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BELLARUS,

 

PÉRIPLE EN RUSSIE BLANCHE

 

 

                                                                                  Par Rached TRIMECHE

www.cigv.com

 

 

 

Minsk. (Juin 1995). Quoi de plus simple que de vouloir visiter l’Ukraine et la Biélorussie ou la Belarus, même si l’on sait que faute de visa et malgré sa robe, le Père Antonio Fullana-Moragues, TGV du CIGV-Espagne, vient d’être refoulé de l’aéroport de Minsk?

 

Au départ, tout paraissait simple. Il suffisait de prendre de Tunis, un avion pour Frankfurt, puis un second pour Minsk en Russie Blanche, où les autorités averties à temps, m’auraient délivré un visa d’entrée. Il ne restait plus ensuite qu’à prendre un troisième avion pour aller à Kiev en Ukraine, pour mon second reportage dans l’ancienne URSS.

Tous ces voeux pieux ne sont que chimères, puisque la veille de mon départ, muni de mes billets d’avion et d’une valise déjà bouclée, je reçois une aimable télécopie d’un ami diplomate à Kiev, me suggérant de tout laisser tomber et  de revoir l’itinéraire de mon voyage, pourtant mis au point durant 15 jours de délicates tractations.

En fait il fallait réaliser que nous sommes dans l’ancien empire soviétique, aux frontières éclatées en 1991 et que la logique cartésienne n’est pas de mise ici.

Essayons de voir de près tout ce cheminement de préparation au voyage en Russie Blanche. Voyager en ces pays est très compliqué et cette longue narration qui suit n’a pour but que de montrer l’importance de l’inattendu et de la patience.

La dromomanie cette irrésistible envie qui nous pousse à partir pour découvrir d’autres cieux n’est pas toujours aisée. Partir et vivre un peu ou un peu plus mérite bien quelques tracas et autres complications.

 

LABYRINTHE KAFKAIEN

 

Le problème est simple mais la solution compliquée :

Une fois à Minsk, en prenant un avion pour l’Ukraine, nous atterrirons, non pas à l’aéroport international Sébastopol de Kiev, mais à l’aéroport national de la capitale ukrainienne.

Anciens États de l’URSS, l’Ukraine et la Biélorussie ne sont reliées que par des aéroports dits nationaux, où on ne délivre point de visas pour les étrangers. Logique soviétique à accepter sans commentaire.

Il ne reste plus donc qu’à aller directement en Ukraine et chercher par la suite une  correspondance rapide  pour Minsk, ou partir de Minsk à Moscou pour pouvoir atterrir cette fois à l’aéroport international de Kiev en Ukraine, où l’on délivre un visa pour les étrangers.

 

Mon agence de voyage à Tunis me confirme ce nouveau trajet. Avant d’acheter ce billet je téléphone rapidement à un ami ambassadeur à Moscou, qui me dissuade doublement du nouveau projet :

L’arrivée à Moscou est à 20h et il faudra quitter cet aéroport pour rejoindre un second quinze kilomètres plus loin, payer un taxi près de 200 US $ et courir le risque d’être dévalisé par ce même chauffeur de taxi, avant même d’arriver à l’aéroport.

Ne souhaitant point passer de nuit à Moscou et, pour éviter tout tracas nocturne, je décide d’annuler mon voyage de Biélorussie et d’aller directement en Ukraine.

 

Mais tout ne fut pas aussi simple et les surprises se suivirent à un rythme effréné :

C’est à l’aéroport international de Kiev que j’apprends, que l’autre aéroport dit  national (où je devais atterrir en venant de Minsk) est fermé pour cause de travaux depuis 13 mois. Aucune agence de voyage, ni ambassade, n’était au courant de cette fermeture.

J’aurai donc pu prendre tout simplement mon avion de Minsk, pour atterrir directement à l’Aéroport international Sébastopol de Kiev, où l’on délivre des visas ukrainiens aux étrangers.

 

Tout cela n’est certes qu’un avant-goût de la vie compliquée dans cette galaxie du bloc de l’Est éclaté...

Avant de narrer la “solution miracle” d’acheminement de Kiev à Minsk, essayons de voir où se love cette Russie Blanche ou Biélorussie.

 

LA BELARUS

 

La Belarus ou Biélorussie, n’apparaît sous ce nom qu’en 1919, en tant que République constitutive de l’URSS. Les Ruthènes ou Russes Blancs (origine du nom Biélorussie), n’étaient qu’une variété de Russes dans cet empire, décimés entre la Pologne et la Lituanie.

 

Lorsque l’Empire Kiévien éclate au 12ème siècle en une multitude de Principautés soumises par les Mongols, les Biélorusses s’allient aux Lituaniens pour les contrecarrer et lutter contre l’ordre teutonique.

Toutes ces révolutions s’achèvent chaque fois par un retour au giron russe, en passant certes par les Tsars et l’URSS.

Le 30 décembre 1922, la Biélorussie sera l’une des Républiques constitutives de l’URSS, avec la Russie, l’Ukraine, et la Transcaucasie.

 

Plus tard, à la naissance de l’ONU, on retrouve cette même Biélorussie (dont le Ministère des Affaires Étrangères est distinct de l’URSS) avec un siège à l’ONU, tout comme l’Ukraine et la Russie. Et cette aberration dota l’ancien Empire Soviétique de 3 sièges à l’ONU, contre 1 seul aux États Unis d’Amérique, par exemple.

En 1815, aucun des peuples d’Europe Centrale n’est indépendant. Tous sont soumis aux puissances voisines, soit la Prusse, l’Autriche, l’Empire Ottoman, et l’Empire Russe, et ne s’émanciperont qu’à la fin du 19ème siècle. l’Europe Centrale est un camp clos.

 

L’EUROPE CENTRALE

 

L’histoire de cette Europe Centrale commence il y a 1000 ans, avec sa christianisation, oeuvre de deux empires rivaux :

Le Germanique, lié à la Papauté, et le Byzantin.

 

Au début de notre ère, une frontière partage l’Europe le long du Rhin et du Danube, avec au sud, un empire romain civilisé et organisé, englobant la Méditerranée, et au nord, les barbares hirsutes  et dispersés, soit les Germains, les Gètes, les Daces, les Sarmates, et autres.

 

Dix siècles plus tard, une frontière naît dans l’axe de la Méditerranée entre l’Islam au sud, et la Chrétienté au nord. En ce Nord, deux empires se réclament les héritiers de Rome : au Sud-Est, l’Empire Byzantin, et au Centre Ouest, le saint Empire Romain Germanique.

Mais la Chrétienté inclus quatre États nouveaux : la Pologne, la Bohème, la Hongrie et l’Etat Kievien.

C’est le début de l’histoire de l’Europe Centrale.

 

Tout cela attire les migrations de peuples “d’appellation germanique” que les Français traduisent par “invasions barbares”.

Aux irruptions des peuples des steppes (Huns, Havars, Protobulgares et Petchenègues) suivent les exodes des Germains. Dans cette Europe Centrale, quelques 25 langues maternelles coexistent. Le roumain, l’albanais, et l’estonien émergent tardivement. On n’arrive ni à germaniser, ni à russifier en une langue commune toute cette Europe Centrale.

C’est face à ce double péril linguistique et cette Tour de Babel, que Lejzer Zamenhof, citoyen juif lituanien, lance en 1887 l’espéranto comme langue internationale.

 

 

 

 

DÉPART à MINSK

 

Revenons à nos péripéties voyageuses et à la solution qui nous permit d’aller de Kiev (Voir ASTROLABE N°47) à Minsk, en Russie Blanche.

C’est à nouveau un ambassadeur ami à Kiev, qui me “prête” son garde du corps, pour rejoindre Minsk en 18h de train, tout en passant à une dizaine de kilomètres de Tchernobyl que je souhaitais visiter.

 

Cette traversée ferroviaire est une véritable épopée, qui me ramène à mes 20 ans et à ce petit train reliant en 7h de temps, les  70 km andins qui séparent Cuzco de Machu Picchu, au royaume des Incas, au Pérou.

Notre wagon-lit, en ère classe, est entièrement réservé à mon colosse de garde du corps d’un mètre quatre vingt dix et à moi-même. Il ne parle pas anglais et je ne parle pas le russe, encore moins l’espéranto.

 

Je lui confie ce que j’ai de plus cher - mon passeport voyageur et mes 4 sous - et entame un dialogue de sourd-muet 18 heures durant. Sans ambages, il m’intime l’ordre de ne point quitter notre cellule de 3m2  durant 18 heures et devenant l’argentier du voyage, il loue rapidement draps et couvertures pour la nuit.

La gigantesque gare de Kiev s’éloigne petit à petit, et notre train de la dernière chance prend sa vitesse de croisière en fonçant sur le nord de l’Ukraine vers Tchernobyl.

 

Quatre heures déjà, et le paysage est immuable, dans sa robe de conifères hauts et majestueux.

Je me sauve de ma cellule pour quitter la ère classe, en traversant tout le wagon pour rejoindre les autres compartiments. Un autre monde, un autre univers.

Imaginez, dans un wagon aux bancs défoncés, une cinquantaine de passagers hagards et hirsutes, veillant jalousement sur leurs énormes colis ficelés de toutes couleurs.

 

Dans ces wagons du train de l’horreur, avec ses dizaines de pseudo charrettes ou poussettes d’enfants, devenues valises rapiécées, où les cabas montent au plafond, et où la dense fumée des cigarettes transforme ces lieux en véritables fumoirs birmans, deux colosses en chemises rouge et noire, armés de longs couteaux à larges lames plates, remarquent l’étranger, et se préparent à la fête.

Il ne m’en faut pas plus pour rebrousser chemin et fuir ces regards de femmes aux foulards dignes et crasseux.

Elles vivent la misère la plus sordide et semblent porter sur leurs épaules la fatalité du Tsarisme, du Marxisme et de la nouvelle Mafia russe.

 

LESBIENNES et CHANTEURS

 

En regagnant mon wagon de première, je suis apostrophé par un jeune et beau garçon, qui me propose en un anglais oxfordien, de venir dans sa cabine, partager quelques victuailles et agapes.

Un nouveau monde inattendu dans ce monde ferroviaire.

 

Gerjnski Félix n’est autre que le chef d’orchestre de la première troupe musicale de la Biélorussie. Il rentre avec ses quatre amis d’une tournée de 4 semaines à Kiev et part dans un mois à New York pour découvrir le pays de l’Oncle Sam qui l’invite à un enregistrement de disques CD.

 

Dans ce wagon, la cabine du groupe SYABRI paraît avec son caviar, ses fromages et son mousseux servi à flots, à des années lumières du précédent.

Légèrement éméchés, nous quittons cette joyeuse cabine vers une heure du matin, pour aller réveiller les autres passagers de la première classe.

 

Sans vergogne et sans formalisme aucun, ces deux jeunes charmantes femmes de 1,80m nous permettent l’accès à leur cabine et nous proposent du jus de pommes. Les traits du visage de mon nouvel ami musicien, devenu interprète, passent du sourire au plus profond étonnement.

Et le voilà me répétant:  “Do you believe that, do you believe that..?”

C’est que la surprise est de taille. Cette pulpeuse et charmante blonde qui continue son voyage sur Riga, n’est autre que la présidente de l’Association des lesbiennes de Lituanie.

On a droit à des dizaines de prospectus relatant ce dynamique mouvement féminin et annonçant le prochain congrès mondial des lesbiennes à Riga, pour la fin de cette année 95.

 

Beaucoup plus tard, un tohu-bohu inhabituel réveille tous les passagers, avec des ordres secs lancés à tour de bras par des dizaines de soldats venus de je ne sais où.

 Mon garde du corps prend les choses en main et ne cède en rien. Oui, nous avions bien un visa pour la Biélorussie, obtenu la veille même à leur ambassade de Kiev.

Il fallut néanmoins obtempérer, se lever et relever la banquette de son lit qui cachait un énorme coffre vide.

 

Morphée s’envole et l’aube pointe, avec un arrêt de dix minutes, dans cette gare du bout du monde. Le spectacle est simple, triste, hallucinant et tragique. Nous sommes à quelques encablures de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Toute la terre que l’on voit et la végétation qui pousse, sont irradiées pour des dizaines d’années.

 

LES DAMES DU QUAI

 

Sur ce quai, une première dame toute de vert vêtue et au regard vide , nous tend un poisson mort, bien mort et séché, dont la vente lui permettrait de subvenir à sa famille pendant 1 à 2 journées. Nous sommes dans un pays où le salaire mensuel moyen ne dépasse guère 25 $ US, au coeur de l’Europe et en 1995.

La seconde dame, tout aussi taciturne et squelettique, avec de larges yeux verts et une tignasse à la Schiffer, nous propose 4 tomates à 100% irradiées et une bière, on ne peut plus tiède, avec certes une irradiation très concentrée.

La troisième dame, qui aurait trouvé sans problème aucun un job chez Vogue ou Chanel à Paris, arbore un beau tee-shirt américain, mettant en valeur un de ses trésors et propose aux passagers un demi pain noir et trois concombres pour un  seul dollar.

                                              

Un peu plus loin, quatre enfants de 10 ans demandent par les fenêtres, les bouteilles vides des passagers.

Ces enfants ont vécu la macabre journée du 26 Avril 1986, où le deuxième réacteur de Tchernobyl éclata.

Cette gare, cet endroit même, premier village biélorusse, au nord de Tchernobyl, fut peut-être le lieu le plus irradié de la planète.

Durant cinq jours et cinq nuits, les vents ont soufflé vers le nord, poussant la radioactivité de Tchernobyl jusqu’en Pologne.

Ces enfants, dont la durée de vie maximum est de quelques autres années, rejoindront les centaines de milliers de morts de Tchernobyl.

Ce quai cauchemardesque me donne la nausée, et nous éloigne de ces poseurs de bombes et manipulateurs d’armes atomiques de tous genres.

A cinq ans de l’an 2000, aurons-nous assez de sagesse pour éviter certains dégâts, freiner certaines guerres fratricides et honteuses, et combler peut-être certaines poches de pauvreté et couches d’ozone ?

 

MINSK L’INSOLITE

 

18 heures plus tard, nous arrivons avec soulagement à la gare de Minsk. Une marée humaine de jeunes femmes et garçons de 15 à 25 ans envahit la place de la gare.

Toute cette belle jeunesse est-elle donc au chômage à 8h du matin?

 

L’absence de circulation me rappelle Tirana, capitale de l’Albanie, visitée il y a 10 ans, à l’heure où Schquiperia formait une galaxie au coeur même de l’Europe.

Aujourd’hui, par rétrospective, je garde de mes quelques jours passés en Russie Blanche quelques flashs, quelques aventures qui reflètent la vie dans ce pays oublié des Dieux, de la quiétude et peut-être même du simple bonheur.

 

Mais où sommes-nous donc en ce curieux coin du monde ?

Dix millions  trois cent mille Biélorusses vivent sur un territoire de 207 595 Km2, soit plus de deux fois la superficie du Portugal.

Créée en 1919, la République Socialiste Soviétique de Biélorussie, déclare sa souveraineté le 2 août 1990, et devient en septembre 1991 la Belarus, qui crée sa propre monnaie un an plus tard ; le rouble biélorusse, appelé “lièvre” (qui s’échange à 11.600 billets pour 1 seul dollar).

Contrairement à l’Ukraine, la Belarus n’a pas marchandé le démantèlement de ses ogives nucléaires et reste de surcroît très dépendante de la Russie, dont elle se veut être une des frontières extérieures.

Ajoutez à cela le “gel” des terres cultivées du fait de Tchernobyl, la récession complète, une économie planifiée, le froid nordique, le manque d’énergies et il ne restera place qu’à la seule grande misère, laissant prévoir une fédération avec la Russie voisine.

 

Sans accès à la mer et enclavée entre l’Ukraine, la Russie, la Pologne, la Lituanie, et la Lettonie, la Belarus étouffe.

Alexandre Loukachenko, Président de la République, ne sait plus à quel saint se vouer.

Premier producteur mondial de pommes de terre, avec 1.125 kg par habitant et également premier producteur de seigle, la Belarus ne trouve que des acheteurs voisins, qui ne font plus cas de la radioactivité.

L’orge et le lin restent pour la consommation locale.

Six millions de bovins et quatre millions de porcins sont en outre une richesse appréciable à la Belarus.

 

Malgré ses 2 millions de tonnes de pétrole de production annuelle, la Belarus importe 90 % de son énergie. Ce pays affiche toutefois un PNB de 2.840 $ par tête et par an, soit le double du PNB du Maroc et la moitié de celui des Seychelles, par exemple.

Quant au rang du pays, selon le PNB global, il est de 64ème sur 234. Un indice de fécondité qui n’est que de 1,8 prononcé par l’effet Tchernobyl, condamne ce pays à une dépopulation nationale.

 

CAFÉ MATINAL

 

Une simple enseigne “KABA”  rouge, datant des Tsars peut-être, annonce la présence d’un café.

Une salle unique, avec un plafond haut de 4 mètres, compose ce café matinal. Deux jeunes blondes gaies et souriantes nous invitent à les rejoindre en fond de salle à 8h du matin.

La première saisit avec dextérité une minuscule cafetière et la dépose sur un genre de réchaud électrique, surmonté d’un réceptacle plein de sable noir, qui devient ainsi un barbecue pour café turc.

 

Le décor est impressionnant. Le sol est de marbre vert et blanc, les lourds rideaux imposants sont pourpres et les murs sont cernés de boiseries précieuses.

Le café turc, “kawa”, ne coûte que 4.000 lièvres ou 0,3 dollar US. Ce qui est déjà un luxe suprême, puisqu’il coûte déjà 10 fois plus cher que le simple café filtre servi au commun des mortels.

L’ambiance devient de plus en plus sympathique et notre nouveau guide nous demande de lui accorder 10 minutes pour aller chez sa soeur qui habite en face et nous rapporter une surprise. C’est ainsi qu’on a eu la chance d’acheter un bouquet de fleurs nattées d’un mètre de long, dans un beau vase torsadé et tressé dans de la raphia.

Fier de son juteux commerce, il s’adresse vaillamment aux belles tenancières, avec un geste très bizarre. Le voilà, claquant de l’index et du pouce le haut de sa nuque, juste sous son oreille. Ce geste étrange fait paraître en un clin d’oeil, une bière pression face au client. C’est que nous sommes au pays des Tsars où l’anecdote est tenace.

 

A cette époque lointaine, un Tsar bien en chair affectionnait un jeune éphèbe de 17 ans, beau comme un Apollon. Ce jeune homme avait souvent le gosier sec et n’avait pas toujours les moyens de se désaltérer à la taverne du coin.

Grand seigneur, le tsar lui offrit un parchemin scellé ordonnant à tout tavernier de servir gracieusement le jeune protégé. Tête en l’air, notre jeune ami perdit son parchemin au bout de 15 jours. Clément, le Tsar lui en offrit un second, qui redisparu  aussi vite.

Voulant éviter toutes nouvelles pertes de manuscrit, le Tsar eut l’idée d’apposer son cachet royal sur la nuque du protégé, qui n’avait plus qu’à taper de l’index sur ce sceau pour être servi.

 

UNIVERSITÉ DE MINSK

 

Les boulevards de Minsk sont larges, très larges, les magasins immenses et les marchandises absentes, sinon inexistantes. Le boulier chinois trône de partout, sans être détrôné par les calculatrices japonaises.

 Dans cette pâtisserie, nous sommes apostrophés par un échangeur de roubles. Ici, le change est libre à 100 % et les cours varient trois fois par jour. En Belarus, comme dans tous les pays de l’Est, le dollar semble bien être la vraie monnaie nationale. Le tout est d’en avoir.

 

En achetant un café et un gâteau, je m’aperçois que la caissière perçoit 5.000 roubles de plus. Face à mon objection, elle m’explique qu’elle a pris 5.000 roubles de garantie, qui me seront remboursés lorsque je ramènerai la tasse de café, sa soucoupe, et la petite cuillère en aluminium.

Plus loin, une foule silencieuse se forme en un clin d’oeil. Les bananes d’Equateur sont arrivées.

 

Un peu plus loin, cette façade luxueuse cache une pharmacie. A l’intérieur, le vide et la désolation remplacent antalgiques et  antibiotiques. Seuls une cinquantaine de médicaments existent ce jour à Minsk, avec un prix à 6 chiffres. Que Dieu leur garde la santé.

 

Les rares voitures soviétiques d’avant-guerre déambulent en paix, croisant un rouge tramway bondé. Leurs plaques minéralogiques blanches aux lettres rouges, ne connaissent que 4 chiffres. Et le sigle autocollant BY indique bien la Biélorussie.

Soudain, un ronronnement, qui se transforme en vrombissement sous l’image d’une Lexus SC 400, pareille à une Porsche noire, immatriculée LT (Lituanie), nous sort de notre léthargie. Les riches voisins jouent aux petits rois à Minsk.

 

Les caprices du hasard nous mènent avec cette foule au 3ème étage de la faculté des lettres de Minsk, où nous sommes reçus comme des cosmonautes dans ce cours de littérature anglaise, qui se transforme bien sûr en cours de géographie.

La jeune professeur nous prend en sympathie, le jour de notre départ, et nous invite chez elle. A la dernière station de métro, nous descendons pour prendre un premier bus, puis un second 4 km plus loin.

Nous voici dans une cité satellite, parsemée de dizaines d’immeubles à 10 étages. Nous passons d’abord dans une garderie d’enfants, où une vingtaine de petits lits invitent les pensionnaires à la sieste du midi. De 6h à 18h, les petits enfants de cette cité connaissent de la crèche tous les secrets.

 

CHEZ SVETLANA

 

Dans un petit appartement de deux pièces, nous sommes reçus par l’avenante et charmante Svetlana et Dacha sa nièce de 8 ans.

Des toasts au salami, ornés de tranches de tomate et de cornichons, nous sont servis avec une bière fraîche. Tout cela est certes radioactif, mais si bon. Svetlana, au sourire ravageur, veut oublier Tchernobyl et son plus d’un million de morts.

 

La maman de Dacha, et soeur de Svetlana, vendeuse dans une grande surface de Minsk, arrive vers 20h avec son mari, contremaître dans une usine.

Il fait encore jour. La mère prend son enfant et attrape un bus pour aller à l’hôpital, y présenter d’urgence sa fille déjà atteinte d’affection cardiaque, qui présente ce soir de larges et insolites taches rouges sur les bras.

Victime de Tchernobyl, Dacha ne connaîtra peut-être pas l’an 2000, mais il s’agit de sauver la qualité de chaque jour que Dieu fait ! A chaque jour, suffit sa peine.

 

A 23h, Svetlana troque son tailleur de professeur d’université contre des jeans délavés, et nous propose avec la petite Dacha, de nous raccompagner en bus et métro jusqu’à notre train de minuit, qui nous ramènera  à Kiev en Ukraine.

Seul le temps et le vouloir des hommes sauveront peut-être la Belarus de son naufrage. Le temps au temps.

Merci Svetlana pour cette page de vie.  ADIEU DACHA et que Dieu te garde.

 

 

                                                             Rached TRIMECHE 

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