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LA  DOMINIQUE

                                                                     

 

  Par Rached Trimèche

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ROSEAU. (Août 89). Une bonne heure d'avion pour franchir la distance qui sépare Cayenne de Fort-de-France. Dimanche matin cette capitale martiniquaise est d'une tristesse sans fin. Le soleil et les multiples fleurs n'arrivent pas à donner une vie à cette ville écrasée par la chaleur et vidée de ses habitants, partis en week-end en bord de mer.

Après trois heures de vadrouille au pays d'Aimé CESAERE, que je ne reconnais plus cinq ans après, nous attrapons notre correspondance pour Roseau, capitale de la voisine Dominique.

 

Les huit passagers de notre petit avion LIAT, apprécient avec extase, cette forêt équatoriale ancrée sur un rocher flottant entre la Mer des Caraïbes à l'Ouest et l'Atlantique à l'Est.

A l'aéroport Canefield, les formalités vite passées, nous nous laissons happer par le premier chauffeur de taxi qui nous conduit d'emblée à l'hôtel Anchorage.

La conduite à gauche sur ces routes serpentines et montagneuses, vous garantie tous vertiges et frissons. Imaginez une chaussée de trois mètres de large à fonctions multiples. Imaginez deux voitures en contresens, des piétons, des vélos, un vieux monsieur et sa béquille, un chien perdu, une camionnette Toyota déchaînée et une vieille moto effrénée qui se disputent tous et en même temps la chaussée. Mais le plus grave est encore autre chose. C'est le double caniveau de soixante-dix centimètres de profondeur qui borde la chaussée, captant les eaux usées, attirant les jambes de piétons et certaines roues de véhicules. A la guerre comme à la guerre ! et que sur ces routes montagneuses la grâce de Dieu et des Saints protège tous les usagers.

Où sommes nous donc dans cet îlot perdu?

Située entre la Martinique et la Guadeloupe, la Dominique est une vaste réserve naturelle à la végétation échevelée. Superbement accidentée et montagneuse, cette île est le dernier refuge des hommes Caraïbes. 75 OOO habitants peuplent les 75O kilomètres carrés de la Dominique. Les villages côtiers laissent tout le centre montagneux de près de 1OOO mètres d'altitude presque vide. Dans cette île volcanique et montagneuse, avec un intense ravinement, on distingue nettement les pics gel le morne Macaque, le morne Diablotin et le morne Trois-Pitons.

 

CHRISTOPHE COLOMB

 

Le 3 novembre 1493, Christophe COLOMB découvrit cette île. Les Anglais et les Français signèrent un siècle et demi plus tard un traité commun avec les Caraïbes, leur accordant l'entière possession de leur île contre une paix générale. C'est ainsi que non colonisée la Dominique devient rapidement le refuge des proscrits des îles voisines.

A la veille de la prise de la Bastille, la Dominique finit par passer sous la coupe de la Grande-Bretagne, avec l'accord de la France.

Les "Marrons" esclaves fugitifs réfugiés au centre de l'île harcèlent les planteurs et les militaires sans résultat, jusqu'à la libération de l'esclavage en 1898, et la fin de la colonisation officielle qui ne se termine qu'en 1979 par l'indépendance.

 

18 heures et la nuit est déjà des nôtres. Enseveli sous une dense végétation équatoriale, notre hôtel en bord de mer est un véritable jardin exotique. Cette dizaine d'enfants martiniquais profitant d'une fête nationale française (15 août) envahissent la piscine des lieux malgré l'heure tardive. Quelle symphonie ! les cris joyeux des enfants, le pianiste nullement perturbé, la sirène du bateau au large et la fanfare des crapauds et des grillons ne semblent déranger personne.

Une belle tranche de poisson généreusement assortie de légumes et accompagnée de fraîche bière locale, compose notre menu du dîner. Il n'est que 2O heures et le marchand de sable est encore loin. Hasardons nous à une promenade pédestre. Devinant notre chemin nous essayons de marcher au bord de la chaussée sans tomber dans le caniveau en laissant place à ces fougueux véhicules. Des camionnettes et des minibus NISSAN, DATSUN, TOYOTA et MITSUBISHI doublent avec frénésie de rares FORD et même une LADA;

Soudain c'est le drame, un choc de ferraille arrête tout notre groupe qui se compte un manquant. Fred notre jeune américain est rapidement retrouvé sous les roues d'une jaune Chevrolet garée à droite.

En quelques secondes la tragédie s'explique, la rouge Toyota ne roulait pas à gauche comme il se devait. Arthur le chauffeur éméché roulait complètement à droite tous feux éteints, il percuta Fred de dos et l'éjecta sous la Chevrolet qui encaissa le choc métallique et laissa Fred avec trois côtes fêlées.

Nous voici ce soir à l'hôpital de la Dominique. La jeune médecin de service est une belle Indienne qui suit son mari Dominicain à travers le monde. Deux cachets d'aspirine remplaceront hélas la radiographie qui révèlera plus tard à San Francisco les côtes fêlées

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FORMATION DES ANTILLES

Mais d'où viennent ces lointaines îles antillaises?

WEGENER avec sa théorie sur la dérive des continents, explique la formation de l'Archipel des Antilles, reposant sur des plaques tectoniques. Les continents étant rivés sur des plaques séparées, ils continuent de flotter sur le magma de la terre en provoquant des fissures plus ou moins importantes. Les Antilles seraient ainsi situées sur une zone de contact de ces  plaques.

Les nombreux volcans et les tremblements de terre ne sont guère étrangers à cet état de fait.

La Soufrière de la Guadeloupe en 1976, et la Montagne Pelée en 1902 sont de rares exemples de volcans en activité.

 Entre le Vénézuéla au Sud et la Floride au Nord, s'étend l'Archipel des Antilles composé d'une centaine d'îlets et d'îles.

Enjeu des puissances européennes, ces îles à sucre ont souvent, au gré de l'histoire, changé de maîtres.

Les Caraïbes chassés, sont vite remplacés par des Européens, des  Africains (traite des esclaves), des Indous, des Chinois et des Libano- Syriens.

Massives et volcaniques, ou planes et calcaires toutes ces îles (pays) sont différentes les unes des autres, et on y parle l'Anglais, le Français ou le Néerlandais et souvent le Créole.

A quelques encablures  on roulera tantôt à droite, tantôt à gauche, et l'on changera presque de civilisation.

Toutes ces différences ont laissé aux Petites Antilles la même organisation familiale, le même folklore et la même cuisine.

Deux grandes régions forment les Antilles :

 

LES GRANDES ANTILLES : Cuba, Porto Rico, Jamaïque, Haïti et la République Dominicaine.

 

LES PETITES ANTILLES : elles s'étalent entre Trinidad au Sud et les Iles Vierges au Nord, et sont classées en îles Sous-le-Vent (Leeward Islands) et îles au vent (Windward Islands).

LES " LEEWARD ISLANDS" sont : Anguille, Antigue, Montserrat, St Kitts and Nevis.

LES " WINDWARD ISLANDS" sont : principalement Barbados, Dominique, Grenade, Santa-Lucia, St Vincent et Trinidad.

Les Petites Antilles Françaises comprennent essentiellement la Martinique et la Guadeloupe (DOM depuis 1946, superficie totale 2850 kilomètres carrés et 65O OOO habitants. Depuis 1982 ces deux Départements ont été érigés en "Régions") avec leurs îlets ou îlots satellites. Les Petites Antilles Néerlandaises vont de Couraçao à Saba.

 

CLIMAT TROPICAL

Le climat antillais est divisé en deux saisons, le Carême et l'Hivernage.

- Le Carême : cette saison sèche commence au mois de novembre, et se termine au mois de juin. Cette agréable période est celle des voiliers et des touristes, sous une température moyenne de 27° rafraîchie par les alizés de l'Atlantique. Dans les îles au relief élevé, la côte Sous-le-Vent est plus sèche et plus chaude.

- L'Hivernage : cette période de pluies va de juin à novembre, avec de violentes et courtes averses quotidiennes en fin d'après-midi, sous une température moyenne de 25° et une forte humidité.

- Les cyclones : cette année Hugo vient de ravager sauvagement plusieurs îles des Antilles pour s'éteindre rageusement en Floride.

Pendant l'Hivernage, les tempêtes tropicales peuvent former ces cyclones. Certains furent beaucoup plus meurtriers qu'Hugo, comme "David" en 1979 en Martinique et celui de Guadeloupe en 1928.

Les météorologues américains leur donnent plutôt des noms féminins malgré les protestations de l'Association Féminine.

 

PROMENADE EN JUNGLE.                                                      

Sans frein aucun, notre rouge camionnette Toshiba se fraie un chemin sur ces routes montagneuses. Déjà la ville de Roseau se fait minuscule à l'horizon. Nous dépassons les quartiers résidentiels des banquiers et Grands Commis de l'Etat. Ces villas mirifiques englouties dans une dense végétation n'ont plus rien de commun avec Roseau la ville que nous venons de traverser.

Au bout d'une heure de route nous stoppons notre véhicule pour continuer à grimper par un petit sentier. A travers d'immenses fougères nous essayons d'avancer en évitant la  mousse glissante, et les feuilles pourries par l'humidité envahissante. C'est là, au tournant, que surgissent les deux sources sœurs ennemies. la première est dite "femelle" et son eau chaude atteint 6O°, la seconde est dite "mâle" et son eau glaciale ne dépasse pas  5°.

Après une chute vertigineuse de près de cent mètres, elles se rejoignent en bas d'un ravin en mélangeant leurs eaux, bulles, gravas et terres rouges. Tout cela est nimbé d'une fine pluie persistante qui rend ce paysage forestier encore plus magique.

A notre droite, un lierre géant masque à peine ces belles orchidées à odeur de jasmin "white gingalilli". Le "maracuja", fruit de la passion serpentant comme une vigne, présente de beaux fruits jaunes semblables à des oranges.

Subitement notre ami Frank se déshabille et plonge dans le lit des cascades. Téméraire et vaillant, il nage emporté par le courant, à fleur de roches. Et voilà que surgit un nouvel athlète noir d'un mètre quatre-vingt-dix. Cette masse de muscles bien dessinés, se jette à son tour dans l'eau pour rejoindre Frank. Dans cette forêt du bout du monde, le batifolage de ces hommes muscles et la joie qu'ils exhibent laissent notre petit groupe surpris et amusé. C'est alors que Frank bondit hors de l'eau et tel un fauve saute de rocher en rocher. Soudain il dérape, puis court se cacher dans un bosquet, grimpe sur un arbre et retrouve son élément aquifère.

Les 35O cours d'eau de la Dominique donnent-ils tous autant de joie aux habitants de l'île?

De retour en ville, au soleil couchant, nous rejoignons à pied notre hôtel. Une musique religieuse arrête notre marche. Nous voici sous un hangar aménagé en simple église au bas plafond de bois. Une vingtaine de rangées de bancs accueillent les fidèles du soir. Des dames en "bibi" tiennent sous le bras leur parapluie bariolé. Sur une large estrade, ce jeune prêtre en civil, invite par microphone les hôtes du temple à remercier Jésus, dans une mélodie langoureuse, lancinante et émouvante.

Cette simplicité pathétique des lieux et des croyants, cette vibration de plafond, ce bérêt rouge de mon voisin et ces murs nus sont autant de bonté et de pureté.

A la Mainstreet ce temple offre aux Dominicains un bonheur quotidien.

Ce matin nous sommes à Roseau (du nom de Monsieur Roseau ancien habitant de l'île), la capitale aux 13 OOO habitants, avec une urgence matinale, se rendre à la Banque du Canada  pour changer nos dollars U.S. en E.C. Dans toutes ces Antilles Anglaises, l'Eastern Currency (E.C.) sera échangé au taux de 2,7 pour un seul dollar U.S.

A l'intérieur de la banque nous retrouvons la fameuse "Red line" ou ligne rouge de l'aéroport, imposant un arrêt à un mètre du guichet dépourvu pourtant d'affluence de clientèle. Mais pour bien faire encore, un tapis rouge bordé de gros cordons rouges, surélevés d'un mètre, forment tout un chemin en zigzag de près de trente mètres de long. On prévoit la foule et l'organisation anglaise restera toujours présente. Un peu plus loin, l'Agence LIAT a déjà une petite salle d'attente archi-comble. Cette compagnie aérienne miracle est la principale compagnie à relier toutes ces îles-pays par des avions de six à vingt-deux places. Le calvaire ne fait que commencer.

Il faut établir la connexion avec Antigua, Saint Kitts and Nevis, Montserrat et Pointe-à-Pitre. Cela paraît pourtant si simple. Mais devant si peu d'avions largement exploités et avec un passage forcé à Antigua pour chaque destination, je vous laisse deviner les longues heures de patience qu'il faut avoir pour obtenir un éventuel O.K. sur un orange billet d'avion.

 

Au coin de cette place, une plaque blanche se détache au haut d'un poteau.

Inscrite en noir la King Road est ainsi signalée.

Les maisons sont souvent construites en pierre au rez-de-chaussée et en bois à l'étage supérieur. Des tuiles rouges ou vertes donnent à ces ruelles une apparence bancale. D'autres maisons plus colorées gardent un charme plus créole. Au bout de cette rue un square on ne peut plus "british" arbore son gazon bien tondu, son flamboyant aux fleurs rouges écarlates, ses fougères grimpantes et sa série de bougainvilliers. Assis sur le banc public de ce micro jardin si bien entretenu, je me laisse évader sur cette mer des Antilles à perte de vue, bercé par le bruit régulier du ressac des vagues. Le bonheur n'est-il pas une somme d'instants?

L'air et le bleu de la mer, la verdure et les fleurs font de cet instant un bonheur et de plénitude inoubliables.

 

LES RASTAS

Trois filiformes jeunes garçons Noirs nous regardent sans nous voir. Par cette humidité étouffante et ce soleil écrasant le premier est coiffé jusqu'au nez d'un immense bonnet de laine bleu et blanc, le second le porte plus haut et le troisième en bout de queue de cheval. Ce sont des Rastas aux longs cheveux tressés et si peu lavés. Depuis que Bob Marley est devenu leur nouveau prophète, les Rastas renforcent leur secte par de plus en plus d'adhérents. Il s'agit de souffrir un peu, de moins manger, de se détacher de la matière et de sombrer sous des cheveux tressés dans un nirvana d'amour et de bonté.

Rejetés souvent, accueillis tantôt, ces nouveaux parias tiennent le coup avec de la drogue et une solide diaspora.

Toutes ces nattes tressées de ces hommes me ramènent dans ce si beau marché de l'Ile de Grenade où j'ai rencontré, pour la première fois, il y a quatre ans déjà, des Rastas. Ecouter leur transistor à tue-tête était leur principale activité.

Derrière ces Rastas, deux petites dames en robes multicolores tiennent bien droit leur petit chapeau noir. Cette jeune métisse fière de son couvre-chef anglais se veut... toute blanche.

Cette grosse et insolite BMW porte un curieux numéro à un seul chiffre. Comme de partout le gros bourgeois "saura acheter" son numéro de voiture, qui ici n'a pas encore, dans le pays entier, dépassé le numéro 94OO.

Dans notre petit pub de Roseau, nous nous laissons charmer par cette onctueuse mousse au chocolat qui achève le déjeuner. Soudain six policiers viennent gentiment nous entourer : -" Messieurs selon la loi vous devez confirmer que vous ne portez pas plainte contre le chauffeur qui a renversé votre ami, contrairement au propriétaire de la Chevrolet jaune, au feu rouge cassé".

Palabres, palabres, palabres, reine souveraine, tu habiteras sous "l'arbre à palabres" d'Afrique, ou cohabiteras dans le commissariat de Roseau. 

 

MAISONS CREOLES

Ce matin, une urgence au menu. Ici, pour quitter le pays, tout voyageur doit passer par un office "Inland-Revenue" pour payer une taxe de sortie de 16$ E.C. soit environ 5$ U.S. Malheureux voyageur qui arrivera à l'aéroport sans ce fameux récépissé, son avion partira et il devra regagner la ville pour aller à cet office, seul émetteur de cette quittance. Je repense à Caracas au Venezuela, Mahé aux Seychelles, Trinidad aux Caraïbes et tant d'autres villes imposant cette ignoble taxe de sortie (et injuste !) mais qui nous délivre néanmoins, à l'aéroport même, un récépissé de taxe perçue...

Dans les rues, hirsutes et barbus, les piétons ne sont point affairés. John notre nouvel ami insulaire nous invite à prendre le café chez lui . Une vaste maison à étages nous accueille par un escalier de bois peint en vert qui nous mène au salon supérieur. Sur le mur le portrait du grand frère parti aux U.S.A. trône majestueusement. Devenu américain, il arbore avec fierté, sa tenue de jeune caporal. Au mur d'en face est suspendu un cadre jaune criant louange à Dieu :" I want DE worship".

Le nouveau magnétoscope, le beau téléviseur et la précieuse machine à laver de cette joyeuse maison viennent bien sûr des U.S.A. Une joyeuse maisonnée d'une dizaine de personnes nous crible de questions et s'amuse de nos étonnements. La musique imbibe chaque mètre carré de cette demeure et fait rayonner tous les visages de cette famille de Noirs de Dominique. Notre promenade nous conduit enfin vers le jardin botanique.

 

Ici, le passage de l'ouragan David en 1979 est encore présent. Ces quelques arbres abattus, en restent les témoins. De magnifiques rejets redonnent une fraîche vie à ces troncs morts. La pluie et le soleil font de ce jardin botanique un nouveau petit Eden. Ce solide gazon au teint frais s'étale gaiement à l'infini. Un peu plus loin des boulets de canons de quinze centimètres de diamètre sont entourés de belles fleurs rouges, ornant ainsi cette pelouse si bien taillée.

 

CYCLONES

Dans trois semaines hélas, passera Hugo cette fois. Il dévastera la Guadeloupe, épargnera un peu cette Dominique et ensevelira notre beau petit Montserrat, pour aller ensuite mourir en Floride en tuant et saccageant toute forme de vie.

Mais d'où viennent donc ces cyclones auxquels les météorologues américains  donnent plutôt des noms féminins malgré les protestations de l'Association Féminine?

Curieusement pour les Antilles, le centre géographique des turbulences pré cycloniques se situe à l'Ouest africain. Au large du Cap Vert une dépression sur dix s'achemine vers l'Atlantique pour rencontrer un courant chaud d'environ 28°, alimentant par vaporisation d'air humide les tourbillons happés. Le vent sec d'Afrique et l'air humide de l'Océan Atlantique créent par leur choc une condensation génératrice de chaleur. De nouvelles couches d'air humide se condensent à leur tour et produisent encore de la chaleur. C'est ainsi que la force de drainage horizontale des tourbillons, se transforme par l'élévation de l'air chaud en force centrifuge. Cette nouvelle machine thermique continue à se nourrir de condensation chaleur et progresse à vitesse constante. Dès que :

 - la vitesse des vents autour du centre dépasse les 12O kilomètres à l'heure,    

 - la saturation de la condensation libère la pluie,

 -  et que de gigantesques vagues de près de 1O mètres de haut se forment par cette baisse de pression centrale, il y a alors cyclone.

Avec une durée de vie moyenne de treize jours, le cyclone couvre des milliers de kilomètres carrés de surface marine, traverse les Antilles et se meurt en Floride.

Ce cyclone, qui court jusqu'à 32O kilomètres à l'heure, est doté d'un oeil central de 25 kilomètres de diamètre entouré d'un ensemble de nuages ou "murs" de quinze kilomètres de haut. Quant on pense que tout le cyclone peut atteindre 8OO kilomètres de diamètre soit toute la largeur de la Méditerranée, on ne sera pas étonné d'apprendre que l'énergie contenue et libérée sous forme de chaleur est dix fois plus importante que celle de la bombe atomique d'Hiroshima.

Aux Antilles on compte un cyclone tous les quatre ans, et principalement en été. Le cyclone "David" du 29 août 1979 appelé alors cyclone du siècle est dépassé en horreur par "Hugo", l'infernal aspirateur de septembre 1989.

 

EMERALD POOL

Sur une route montagneuse, étroite et bien asphaltée de la Dominique, des hommes au torse nu décantent les caniveaux. Armé d'une machette, ce Noir athlétique au chapeau de paille coupe d'un coup sec et rapide les mauvaises herbes. Avec une simple fourche de bois il retire cette herbe coupée qui sera ramassée par un vieux camion municipal de marque japonaise. Sans ces ouvriers cette route serait complètement envahie de végétation en deux ou trois mois. La Transamazonie connaît bien ce problème et le climat de la Dominique est bien semblable. Une débauche de fleurs et de plantes de tout genre poussant en bord de route nous accueille sur ce chemin d'Emerald Pool.

Cet anthurium, plante vivace et grimpante pareille à un immense lierre, présente avec éclat ses fleurs rouges et blanches. Une épaisse bractée laisse pousser en son centre un immense pistil orné de milles points blancs. Ces fleurs se retrouvent à l'aéroport pour être emportées par les touristes et traverser l'Atlantique pour décorer les intérieurs européens. Plus loin sur un talus, ces fines vertes feuilles sont étonnantes, l'approche de mon stylo à bille les fait déjà bouger,et elles finissent par se refermer sur le stylo. C'est ainsi que cette plante appelée "sensitive", saura attraper son abeille ou son papillon. Plus haut, cette touffe d'herbe verte aux immenses feuilles en jet d'eau n'est rien d'autre qu'une citronnelle très prisée par ceux qui veulent se protéger des moustiques. Le jardin botanique naturel de la Dominique continue à montrer ses merveilles. Ici le "Gingalilli", dont un certain jus de New Delhi m'est encore en souvenir au fond du palais, côtoie un caféier aux larges feuilles de près de dix centimètres de long. Un petit fruit rouge d'un centimètre cache sous son péricarpe de grosses graines qui passeront par plusieurs étapes avant d'arriver dans votre expresso.

Dieu ce que la nature est belle ! L'arbre à pin aux fruits gélatineux comme un kaki ou comme un "joka" brésilien à l'odeur très peu appétissante, les frêles avocatiers aux fruits pendants comme des poires vertes nous invitent à une pause café. Dans ce virage le panneau de circulation est offert par la Barclay's bank qui nous impose un "turn-left" ou virage à gauche. Nous voici enfin à une altitude de 5OOO pieds (près de 1OOO mètres) face à l'entrée d'Emerald Pool. Un sentier forestier nous aspire rapidement pour nous mener vingt minutes après vers un petit lac de couleur émeraude. "River Tiger" du zoo de San Diego en Californie a dû plagier son décor après la visite de ces lieux.

Enveloppés par des millions de gouttelettes d'eau, nous avançons parmi ces racines aériennes recouvertes de fine mousse, en posant avec soin nos pieds sur des rochers lisses et glissants. C'est aussi la "Vallée de Mai" de l'île seychelloise de Praslin et sa forte densité végétale que je retrouve ici. Un escalier envahie par des racines aériennes est bordé d'arbres de trente mètres de haut squattés à mi-hauteur par des plantes saprophytes.

Le petit lac ou Bassin d'Emeraude  est enfin à nos pieds. Une chute de trente mètres de haut alimente sans arrêt ce bassin qui fera ruisseler le trop plein en rivières et cascades. Cet écrin de végétation ceint de rochers austères prononce l'irréel de ces lieux. Douze heures de soleil par jour et une pluie de vingt minutes toutes les deux heures ne peuvent faire de la Dominique qu'un véritable petit jardin tropical.

Epuisés par la vue de tant de belles choses, nous nous  asseyons au bord de ce bassin les pieds dans l'eau glacée et la tête surchauffée par tant d'images envoûtantes.

 

RESERVE CARAïBES

 

Cela fait plus de deux heures que nous roulons à travers cette forêt montagneuse à près de mille mètres d'altitude. Voici le début des plantations de bananes avec de beaux régimes enveloppés dans du nylon bleu, les protégeant des insectes et des oiseaux. Je m'aperçois avec étonnement que dans un régime de bananes les fruits ne tombent pas par rapport au tronc principal mais s'élève plutôt vers le ciel.

De petites cases en terre commencent à égrener notre route. De temps à autre c'est même toute une maison en dur que l'on aperçoit. Dans un bar de fortune qui se résume à une glacière dans une hutte, Bataca nous accueille cordialement. Torse nu et cheveux lisses, pommettes saillantes et yeux tous noirs, il nous présente son ami Raphaël, qui tient à nous vendre un curieux objet en raphia. Dans cette réserve caraïbe, l'homme ne tient guère à perdre sa fiancée. Cet instrument de vingt centimètres de long se résume à un tube savamment tissé qui attend à son extrémité le doigt d'une jolie femme. Une fois le doigt inscruté l'homme tire brusquement ce tube tressé qui se referme alors sur le doigt conquis...

Les Caraïbes vivant dans cette réserve, se nourrissent grâce à la chasse et  à la pêche et ne se métissent que rarement. Que reste t-il aujourd'hui des 5OOO Caraïbes de cette réserve? Secret d'Etat et de puissance. L'Etat de la Dominique offre à ses aborigènes une terre gratuite et les exempte de tout impôt. Cela est peut-être mieux que pour les aborigènes d'Australie, mais on oublie simplement que cette île appartient aux hommes Caraïbes qui vivent aujourd'hui en marge de l'An 2OOO et de toute société.

Mais qui sont ces Caraïbes?

 

LES CARAIBES

 

Plus connus que les Arawaks, les Caraïbes sont décrits par Christophe Colomb de la façon suivante :-" Quittant mon bateau à bord d'une chaloupe, je descends sur le rivage de Guadeloupe, et me dirige vers des cases d'où les habitants fuient dès qu'ils m'aperçoivent. Dans les cases d'Indiens, les hamacs, arcs et flèches sont suspendus. Je prends deux perroquets verts-bleus-blancs-rouges, ainsi que cinq ossements de jambes et de bras humains. Nous sommes bien chez les Caraïbes, les mangeurs de chair humaine".

Ces Indiens Caraïbes étaient également originaires du bassin de l'Orénoque entre le Venezuela, la Colombie et la Guyane. Interrogés par les colons ces hommes répondaient que leur ancêtre Kalinago vivait dans une tribu guyanaise.

Au cours des siècles ils commençaient à se vêtir d'un pagne, et les femmes d'une bande de coton ouvragée tenue par une ceinture à la taille. La graine de roucou écrasée les protège des moustiques et du soleil. En Guyane les Indiens Roucouyennes gardent sur leur visage des cercles colorés autour des yeux et des moustaches.

La cloison médiane du nez percée dès l'enfance permet d'enfiler une plume de perroquet ornée de petites lames de cuivre. La lèvre inférieure et l'oreille se dilatent également par des ornements d'os, d'écailles de tortue (femmes à plateaux).

Au centre du village dans le grand carbet, les hommes se retrouvent pour discuter et manger. Ils mangent surtout des goyaves, des choux palmistes, des piments et des pois. Avec les patates douces ils fermentent le "mabi", du manioc ils extraient la "moussache" qui fermentée avec du "mabi" donnera un alcool fort le "ouicou". Pêche et chasse complètent le menu. Animistes les Caraïbes croyaient en une divinité supérieure sans lui rendre aucun culte tout en étant entourés de "Maboyas" mauvais génies et de "Ichinis" bons génies.

Le sorcier saura persuader le Caraïbe que lors d'une éclipse c'est un Maboya qui est entrain de dévorer la lune et le soleil.

Belliqueux, ils ont des armes efficaces : grands arcs avec flèches de plus d'un mètre taillées dans des roseaux et trempées dans la sève des mancenilliers.

Ils se servaient de "boutous", grande massue aux arêtes vives et de sagaies de bois dur. Les jours de guerre complètement ivres, il n'épargnent aucun ennemi, il faut tuer et boucaner et non faire des prisonniers.

 

ADIEU DOMINIQUE

Nous voici cette après-midi de nouveau à l'aéroport du Sud. Ce court séjour insulaire semble être déjà une éternité face à tant de richesses naturelles et à tant de générosité humaine, dans un pays pas plus vaste que le lac Léman, avec 9O OOO habitants sur 751 OOO km2.

Contrairement aux autres îles des Antilles, la Dominique n'a pas su attirer les touristes et ses deux aéroports ne peuvent encore recevoir un simple Boeing par exemple. La banane demeure la principale ressource de l'île avec un revenu d'exportation de 32 millions de U.S.$. Le patchouli, cette plante qui éloigne les insectes des vêtements de laine est la seconde spécialité de l'île. Le tourisme qui ne rapporte que 1O millions de U.S.$ soit 1O% du P.N.B. ( Produit National Brut) est peut-être l'avenir du Pays.

Avec un P.N.B.  par tête et par an de 82O U.S.%  (soit environ la moitié de la Tunisie) la Dominique est un pays relativement pauvre placé 18Oème sur un total de 2O4.

Tous les cinq ans est élu un Premier Ministre qui formera un gouvernement de onze ministres. Le pays essaie en outre de se spécialiser dans de moyennes industries d'exportation telle que la fabrication de jus de fruits,  de l'huile de copra, de patchouli et de cardamome.

Pour construire une scierie moderne et mettre en valeur le potentiel forestier de la Dominique,il faudrait créer une infrastructure moderne et ouvrir des pistes forestières. Les routes et l'agrandissement de l'aéroport sont peut-être une des clefs de la réussite économique de ce pays.

 

En grimpant les six marches de la passerelle de notre petit avion, une petite valise noire se faufile sous mes jambes. Le propriétaire de la valise me pousse gentiment et passe devant moi. Toute de noir vêtue, chapeau rond et chaussettes blanches, dos bien droit et regard absent, cette fillette de huit ans à la lourde valise noire, semble quitter la case de l'Oncle Tom et résume à elle seule toute l'histoire de la civilisation. Cette petite Noire à la jupe sertie de petits points rouges avec son air de petite grand-mère aux anneaux dorés, devient rapidement la reine des passagers, pour l'île d'Antigua que nous irons découvrir ensemble.

                                                      

                                                 Rached TRIMECHE

(20 août 1989)

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