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La Perse d’aujourd’hui,

Ispahan, Chiraz et Persépolis,

 

                       

                                                                                              Par Rached TRIMECHE

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            Téhéran (Août 1998). Que d’appréhension pour ce voyage en Iran. Les images sont floues et la méconnaissance gigantesque. La sécurité, les interdits et les non-autorisés sont-ils ce qu’on nous dit? Les Mollahs, l’islamisme, l’islam et la religiosité sont-ils ce qu’on nous raconte? La femme voilée, cachée et isolée est-elle réellement ce qu’on prétend? Heureusement, toutes ces questions ne cachent point la beauté d’une des plus prestigieuses civilisations du monde.

 

            Je voulais découvrir avec mon copain-voyageur de 12 ans, mon fils Ziéd, les charmes de Persépolis, la cité de Darius Le Grand, fondée il y a plus de 2 500 ans et détruite par Alexandre Le Grand de Skopje que nous sommes allés découvrir deux ans plus tôt en Macédoine. Mais notre ignorance est vaste face à l’origine de ce peuple aryen et de ce schisme de l’islam qui enfanta les chiites, adeptes de l’imam Ali, gendre et cousin du prophète Mahomet. Allons donc à la conquête de Téhéran, Ispahan, Chiraz et Persépolis et merci à Ziéd pour cette riche compagnie empreinte de curiosité, de rigueur et de soif intarissable de culture.

 

            Visiter l’Iran en 1998 est certes moins problématique qu’en 1995. Les Chancelleries iraniennes accordent à certains groupes touristiques un précieux visa d’entrée. Les Japonais et les Turcs sont les seuls qui peuvent fouler le sol perse sans visa aucun. Durant nos vadrouilles, des Japonais aux caméras sophistiquées et aux discrets écouteurs branchés à l’oreille gauche les tenant en contact constant avec leur guide déambulent comme des ovnis sur terre. Quelques groupes d’Italiens, d’Espagnols, d’Allemands et de Français forment la robe du tourisme balbutiant. A leur façon d’être plus royalistes que les reines, les blondes Italiennes et Allemandes se font remarquer en serrant un peu plus leur tchador et en masquant tout doigt de pied et de main...

            Il est vrai qu’en cette semaine du mois d’août, l’opposition iranienne cherche noise au Président Khatami élu démocratiquement pour combattre son ouverture vers l’Occident sur la voie d’une vie sociale un peu plus souple. Les milices policières sillonnent Téhéran en grosses fourgonnettes noires qui se remplissent très vite par de belles et distinguées Iraniennes qui ont eu le malheur de laisser paraître un vernis rose sur un doigt de main ou quelques millimètres d’une abondante chevelure dorée. Le panier à salade ramènera ces dames vers un grand poste de tri où les maris défiés sont invités à venir, en 1998 encore, chercher leurs épouses insoumises!

 

            Finalement, l’élément choquant de ce voyage est le comportement infligé aux dames de l’Iran. A les voir chez elles, dans leurs somptueuses demeures aux enceintes élevées, elles n’ont rien à envier aux dames de Beverly Hills et elles sauront conjuguer sur tous les tons la culture millénaire de leur pays. Mais soumises, sans liberté de choix aucune, elles ne pourront dépasser le seuil de leur porte sans porter un triste tchador noir, ce voile opaque qui les couvre entièrement. Depuis peu, ce tchador peut être remplacé par un “manteau” (le mot français est de rigueur en Iran, tout comme le mot “merci”) ou djellaba de couleur noire, brune ou grise et qui couvre la dame de l’épaule au bas de la cheville. Un foulard épais se chargera de la préserver des regards indiscrets et de l’attrait du mal. Soumise certes mais intelligente, l’Iranienne accepte encore ce “jeu” car elle croit dur comme fer que dans dix ou quinze ans tout sera beaucoup plus souple et, surtout, beaucoup plus juste.

 

Arrivée iranienne

            Après quatre heures d’escale à Istanbul où le “Lodge” (salon d’honneur) nous fut refusé (malgré une carte consulaire!), nous atterrissons à 3h30 du matin à Téhéran. L’aéroport est vaste et moderne, la foule nocturne innombrable et le regard d’acier des six policiers barbus refroidissant. Les formalités sont brèves et le visa écrit en iranien donc en caractères arabes est contrôlé à la loupe. Soudain, notre nouvelle compagne de voyage est stoppée et refoulée. Epouse d’un diplomate en poste à Téhéran, elle rentre d’un mois de vacances. Sieur barbu n’en a que faire et lui défend l’entrée de son territoire prétextant un visa échu depuis... vingt-quatre heures! Deux heures de palabres et de pourparlers qui seraient plutôt un long monologue arrivent à convaincre un officier de police encore plus barbu à établir un visa d’entrée à Madame l’Ambassadrice, à 5h du matin.

            Notre “surprise” nous attendait, parée d’un tchador aux couleurs chatoyantes. Madame l’Ambassadrice d’Australie et néanmoins Cigéviste, nous souhaite la bienvenue et nous prend à bord de sa splendide voiture allemande climatisée. Une bonne demi-heure de route et d’autoroute pour traverser une capitale aux larges avenues marquées encore par les souvenirs du Chah et des Ayatollahs. Un gros édifice attire notre attention,  mélange d’une modeste arche de Brasilia et d’un arc de triomphe parisien. Cette sculpture monumentale se veut un symbole de paix et de liberté en Iran. C’est que le pays est vaste et vieux.

 

Géographie

            Sur une superficie de 1 648 000 km2, soit plus de trois fois celle de la France, vivent près de 63 millions d’Iraniens. Téhéran, la capitale et sa banlieue comptent plus de 12 millions d’habitants. Une mégalopole digne de ses grandes sœurs le Caire, Mexico ou Sao Paolo. Au cœur de l’Asie, l’Iran est frontalier de l’ouest à l’est avec l’Iraq, la Turquie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Afghanistan et le Pakistan sans oublier, au nord, la riche mer Caspienne, gorgée de gaz et de pétrole et, au sud, le Golfe Persique et le Golfe d’Oman qui rapprochent ou éloignent le Koweït, l’Arabie Saoudite, les Emirats, Qatar, Bahreïn et le Sultanat d’Oman.

“Fars”, une province au sud de l’Iran, est devenue “Perse”, nom utilisé par les Européens pour parler de l’ancien Iran. Les Iraniens parlent de l’Iran comme pays et du farsi comme langue officielle transcrite en caractères arabes. 5% de la population parlent le kurde et seulement 2% l’arabe. Ce pays à 99% musulman est chiite à 80%. Il compte plus de 80 000 mosquées et sanctuaires, 600 000 sayyeds (descendants de la famille du prophète), 500 000 Charifs (descendants du prophète par la mère) et près de 200 000 mollahs (religieux qui vont des ayatollahs, qui guident vers Allah aux hodjatoleslam,s, qui donnent la preuve de l’islam, en passant par les rowzékhans, de simples clercs, les pichnamâz  qui dirigent la prière, et les waezs  ou prédicateurs). Qom, au sud de Téhéran, reste la ville sainte par excellence. Elle abrite le tombeau de Fatima, fille du prophète et épouse d’Ali, ce qui en fait un important centre de pèlerinage.

 

 

Histoire

            4 000 ans av. J.-C., en période proto-élamite, les relations de l’Iran avec Sumer en Mésopotamie étaient déjà établies et l’écriture arrive ainsi chez les Asiatiques. Leur capitale, Suse, est prise en l’an 1110 par Nabuchodonosor. Les steppes ukrainiennes lâchent trois peuples indo-européens qui s’installent en Perse. L’empire achéménide naît en l’an 700 av. J.-C. et connaîtra la gloire de Cyrus 1er et Cyrus II, chef des Perses et roi d’Anzan. En 516 av. J.-C., c’est l’apogée du règne de Darius Ier ou Darius le Grand. Son empire s’étend sur 28 pays dont l’Egypte, la Turquie et même l’Ethiopie et le Pendjab. C’est l’heure de gloire de Persépolis qui connaîtra sa première défaite quelque trente ans plus tard contre les Grecs à Marathon. Alexandre le Grand, fils de Skopje, écouta si bien les conseils de ses maîtres Aristote et Platon qu’il visita Persépolis, l’oeuvre de Cyrus le Grand, pour en dénicher le talon d’Achille et détruire l’empire. Les vingt satrapes ou dirigeants de l’Empire perse sont ainsi battus et l’Iran sera attribué à Séleucos, roi de Syrie.

 

            Cette période hellénistique est suivie par une période arsacide avec la naissance d’une tactique guerrière de la flèche du Parthe: les archers s’approchent de l’ennemi, décochent leurs flèches, se replient et répètent l’opération plusieurs fois. L’ennemi qui les poursuit disloque son front et se fatigue.

 

            Entre l’an 224 et l’an 642 se situe la période sassanide et la dynastie d’Ardeshir, anti-grec notoire qui rétablit la langue et la culture des Achéménides ou Zoroastriens. La doctrine zoroastre repose sur la croyance à une divinité naturelle. Zoroastre enseigne une théologie manichéenne où Ahura Mazda, le dieu du Bien, s’oppose à Ahriman, le dieu du Mal. Beaucoup plus tard, l’Allemand Nietzsche a fait de Zarathoustra le porte-parole de ses idées sur le surhomme. Dans cette religion qui précède l’islam en territoire perse, l’homme, par la pureté de sa vie, de ses pensées et de ses actes, doit contribuer au renforcement de la puissance du Bien (Mazda) et diminuer celle du Mal (Ahriman).

 

            Un jour, à la sortie de Téhéran, nous étions en visite chez un boulanger. Costaud et trapu, portant un bandeau blanc sur le front et une barbe de plusieurs mois, il tournoyait d’une main habile une fine pâte qui s’élargissait à vue d’œil pour devenir un pain de 40 cm de diamètre. Avec une planchette cloutée de 10 cm de long, il trouait cette pâte qu’il finit par coller sur un gros coussin de tissu. Ce coussin, conduit par une main habile et téméraire, pénètre un four en terre cuite pour coller la pâte contre les murs arrondis de ce four. Ce pain ne vous coûtera que 5 centimes, soit 20 pains acquis contre un seul dollar US! Armés de nos pains chauds et croquants, nous affrontons le temple Zoroastre voisin. Perchée sur une colline déserte et désertique, une muraille vieille de près de 2000 ans reflète encore l’aura des dieux d’antan. Des centaines de curieux s’agglutinent à ces ruines dans l’espoir secret d’entrevoir des dieux cléments.

 

            La période sassanide voit le règne du roi Chapour Ier qui vainc l’empereur Valérien. Les rois Chosroês, conquérants du Yémen et de Jérusalem, lui succèdent. Chosroês II sera assassiné en 628 pour avoir déchiré une lettre du prophète Mahomet l’invitant à épouser l’islam. L’islam est à l’horizon.

 

Souks de Téhéran

            Ce matin, c’est la visite de la vieille ville et des souks. Si les rues de Tunis suffoquent souvent tout comme celles de Lisbonne ou de Sao Paolo sous une intense circulation automobile, les rues du Caire ont ce plus d’une circulation anarchique. Mais tout cela est insignifiant comparé à la circulation de Téhéran qui rappelle un peu celle de Tripoli où le conducteur peut vous faire une tête-à-queue sur une autoroute, rebrousser chemin, tourner à droite et se raviser aussitôt pour prendre à gauche. La vraie merveille est cette dextérité des conducteurs iraniens. Ils s’en sortent. Quant aux feux de signalisation, ils sont tous coincés au rouge clignotant sans que personne soit en mesure de vous expliquer la chose. Cette mégalopole de Téhéran fera peur même aux kamikazes rodés de l’automobile.

 

            Mais on ne saurait nier les efforts considérables de ces dernières années qui ont abouti, entre autres choses, à la construction salutaire de centaines de kilomètres de voies rapides qui ont permis de décongestionner cette ville d’environ 12 millions d’habitants où circulent plus de deux millions de véhicules et qui était au bord de l’asphyxie. Ceux qui ont connu Téhéran dans les années quatre-vingt vous le diront: la capitale particulièrement sale et suffocante d’il y a quelques années et dont les murs étaient lacérés par des graffitis et des slogans révolutionnaires s’est transformée, grâce à une volonté farouche de modernisation qui brave la réticence des religieux conservateurs, en une cité agréable, dotée de larges artères et d’imposants bâtiments, de grands espaces verts vivifiants et soigneusement entretenus ainsi que de nombreux centres culturels et de loisirs de plus en plus fréquentés par les femmes, une cité paisible qui a su panser ses blessures et d’où le souvenir de la guerre meurtrière contre l’Iraq semble avoir été chassé à jamais.

 

A l’entrée du souk de Téhéran, on a l’impression de visiter celui d’Istanbul en Turquie. Dans des ruelles larges de 3 m au maximum passe un flux et reflux d’hommes barbus tout de noirs vêtus. Au pas de course, d’autres hommes poussent d’énormes chariots métalliques portant un monticule de marchandises. Ces chariots ont l’intelligence de trouver la trace de votre tibia. D’autres hommes, plus rapides encore, se faufileront sur une moto pétaradante. D’autres enfin prennent jusqu’à un mètre de largeur de cette ruelle pour installer leurs fruits et légumes du jour. Un de ces étals insolites nous donnât de la joie durant plus d’une heure pour une petite poignée de rials. Une première culinaire pour ces profanes touristes. Un kilo de pistaches vertes et fraîches que l’on croque comme des amandes vertes. La deuxième surprise est argentée et la troisième dorée. La seconde est donc celle d’une caverne d’Ali Baba où l’on vous propose des dizaines d’œuvres d’art toutes d’argent ciselées. L’insolite sera cette pelle de riz qui fera le voyage avec nous. Tout comme une pelle de pâtisserie, celle-ci sera vouée au plat le plus prisé des Perses. Quant à la troisième surprise, elle est dorée de par sa fonction. Imaginez une cinquantaine de boutiques de 2m2  chacune perlant un demi-cercle de patio central marbré, avec au premier étage autant de boutiques, de bijoutiers artisans autour cette fois d’un autre patio particulier. Ce dernier est en son centre recouvert de grosses barres de fer qui vous permettent de marcher dessus et de voir ainsi tout ce qui se passe au rez-de-chaussée. Est-ce un art de commercer ou de s’aérer? Ici, l’or de 9 carats sera vendu à tout bout de collier et reliera plus d’une pierre précieuse. A la sortie du souk, nous sommes pris d’assaut par six hommes musclés tout de cuir vêtus auxquels ne manquait qu’un poignard (janbia) yéménite. Ces barbus n’en veulent ni à notre bourse ni à notre vie mais sont de simples portefaix qui vous offrent leur service.

            Comment découvrir ce vaste pays, l’Iran, en une dizaine de jours à peine? L’avion est la réponse la plus facile. Si une heure de voyage en avion ne coûte que 20 $ soit le dixième des prix mondiaux, il faudra néanmoins connaître les arcanes perses pour réserver une place  sur un des Boeing de l’Iran Airlines. Sur un des vols de la Compagnie “HOMA” ou Iran Airlines. Le secret du voyageur se résumant à son carnet d’adresses nous permit de recevoir, grâce à des amis ambassadeurs, nos billets pour Chiraz, Isphahan et un troisième pour revenir à Téhéran.

 

Chirâz

            Le premier vol nous débarque au pays des mille et une nuit. Chiraz ou la Rose du matin ou en core la Beauté Juvénile. Faute de guide et de chauffeur qui devait nous attendre, c’est en autostop que Ziéd et moi-même décidâmes de nous rendre à notre auberge convoitée. Barbu, disert et fort aimable, notre ingénieur, à coups de téléphone mobile, réussit à contacter nos hôtes disparus, l’hôtel attendu et son chauffeur perdu.

La ville est gracieuse. La magie de l’Orient pare Chiraz d’un aura irréel et suspendu à la cime de cette forte végétation foisonnante en plein désert. L’oasis est généreuse et la vie embrasse le rythme d’un fleuve nourricier.

Suivent quatre jours de vadrouille, d’émerveillement et de stupeur dans cette ville médiévale, capitale de l’Iran de 1753 à 1794. Chiraz date pourtant de la période achéménide et fût la capitale des Sassanides, une dynastie perse fondée par Ardacher 1er petit-fils d’un prêtre de Persépolis. De 226 à 651, cet empire sassanide s’étendit jusqu’à la Mésopotamie. Cette civilisation qui épousa plus tard l’islam refusa l’hellénisme

et se voua au Mazdéisme plus connu sous le nom de Zoroastrisme du nom de son prophète Zarathoustra.

Surélevée à 1 491 m d’altitude, Chiraz ne connaît point d’humidité et conserve une fertile vallée. Nos vadrouilles nous firent découvrir cet immense parc étalé de part et d’autre des rives du fleuve. Des milliers de personnes assises en tailleur sur des tapis persans égrènent leur week-end (jeudi et vendredi) en famille. Telle jeune dame toute de tchador vêtue taquine sans vergogne son narguilé gazouillant. La tradition laisse encore aux femmes la liberté de fumer en paix.  Les enfants croquent à pleine dent dans un épi de maïs doré et grillé à point. Les messieurs préfèrent se désaltérer avec le jus des pastèques et des papayes. Plus loin, quatre jeunes hommes musclés au torse nu s’ébattent dans l’eau sans se baigner. Non, ils travaillent. Ce sont des maître laveurs d’un batik bien particulier. Les beaux tissus dessinés à la main verront leurs couleurs se fixer par les flots du fleuve. Plus loin encore, nous sommes pris dans un gigantesque filet de plus de 800 m2 . Etrange spectacle que cette pêche miraculeuse. C’est à l’allemande que ce parfait travail fut accompli. Imaginez un gros pieu d’acier de plus de 100 m de haut tenant en son bec le haut d’un méga filet qui sera tenu à ses extrémités par une vingtaine d’autres pieux tout aussi solides qui font de ce jardin une gigantesque volière protégée. Le perroquet gris du Gabon, l’aigle, le vautour, le merle, le canari, le paon, le hibou et des milliers de perruches de toutes les couleurs feront de ce jardin un éden gazouillant.

En sirotant une fraîche boisson, je repense à l’arrivée de l’Islam dans ce pays.

 

Période islamique

            Deux ans après la mort du prophète Mahomet en 632 à Médine, l’islam arrive en Iran. De 634 à 636, l’Iran adopte une période dite “les deux années de silence” où les érudits et les théologiens du pays essaient de tirer le meilleur profit de cette religion en l’adaptant à leur pays mais sans en emprunter la langue arabe. La quadrature du cercle est évidente et les Iraniens décident finalement d’emprunter les caractères arabes pour véhiculer la langue perse qui compte aujourd’hui plus de 30% de mots d’origine arabe. En 642, les Arabes prennent le plateau iranien et c’est Fath el Futuh, ou la victoire des victoires.

            En l’an 700, les Zoroastriens partent vers l’Inde. L’Iran est alors administré par des gouverneurs arabes dépendant du califat de Damas puis de Bagdad. Au IXe siècle, les Tahirides suivis des Saffârides se proclament souverains. Suivent alors plusieurs dynasties telles que les Séfévides, les Afchars, les Zends, les kadjars et enfin les célèbres Pahlévi. L’illustre Général Rezâ Chah Ier, né en 1878 à Johannesburg et décédé en 1944 en Iran, épousa une roturière qui le déclassa en petite noblesse. Couronné Chah en 1925, il s’attaque à la mainmise des Anglais sur le pétrole iranien et abolit le port du tchador en 1935. Son règne, durant lequel la Perse devint officiellement l’Iran (1934), fut une ère de modernisation générale du pays, tant au niveau des infrastructures que de l’appareil administratif. Son fils Mohamed Rezâ a été couronné empereur avec Farah Diba en 1967, après avoir épousé Fawzia, la sœur du roi Farouk d’Egypte (mère de Chanaz) et en secondes noces la tout aussi belle princesse Soraya Esfandiari, de mère allemande. Son fils Rezâ II, en 1960, épouse Yasmine Amini qui lui donnera deux filles, Nour et Iman, qui vivent aujourd’hui avec lui aux Etats-Unis. L’empereur Mohamed Rezâ était appelé Chachinchah Aryameha ou le Roi des Rois et la lumière des Aryens. La belle et séduisante impératrice Farah portait le nom de Chahbanou.

 

            Mais comment tout ce beau monde a-t-il préparé la fin du règne du Chah et l’arrivée des ayatollahs? C’est que depuis la conférence de Téhéran, en novembre 1943, entre Churchill, Roosevelt et Staline, les Anglais font pression sur l’Iran pour avoir encore plus de dividende pétrolier. Les Russes se mêlent à la bataille économique et le goût du pétrole s’avère amer. En 1962 commence une “Révolution blanche”, une réforme agraire accompagnée du vote des femmes, d’une féroce lutte contre l’analphabétisme, d’une rénovation urbaine et rurale ainsi que d’une déconcentration de l’Etat. Outre ce programme foncier, le Chah favorise l’industrie nationale et s’attache à diversifier les exportations. Le niveau de vie de l’Iran s’accroît rapidement, notamment grâce à un engagement de la fortune personnelle du Chah. Mais certains groupes religieux et conservateurs, opposés à ce programme de redistribution des terres ainsi qu’à l’émancipation des femmes, encouragent un soulèvement en juin 1963. L’attentat contre le Chah est dévoilé, et c’est l’ayatollah Khomeiny, professeur de droit religieux opposé aux réformes, qui porte le chapeau. Arrêté dans la ville sainte de Qom, il est exilé en Turquie puis en Iraq d’où il sera expulsé vers Neauphle-le-Château, près de Paris en France. Les premières émeutes se soldent par 5 000 morts. En 1967, Mossadegh meurt et le Chah est couronné le 26 octobre de la même année.

 

            Arrive enfin octobre 1971 avec le 2500e anniversaire de l’Empire perse célébré à Persépolis. Le Chah voulait arborer les fastes de l’Empire perse en invitant près de 2500 hôtes d’honneur venus de toute la planète. En découvrant en 1998 face au temple de Persépolis cette forêt de conifères âgée d’une trentaine d’années ainsi que ce gigantesque chapiteau central, on croit percevoir le froufrou des soieries chatoyantes de Farah Diba. Les dépenses royales engagées pour ces festivités semblent être à l’origine de l’écœurement du peuple iranien qui vivait à dix mille lieues et à dix mille ans des fêtes de Persépolis...

 

Accusations portées au Chah

            Deux ans plus tard, en 1973, la guerre du Kippour porte le baril de pétrole à 41 US$ et fait passer les revenus pétroliers de l’Iran de 5 à 24 milliards. Un accord avec l’Iraq sur Chatt al-Arab est conclu. Cinq ans plus tard, suite à un article de presse paru à Téhéran qualifiant Khomeiny d’inverti, des émeutes sanglantes éclatent à Qom et à Tabriz et font 160 morts. Au mois de juin de cette même année 1978, Khomeiny appelle à renverser le Chah. Une loi martiale n’empêche pas les islamistes d’incendier le cinéma Rex d’Abadan, incendie qui fit 377 morts. Un “vendredi noir” prend la relève trois mois plus tard et fait 700 morts à Téhéran. Quelques jours plus tard, un séisme survenu près de Tabas alourdit le deuil de 20 000 nouveaux morts. Mais voilà que l’ancien chef de la Savack, cette police des polices aux relents incendiaires, Manutchehar, est arrêté en même temps que l’ancien Premier Ministre Hoveyda. Une manifestation d’un million de personnes se solde par 600 nouveaux morts et ce mois de décembre 1978 voit le ralliement de l’armée à la Révolution. Chapour Bakhtiar, qui sera tué en 1991 à Paris, prend en main le Conseil de Régence et assiste, à l’aube du 16 janvier 1979, au départ du Chah pour un long exil après un règne, sans partage, de trente-sept ans. Le Chah part pour l’Egypte, le Maroc, les Bahamas, le Mexique et les USA pour retourner enfin en Egypte en mars 1980 où il meurt d’un méchant lymphome.

 

            Il est accusé d’avoir renié les valeurs islamiques et culturelles de l’Iran au profit des valeurs occidentales, en créant une société injuste et corrompue gouvernée par un régime policier. Son armée dispendieuse avalait près de 50% des dépenses courantes du budget. 500 000 soldats et 500 000 agents-informateurs au sein de la Savack, la police des polices! Pourtant, le Chah lutta contre l’analphabétisme (10 millions d’écoliers et 200 000 étudiants), et engagea moult réformes économiques et sociales. On lui prête enfin une fortune personnelle de près de 5 milliards de dollars US.

            Un soir d’hiver 1979, Ruhollâh Khomeiny (en exil depuis 1963) est accueilli à Téhéran par 3 millions de personnes. Un Conseil de la Révolution Islamique est instauré, avec Mehdi Bazargan comme Premier Ministre de la République Islamique d’Iran. Abol Hassan Bani Sadr, un économiste libéral formé en Occident et collaborateur de l’ayatollah Khomeiny, présidera les destinées de l’Iran pendant une année. Les relations s’aggravent avec l’Iraq qui exige, en septembre 1980, la révision de l’accord de 1975. Face au refus de l’Iran, l’Iraq abroge unilatéralement l’accord et attaque l’Iran. Commence alors une grande guerre qui durera huit ans. Les USA, l’Occident et l’URSS soutiennent l’Iraq contre un Iran envahissant. Plus tard, les données changent, et l’on cherche désormais à se débarrasser d’un Iraq fortifié et encore plus envahissant. Aujourd’hui, le successeur de Khomeiny et néanmoins guide islamique de l’Iran est Ali Khamenei. L’imam Khomeiny meurt en juin 1989 à l’âge de 77 ans et Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, porte-parole du Parlement, est élu Président de la République. C’est en mai 1997 que la surprise arrive avec l’élection d’un islamiste modéré, Mohamed khatami, comme Président de la République.

 

Persépolis

Takht - E Jamshid ou Persépolis n’a que 500 ans de moins que la trimillénaire Carthage. Darius le Premier dit le Grand était le seigneur et maître de cette capitale des achéménides. Entourée d’une enceinte de 18 m de haut, cette ville portait le célèbre nom de Parsa et fût fondée par les Fars. Tous ces noms ont eu une glorieuse évolution historique et linguistique. La Perse n’est autre que l’Iran avant la conquête arabe en 642. Quant on parle des Fars ou Fors dans la littérature arabe c’est pour parler des perses. En adjectif, perse donnera persan comme langue nationale de l’Iran et sera souvent assimilé au tapis persan, aux gracieuses miniatures persanes, au chat persan à long poil soyeux et aux yeux bleus, verts ou oranger, tout comme à cette toile imprimée, fabriquée autrefois en Inde et qu’on appelle une perse ou enfin à une jolie fille dont les yeux sont aussi beaux que la déesse Athéna qui virent entre le vert et le bleu et qu’on appelle une fille aux yeux pers.

Embellie par Xerxès Premier, Persépolis fût incendié par Alexandre le Grand en 330 avant J.-C. tout comme le fût Carthage par les Romains. Les ruines actuelles des palais et de la salle des cent colonnes ne conservent presque plus rien des arts de la Mésopotamie, de l’Egypte et de l’Ionie.

Je revois encore l’oeil étonné de Ziéd face à ces vingt-sept figurines qui se suivent à la queue leu leu sur une quarantaine de mètres d’un pan de mur millénaire. L’empire d’Alexandre le Grand s’étendait sur 27 pays et 3 continents. L’une de ces figurines aux cheveux bouclés tenait un lion par la main. Elle représentait l’empire du Négus ou la lointaine Ethiopie africaine. Plus loin, je revois encore ces colossaux et rouges flancs de collines qui me rappellent la rouge Pétra de Jordanie ou le si riche Louxor d’Egypte qui serait dit-on à 90% encore enfoui sous terre. A plus de 1 000 m d’altitude, dans cette vallée des Dieux qui me fait penser aux mayas de mes vingt ans, au Yucatan du Mexique, on discerne à peine 3 demeures éternelles sur les flancs d’une colline. Les Dieux et les seigneurs ont toujours cherché l’immortalité. Darius et Xerxès bâtirent leur demeure éternelle dans cette roche millénaire par une méthode pharaonique.

 

Ispahan

Près d’un million d’Iraniens vivent dans cette ville perse où l’histoire est à fleur de rues et d’avenues. Cette ville est peut-être celle qui a la plus forte concentration de monuments islamiques. Les voûtes bleues et dorées des mosquées se faufilent derrière les centaines de minarets blancs. Le film “Arabian Nights” fût en partie tourné à Ispahan.

La vraie surprise est à l’entrée de notre hôtel “ABBASI”. J’ai eu la chance dans ma vie de voyageur à travers 149 pays, de découvrir maintes mansardes et plus d’un palais. Le dromomane-voyageur n’a cure du décor de son gîte du soir. Sa passion ne tourne que vers l’individu qui lui fait découvrir son giron. Mais ici, on ne peut que retenir son souffle face à la beauté et à la grâce de ces lieux.

Le caravansérail est bien né en Perse et était destiné à héberger les voyageurs et leurs caravanes. Notre hôtel était bien un caravansérail avec un patio de près de 1 500 m2 formant un parfait rectangle bordé d’habitations à un seul étage. Le rez-de-chaussée hébergeait les véritables chameaux à deux bosses que l’on ne rencontre qu’en Asie. Le premier étage recevait les riches marchands, leurs gardes du corps et tous les accompagnateurs. A l’époque des Safavides, à la fin du seizième siècle, ce caravansérail fût construit en même temps qu’une mosquée au dôme bleu et une medersa ou école coranique. Le Chah, Sultan Hussaïn, en fit déjà son fief et le dernier des Chahs le transforma en palais d’hôtes pour devenir en 1972, par la grâce d’une compagnie d’assurance, un des hôtels les plus luxueux de la planète avec ses 225 chambres, ses 23 suites et ses 7 appartements. Le jardin central avec ses plans d’eau et ses fontaines gazouillantes entourées de dizaines de buissons fleuris cernés d’un fin gazon donne à cet hôtel une simple impression de repos et de quiétude. Le plafond de la salle à manger est digne d’un riche palais médiéval où les dorures jouxtent les miniatures perses. La broderie des stucs et les tapis d’apparat qui jonchent le sol se reflètent dans l’éclat des innombrables lustres qui illuminent cet hôtel.

Ispahan fût un important centre commercial d’Asie et connût son apogée sous le Chah Abbès le grand (1587-1629). L’invasion des Afghans déplaça la capitale perse de Ispahan à Chiraz puis à Téhéran. L’art était si raffiné et répandu qu’Ispahan porta le nom “Ispahan Nisf Ejahan” ou Ispahan la moitié du monde, au seizième siècle. Mais, Ispahan porte aussi la légende d’avides et voraces courtiers et courtisans qui vous enlèvent vos chaussettes en laissant vos chaussures en place. La légende dit même qu’un Ispahani peindra en jaune un concombre et vous le vendra en guise de banane. L’habitant de cette ancienne capitale perse garde surtout cette qualité d’hospitalité qui nous permit de pénétrer chez quatre familles et de découvrir derrière des murs épais, des hommes et des femmes comme tout un chacun qui ne changeront qu’au seuil de leur porte comme la loi le veut et l’exige. On ne peut oublier telle villa où la maîtresse de maison nous reçut moulé d’un jean américain et paré d’un tee-shirt  blanc vantant les charmes d’Hollywood. La finesse de ses ongles laqués, le maquillage discret de ses yeux langoureux et aryen n’ont d’égale que sa profonde culture franco-américaine. Prisonnière d’un carcan sociopolitique, elle deviendra noire zombie au seuil de sa porte.

Pourquoi ont-elles toutes tant de grâce et ce port altier? C’est qu’elles sont de pure race aryenne! Les Aryens auraient quitté le Caucase il y a plus de 3 500 ans pour s’incruster en Iran, au nord-ouest de l’Inde et en Allemagne. Cette tribu est également à l’origine de l’appellation indo-européenne. La race aryenne défendue par Hitler serait-elle cette même race en question? Il est vrai qu’on appelait ce peuple Arya ou les “Nobles”. Leur langue est l’ancêtre commun des langues indiennes (sanskrit et pali) et iraniennes (avestique et vieux perse). La pureté des lignes des visages des Iraniens et plus particulièrement ceux des Iraniennes semble confirmer leur authentique appartenance à cette noble race.

Que retenir de quatre jours de vadrouille à Ispahan? Ses merveilleux ponts tricentenaires à double étages où les chameaux et les hommes trouvent chacun leur chemin? Ses dizaines d’autres ponts presque millénaires qui gardent intacte leur histoire et leur beauté? Ses innombrables mosquées, medersas, musées et souks? Les neurones de mon cerveau conserveront à jamais des flashes inoubliables perlés de couleurs, de sons et d’odeurs. Comment oublier cette nuit d’été où nous fûmes abordés, mon fils et moi, par un garçon de 10 ans tenant à la main gauche une cage d’oiseau et à la main droite une petite boîte rectangulaire où sont soigneusement alignés une centaine de petits papiers de 5 centimètres de côté. Pour un simple billet de 100 rials, l’oiseau sortira de sa cage, prendra dans son bec un de ces petits papiers vous faisant ainsi découvrir un poème de Kacem qui clamera l’amour perse que vous n’avez pas encore trouvé. Comment oublier cette même jeune guide qui, à l’entrée d’une célébrissime mosquée bleue abritant le cercueil d’un célèbre saint, me donna le conseil suivant: “Attention à votre portefeuille!” La légende des Ispahani outrepasse-t-elle la porte des Dieux?

Comment oublier celui qui a failli me faire passer de vie à trépas? Sa boutique était pourtant luxueuse et sobre à la fois. Sa barbe très mal rasée accentuait la méchanceté de son regard. Sa flexibilité commerciale avait perdu son ressort et tout marchandage était exclu. Il avait compris que cette petite tête de Darius le Grand en 18 carats me plaisait. Et pas un rial ne sera ôté. Notre jeune et belle  guide, professeur d’histoire et interprète en anglais avait pourtant usé de tout son charme vocal pour l’amadouer, rien n’y fit; Il fallait payer le prix fort et vite car notre avion nous attendait. Il était en train de rédiger un certificat de garantie qu’il signa de son pouce enduit d’encre. Sans trop le vouloir ni le penser, je tapais amicalement sur la chétive épaule de notre traductrice  pour la féliciter de ce marché quand soudain une lame aiguisée et effilée de 15 cm se figea au bas de mon oreille gauche. Au monsieur de clamer haut et fort que “nous sommes en Iran et que je venais de souiller une femme du pays et que seule la mort pouvait laver cet affront”. C’est à la couleur livide du visage de Ziéd et à la dilatation de la pupille de notre traductrice que je réalisais l’ampleur du désastre. La situation me rappela cette petite mosquée à Chabbam au nord du Yémen où une kalachnikov faillit me perforer pour une prière mal exécutée. Ici, dans cette bijouterie, Dieu vînt à mon secours par cette parole qui fusât de ma bouche “Allah ou Akbar”. Je ne peux pas ne pas penser, par ricochets inconscients à un écrivain britannique. Salman Rushdie, cet Indopakistanais d’une cinquantaine d’années, émigré à 14 ans en Grande-Bretagne, est un musulman non pratiquant et un romancier prolifique. En 1988, il publie à Londres les Versets sataniques, un brûlot qui dépeint Mahomet d’une façon peu cavalière, voire diffamatoire. Ce blasphème contre le prophète condamne Rushdie à mort, le 14 février 1989, par une fatwa dont l’auteur est l’imam Khomeiny en personne. Ce décret religieux incite les musulmans où qu’ils soient à exécuter et l’auteur et les éditeurs du livre et place cette entreprise sous le signe du djihad. L’affaire déchaîne les passions. Des manifestations contre Rushdie à Paris, en Inde, au Pakistan et ailleurs se suivent et rivalisent en violence, faisant au passage plusieurs dizaines de morts. Aujourd’hui, après bien des épisodes sanglants, c’est la raison qui semble l’emporter puisque le gouvernement iranien renonce à exécuter la sentence et opte pour une politique du dialogue, même si les fanatiques religieux, qui sont manifestement restés sur leur position, ne cessent d’affirmer que la fatwa de l’ayatollah Khomeiny est irrévocable. Quoi qu’il en soit, dix ans après, l’affaire Rushdie fait toujours couler de l’encre.

 

Les remparts nocturnes d’Ispahan

Les dernières heures de notre ultime soirée sont incrustées au flanc du dernier rempart d’Ispahan. Deux kilomètres de sentiers sur une pente semi-raide font le tour du rempart d’Ispahan pour se terminer sur une terrasse des mille et une nuit. Ce n’est ni la baie de Rio, de Carthage, de Nice ou de Cape Town mais la magnifique ville d’Ispahan qui s’étend à nos pieds s’enroulant sur elle-même dans les derniers rayons jaune ocre d’un soleil qui se meurt à petit feu. Sur cette terrasse, les amoureux d’Ispahan osent se montrer en public prés de leur chaperon. Je serais toujours sidéré de la façon dont ces belles iraniennes fument le narguilé en public. La discussion porte sur les friandises, le caviar et la langue du pays.

            En Iran, comme en Asie et en Orient d’une façon générale, les sucreries foisonnent à chaque rue. Les pistaches d’Iran sont aussi célèbres que ceux d’Alep. Ici, elles se conjuguent sur plusieurs temps, le premier sera à croquer non cuit et nature, le second sera cuit et salé, le troisième sera cuit dans un bain de citron et le quatrième sera grillé. Les “gases” n’ont rien de gazéifié mais sont simplement un fin nougat léger et soyeux. Le sucre de candi portera une robe mielleuse et sera vendu en fines lamelles transparentes de la grandeur d’un beau Napoléon en or. Les gâteaux seront moins mielleux qu’en Turquie et de la pistache connaîtront tous les secrets.

Le nom Caviar vient du mot Turc “Khaviar” tout comme du mot Russe “Ikra”. Les Russes furent les premiers à exploiter le commerce du caviar au lendemain de la première guerre mondiale et la France fût leur premier client. Les noms Lazare Mailoff et Prunier tout comme des frères Melkoun  seront scellés à l’histoire du caviar. C’est la femelle de l’esturgeon Belluga dont le poids moyen est de 250 kg qui est le premier fournisseur de caviar qui n’est autre que les oeufs de ce poisson. Cette femelle carnivore donne jusqu’à 10% de son poids en caviar gris noir. La variété Asetra de Russie est un esturgeon qui donne un caviar doré. Le Sevruga est plus petit de taille et donne un caviar léger et gris. La France, premier consommateur de caviar du monde devient le troisième producteur en cette fin de siècle par l’introduction de 70 000 esturgeons en Gironde. Notons enfin que l’esturgeon albinos ou dépigmenté fournit le caviar dit blanc. Si aujourd’hui, à Téhéran, la boîte de caviar de 100 g coûte 30 $ US, c’est que le pays n’en produit que 180 tonnes par an contrairement aux 1 000 tonnes pour la Russie, 10 tonnes pour la Chine et seulement 0,4 tonne pour la France. Le fin gourmet mangera son caviar sur un toast beurré, évitera la satanée tranche de citron et accompagnera le régal par un verre de Vodka russe glacée.

Ce qui reste frappant et insolite dans la langue iranienne est cette transcription en caractère arabe d’une langue perse. Le parler de tous les jours bien qu’enrichi de milliers de mots arabes reste barbaresque. C’est ainsi que “Shoma ahlé koja hasfid ?” sera un “D’où venez-vous ?”, un “Shoma chekar mikonid ?” sera “Quelle est votre profession ?”, tout comme “Balé” pour dire “Oui” et “Nakheir” pour dire “Non” et “Mersi” pour dire “Merci”. Le célèbre “Salam aleikom” ou “Paix avec vous” sera de rigueur ici. On peut l’abréger en simple “Salam” qui me rappelle mon “Salamat siang” de mes vingt ans où “Bonjour” à Jogjakarta (dite Joja) en profonde Indonésie. Quant au célèbre “Inchallah” (Si Dieu veut), “Al Hamdoulillah” (merci à Dieu) et “Bism Illah”” (Au nom de Dieu) ils ont certes pignon sur rue en Iran. Les perses qui n’ont jamais aimé les arabes ont pourtant conservé le nom d’une de leur plus belles inventions soit la chose qui a permis de dépasser le neuf, le zéro appelé “sifr” en perse tout comme en arabe, tout en sachant que le mot sifr donnera naissance au mot chiffre. Astrolabe a déjà évoqué cette genèse dans son numéro 55 du mois de septembre 1997.

Adieu Ispahan et que l’ouverture tant attendue de l’Iran se fasse vite. Très vite.

Sur le chemin du retour, l’islam nous tient compagnie avec tous ses méandres.

 

Le chiisme

            A la différence du catholicisme, l’islam n’admet pas de structure cléricale hiérarchisée, encore moins une place Saint-Pierre au Vatican. Le musulman est en relation directe avec Dieu qui est unique et dont Mohamed  est le prophète. La chahada  premier précepte de l’islam, le résume parfaitement: “Il n’y a d’autre dieu que Dieu, et Mohamed est l’envoyé de Dieu”. Imbibé de tolérance, le musulman reconnaît les prophètes des religions révélées qui ont précédé Mahomet.

 

            A la mort de Mahomet à Médine le 8 juin de l’an 632, il n’y avait point de successeur désigné. Abou Bakr Esseddik, un des quatre compagnons du prophète, est le premier calife ou imam de l’islam. Abou Bakr entreprend de victorieuses percées en Syrie et en Iraq. Il refuse cependant à Fatima, fille du prophète et épouse d’Ali, l’oasis de Fadak qui lui revenait sur la succession de son père le prophète, prétextant un hadith qui dit que les prophètes ne laissent aucun héritage matériel. Le chiisme futur ne lui pardonnera pas  ce refus.

 

            Deux ans plus tard, en 634, c’est au tour d’Omar ibn al-Khattab de prendre le califat. Sa fille Hafsa était l’une des épouses du prophète. Les chiites lui reprocheront d’avoir instauré les trawih, ces prières qu’il est recommandé de faire en commun les nuits de Ramadhan. Il lui reprocheront également d’avoir proscrit les deux motâa:  d’une part le pèlerinage en Tamattu, séparant la omra (petit pèlerinage) du ihram (grand pèlerinage) où le pèlerin est autorisé à se désacraliser, et d’autre part le mariage temporaire ou zawaj al motâa, toujours admis dans la doctrine chiite actuelle. Omar continue la lutte contre Byzance et la Perse jusqu’au seuil de l’Asie centrale, de l’Afrique du Nord et du Soudan. Il meurt en novembre 644 dans la mosquée de Médine, poignardé par un affranchi chrétien ou zoroastrien.

            Othman ibn Affan, le troisième calife, lui succédera en 644 et ce jusqu’en 656. Il eut pour épouses deux des filles de Mahomet, Rekaya et Oum Kalthoum. Le chiisme lui reprochera une succession d’actes arbitraires. Il meurt poignardé, tout comme son prédécesseur.

 

            C’est enfin au tour d’Ali, le quatrième compagnon du prophète et néanmoins son cousin et gendre, de prendre le califat en main de 656 à 661. Ce derniers calife aura onze descendants et le douzième n’est autre que l’imam al Mahdi al Montadhar. Cet imam aurait quitté un soir sa maison voilà plus de 1 300 ans, et il est toujours attendu! Je ne peux oublier la réponse de ma guide de Chiraz qui ouvrit tout grands ses yeux noisette: “Et alors s’il serait aujourd’hui âgé de 1 300 ans? Rien d’étonnant à cela. Noé est bien mort à l’âge de 950 ans!”

 

            Le règne d’Ali instaure la confusion et le trouble au sein de l’islam. Nous sommes à l’orée du schisme qui engendrera le chiisme. Cette tendance de l’islam qui regroupe aujourd’hui 10% des musulmans du monde estime que la succession du prophète Mahomet doit revenir à ses descendants. Les chiites réfutent ainsi Abou Bakr, Omar et Othman (reconnus par les sunnites qui constituent environ 19% de la population iranienne) et ne reconnaissent qu’Ali, époux de Fatima fille du prophète, dont le fils Hassan n’est autre que le petit-fils du prophète. A la mort d’Ali, Hassan sera considéré par les chiites comme le deuxième imam. Son frère Hussaïn, considéré comme le troisième    imam de l’islam, lui succédera et sera tué à Karbala. Le décompte des imams chez les chiites commence bien par Ali, et les premiers imams sont ainsi occultés. Les chiites vénèrent Fatima et l’image de sa main qui attire la protection divine. Les Chiites n’attendent plus que l’imam al Mahdi, ce “Messie” qui ne tardera plus, malgré ses 1 300 ans d’absence.

            L’islam, qui repose sur une soumission à Dieu (taslim)  et une imitation du prophète (taqlid), consiste en l’acceptation totale du Coran divin et de la sunna qui traduit le comportement et les actes du prophète. Le chiisme de type imâmite prolonge la sunna du prophète par celle des imams et confère ainsi à Ali un piédestal prophétique. Le Hanbalisme de son côté prolonge la sunna aux quatre premiers califes. L’islam comporte plusieurs autres petites factions telles que le soufisme ou le mysticisme, le kharigisme, le mouridisme, le wahabisme et bien d’autres tendances embryonnaires.

 

            Si les villes de la Mecque et de Médine en Arabie Saoudite, et la ville de Jérusalem en Palestine sont les principaux lieux saints des musulmans, pour les chiites, la ville de Mashhad, une ancienne capitale de l’Iran, et les villes de Nadjaf, Karbala et Kazimeyn en Iraq sont également des lieux saints.

 

Economie

            Dans l’avion qui nous ramène à Téhéran à 3 heures du matin, les chiffres s’alignent, se suivent et deviennent plus clairs pour commenter l’économie de l’Iran!

Avec un PNB de 1 950 US$ par tête et par an (un peu moins que la Tunisie), l’Iran est classé 121e sur 226 pays. Mais le poids économique du pays est important et le classe 31e sur 226 pays. L’Iran détient dans son sous-sol la deuxième réserve mondiale de gaz naturel avec 21 000 milliards de m3 et la cinquième réserve mondiale de pétrole avec plus de 12 milliards de tonnes. L’Iran est le quatrième producteur mondial de pétrole avec près de 200 millions de tonnes par an. Mais ce pétrole qui représente 90% des exportations de l’Iran n’est plus vendu à 41 US$ le baril (guerre du Kippour), mais à deux dollars de moins que l’actuel cours de Londres, soit à un maximum de 9US$ le baril. Le pays est riche et ses ressources ne se limitent pas aux hydrocarbures. L’Iran produit plus de 4 millions de tonnes de fer et 1,5 million de tonnes de charbon par an. Curieusement, le textile (coton et laine d’Ispahan, laine de Tabriz, soie de Mazandéran, sans oublier l’industrie du tapis, particulièrement célèbre) représente à lui seul 21% de la valeur ajoutée industrielle du pays, suivi d’une généreuse production agroalimentaire. Outre la précieuse culture des dattes qui le propulse au premier rang mondial, l’Iran compte quelque 45 millions d’ovins (4e producteur mondial) et produit 2 millions de tonnes d’oranges, 12 millions de tonnes de blé et 3 millions de tonnes d’orge. Le blé passe en tête en recouvrant 37% des terres arables de l’Iran, suivi de l’orge avec 11% des terres.

La pêche, bien que peu développée, reste une importante source de revenus. Il suffit de noter que le caviar iranien, œufs d’esturgeons de la mer Caspienne, représente le cinquième de la production mondiale.

            L’industrie pétrolière a été nationalisée en 1951. La production pétrolière a fortement chuté depuis 1979 en raison tout d’abord d’un effort pour maintenir les prix du pétrole, mais aussi à cause de la guerre contre l’Iraq, la plupart des combats ayant eu lieu dans les régions productrices. Bien que second producteur de pétrole de l’OPEP, l’Iran voit ses capacités d’exploitation vieillir. La voisine mer Caspienne vient de révéler des réserves plus importantes que celles de la mer du Nord. Selon le fait que l’on considère la mer Caspienne comme mer intérieure ou comme lac, les cinq riverains n’auront plus les mêmes droits de prospection pétrolière. L’Iran croyait avoir l’appui de la Russie au détriment de l’Azerbaïdjan pour pomper cette nouvelle manne pétrolière, et surtout pour la transiter en pipe-lines sur son territoire. En cet été 1998, les dés sont pipés et aucun voisin ne veut lâcher cette manne. Le grand problème actuel de l’Iran est peut-être sa véhémence vis-à-vis d’Israël et des USA qui freinent toute amitié et toute  collaboration occidentales. Mais voilà que R. Védrines, le Ministre français des Affaires Etrangères, devient, en ce mois d’août, le premier Occidental à venir à Téhéran parler de coopération et d’amitié. Mohamed khatami, le nouveau Président démocrate et libéral, n’a rien contre un effectif rapprochement économique (d’abord) avec le grand oncle Sam. Les enjeux économiques, financiers et stratégiques sont si importants que nul ne peut tourner le dos à l’Iran, et l’Iran ne peut continuer à s’isoler.

            Un assouplissement des règles de l’islamisme se fera et la prochaine génération retrouvera un Iran aussi glorieux que la Perse d’antan. Cette canette métallique que j’ai en main résume peut-être cette ouverture voulue par plus d’un Iranien. Le maudit oncle Sam est certes le malvenu en Iran, mais son Coca-Cola ne peut être banni. La solution intermédiaire est gravée sur cette canette rouge qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une canette de Coca-Cola, mais où la première partie du nom a pris le nom d’une eau pieuse et célèbre. C’est ainsi que Coca-Cola fait place à “Zam Zam-Cola”!

 

Adieu la Perse.

A la fin du voyage que reste-t-il de la Perse? Tout. Absolument tout. Ce reportage n’est qu’un balbutiement, une ébauche de ce qu’est l’Iran.

2 500 ans d’histoire passèrent par moult tribus. Les sédentaires Balutch venus du Pakistan, les fougueux Hazaré venus de l’Afghanistan, les Turcomans guerriers du centre de l’Asie, les Kurdes, les Lur, les Bakhtiyari qui firent abdiquer le Chah Mohamed Ali, les Khamsé, les Kashkai tout comme les khan forment la trame de la Perse.

L’orgueil de Xerxès attira sur la Perse la vengeance des Grecs. Ce cyclone hellénique fût amorti par la sagesse d’Alexandre le Grand qui obligea ses soldats à épouser les belles persanes qui épargneront ainsi le pays d’un bain de sang. L’incendie de Persépolis suite à une nuit orgiaque fût peut-être un incident de parcours.

Les Séleucides, les Parthes et les Sassanides se succédèrent au cours des siècles. Ils vivaient dans l’ombre d’un Dieu suprême “Ahura Mazda”. Le culte des défunts, des conquérants et des héros légendaires permis à la Perse de survivre à toutes les métamorphoses et de retrouver son identité à chaque virage de l’Histoire.

L’Iran d’aujourd’hui, dans sa recherche d’un idéal religieux, dans la sculpture de ses rochers, dans l’édification de ses monuments, dans la fonte du bronze et de l’airain, de même que dans le dessin de ses bijoux, est un pays qui continue sa recherche du divin et du mystique.

La sagesse de ces vers de Hafiz dans un temple de Téhéran ne font qu’ouvrir le débat:

“ Il n’est pas nécessaire d’égrener son chapelet

De se courber, de se redresser

Ou de prononcer le nom de Dieu sans croire en Lui.

Car aucune prière n’est plus méritoire que de venir en aide

A son prochain!”

Puisse le nouveau siècle alléger le fardeau du peuple et redonner à l’Iran tout l’éclat de la Perse.

Adieu belle et grande Perse, ce n’est qu’un Au revoir!

 

 

 

 

                                                                                                          Rached TRIMECHE

(03/08/1998)

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