parti Socialiste Yéménite (PSY), Rassemblement yéménite pour la Réforme (Islah), Baas, nassériens, Ligue des fils du Yémen, Parti du Droit.

Le Yémen et l’Arabie Saoudite ont entrepris en 1992 de négocier le tracé de leur frontière. Le traité de Taëf (1934) par lequel l’Arabie annexait les provinces de l’Asir et de Najran est parvenu à échéance fin 1992 ; des négociations irrégulières ont eu lieu à ce sujet. La frontière saoudo-yéménite aux confins de Rubô el Khali (le quart vide) n’a jamais été démarquée. L’Arabie a fait pression sur les compagnies pétrolières opérant sur les concessions délivrées par le Yémen dans ces zones afin qu’elles renoncent à toute activité.

L’appartenance au Yémen ou à l’Erythrée de certaines îles de la Mer Rouge reste un sujet de discussion.

L’Etat, lui-même, est un équilibre de ces « Kabaïls » qui continuent à sévir et imposer leurs lois à travers tout le Yémen. Aujourd’hui, dit-on, prés de 60 millions d’armes à feu circulent librement au Yémen. 200 US $ vous doteront d’un kalachnikov surnommé, « Ali » par les indigènes. Guerrier et indépendant, le Yéménite portera, certes, sa symbolique « Jénbia » et une ou plusieurs armes à feu. Le tribalisme garde toutes ses lettres de noblesse.

14,7 millions de Yéménites éveillés, commerçants et intelligents sombrent pourtant dans la torpeur sous l’œil amusé du grand voisin du Nord. L’histoire est cruelle. Toute cette contrée portait le nom d’Arabie Heureuse « Felix Arabia » ou l’Empire du Yémen. Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite est, peut-être, le frein à l’éveil du Yémen.

En 1914, les Anglais avaient déjà proposé la ligne violette pour déterminer la frontière entre l’Arabie et le Yémen. Fouad Hamza, un Druze, conseiller du Roi d’Arabie, proposa une autre ligne, en 1935, qui privait le Yémen d’un parallèle entier.

La Guerre du Golfe (août 1990), empira le voisinage avec cette puissance démographique yéménite. Seuls 4 millions de Saoudiens de souche font face à 14,7 millions de Yéménites assis sur une fortunes minière presque aussi considérable qu’en Arabie.

Le gaz du Yémen n’est-il pas la seconde réserve mondiale ? Soit près de 450 milliards de m3 et les réserves de pétroles se montent à 550 millions de tonnes. Face à ces chiffres, plus d’une puissance voisine voudrait tenir le Yémen en respect.

 

LA VIE ECONOMIQUE

En 1991, le manque à gagner du Yémen, en raison de la Guerre du Golfe, est évalué à 1,8 milliard de dollars, soit près du tiers du PNB. Le facteur principal de ces pertes est le rapatriement des quelques 750 000 travailleurs d’Arabie Saoudite, « encouragés » à rentrer dans leur pays, dont les envois de fonds constituaient la principale source de devises de la jeune république. L’aide américaine est réduite de 22 millions de dollars à moins de 3 millions, en raison des positions pro-irakiennes du Yémen.

En 1992, l’économie continue de se dégrader en raison de l’ostracisme dont Sana’a fait l’objet, notamment de la part de l’Arabie Saoudite. Le gouvernement s’efforce d’attirer les sociétés internationales pour l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole, mais certains d’entre eux sont situés dans des territoires revendiqués par l’Arabie Saoudite. Les privations de la population suscitent des émeutes, poussant le Premier Ministre, Haider Abu Bakr al-Attas, à la démission.

En 1993, le pays n’a toujours pas surmonté les handicaps issus de son « choix » au moment de la guerre du Golfe. Selon la Banque Mondiale, l’activité économique a subi une contraction de 10 % en 3 ans.

L’inflation a contribué à la baisse du pouvoir d’achat. Leur valeur du Rial sur le marché parallèle s’est dépréciée régulièrement. L’Etat s’efforce d’en atténuer les conséquences en subventionnant les denrées alimentaires, importées à 70 %.

Un nouvel oléoduc, mis en service en 1994, permet de porter la production pétrolière de 200 000 à 300 000 barils par jour. Les gigantesques réserves de gaz n’ont toujours pas été mises en exploitation. Le gouvernement se propose de créer une zone franche à côté du port d’Aden, un atout économique laissé à l’abandon par l’instauration d’un pouvoir marxiste en 1967. La modernisation et l’extension des installations portuaires devraient permettre à Aden de reprendre le rôle de transfert régional monopolisé par le port de Jebel Ali (Emirat de Dubaï). Une telle entreprise suppose d’importants concours internationaux.

L’agriculture du Yémen est chroniquement déficitaire. La production végétale concerne le Sorgho (30 % des terres cultivées en 1994), le millet (6 %), le qat (plante euphorisante et élément essentiel de la vie quotidienne du pays) et le café.

Le pétrole a permis au Yémen d’éviter le pire. Le Yémen a connu trois maux cruels, une guerre civile entre les gens du Sud et ceux du Nord, le retour d’un million d’émigrés des pays du Golfe, qui a annulé les envois de fonds aux familles et le mauvais choix pro-Irak dans la guerre du Golfe, qui a bloqué l’aide des pays donateurs.

Les rues grouillent de petits métiers tandis que la tension reste forte entre le Yémen et l’Arabie Saoudite ainsi qu’avec l’Erythrée.

La chance du pays est le pétrole et demain le gaz naturel. En 1995, au prix de 17 dollars le baril et à 5 F le dollar, cela représente pour 17,2 millions de tonnes de production un montant de 2.15 milliards de dollars, soit 50 % du PNB.

Le S.M.I.C en soi n’existe pas mais les bas salaires, celui d’un simple fonctionnaire par exemple, sont l’équivalent de 50 US$ et 85 US$ pour un ingénieur. L’essence vient d’augmenter et passe de 20 à 25 Rials le litre.

Le FMI et la Banque Mondiale mettent comme condition à leur aide la panoplie habituelle de leur dispositif soit la réduction du déficit budgétaire de 15 % du PNB, la baisse de l’inflation des 70 % actuels à 25 %, le retour à la vérité des prix dans le secteur public, la suppression des subventions aux produits alimentaires et la réduction des effectifs de 25 % dans la fonction publique.

Si la première voiture n’a fait son apparition au Yémen qu’il y a trente ans à peine, il faudra, encore, attendre longtemps pour changer l’équilibre précaire de ce fantastique pays où le qat, l’honneur, la tradition et les us sont un pain quotidien.

A l’autre bout de la péninsule arabique, les Emirats Arabes Unis semblent vivre sur Mars ou Jupiter.

Ce pays gardera encore son nom d’Arabie Heureuse et heureux sera celui qui ira à la découverte de ces volumes d’histoire enfouis dans les montagnes yéménites. Une seule envie. Revenir au Yémen. Visiter Aden, rechercher le miel mystique et pur du sud, les tribus côtières et savourer cette vie, hors du temps et hors du siècle. Revenir au « Felix Arabia ».

Rached Trimèche.

(2 juillet 1997)

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