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MONTSERRAT,

Territoire anglais

                                                                                                                                                                                            

 

 

     Par Rached Trimèche

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Plymouth. (Septembre 89). Cette après-midi, nous déambulons au centre ville de Basse-Terre. Ni stressés ni pressés, ces passants avancent presque en dansant sur les trottoirs de cette rue principale. Par ce beau soleil coutumier (12 mois de printemps), la flânerie est coutumière. Soudain nous voici subitement arrêtés par la vue de cet insolite petit bolide parqué devant un café.

 

Imaginez une petite Morgan, cabriolet coûtant pas moins de 5O OOO US$ à Londres et en stationnement, à St Kitts. Imaginez enfin cette Morgan décapotable de couleur verte, avec une radio ouverte à fond, en l'absence de tout passager, et découvrez à vingt mètres de cette Morgan, trois jeunes hommes tenant chacun une bière en main, affalés contre le mur d'un café, le regard rivé sur la Morgan et l'air absent.

C'est le plus jeune de ces messieurs, Hobson Stacen, architecte de métier qui s'avère être le propriétaire du bijou. Amusé de notre étonnement, il  appelle la moitié du quartier par un geste du doigt, ou en sifflant. Le voilà exhibant ses quelques phrases françaises tout en nous racontant qu'il partage ses bureaux avec le Baron de Rothschild. En quelques minutes c'est une grande bouteille blanche de rhum marquée d'un large sigle CSR appartenant au même Baron de Rothschild qui nous est offerte. Le Baron dont le "Mouton" est déjà un vin fort prisé, s'amuse à monter une distillerie de canne à sucre, à St Kitts, pour produire un bon rhum d'exportation.

Il est 14 heures, le grand départ pour Montserrat arrive. mais ce n'est que l'heure de départ vers l'aéroport, et nullement  l'arrivée à Montserrat. le chemin est encore long. Première nouvelle d'aéroport, point d'avion pour Antigua, relais nécessaire pour atteindre Montserrat. les agents de la LIAT, nous demandent poliment de revenir demain, ou de rester en "stand- by", en attente éphémère. C'est enfin un petit avion qui vient de terminer son troisième aller et retour St Martin-St Kitts qui nous prend à bord . Parmi nos passagers, ce jeune garçon nous parle élogieusement de leur premier ministre le Docteur Kennedy A. SIMMONDS, l'homme providence de St Kitts et m'explique avec fierté et de la malice au fond de ses beaux yeux noirs les symboles du drapeau de St Kitts, qu'il arbore sur son tee-shirt. Divisé en trois plages, verte noire et rouge, ce drapeau est coupé au centre par deux traits jaunes obliques encadrant deux étoiles blanches : une pour St Kitts et l'autre pour Nevis. En vingt minutes de vol nous arrivons déjà à la "Coat of Arms"- la cote de mailles d'Antigua- pour courir encore vers notre correspondance pour Montserrat.

 

ARRIVEE INSOLITE

Trois passagers débarquent sur une lune, ou planète nouvelle. Notre petit avion est déjà loin dans le ciel. Nous sommes trois perdus dans un bâtiment appelé mystérieusement aéroport, meublé par le gazouillement d'oiseaux invisibles. Le guichet du douanier est bien là et nous barre l'entrée. 5-10-15-20 minutes passent, les oiseaux continuent leur sérénade et les douaniers sont tout aussi absents que les policiers. Que faire? Entrer au pays, passer de l'autre côté de la "loi" sans cachet aucun sur nos passeports ou attendre encore l'éventuel représentant et serviteur de sa Très Gracieuse Majesté la Reine d'Angleterre?

Et passe le temps et passent les soixante minutes d'une heure.

Voilà soudain qu'un étrange bruit humain arrive à nos oreilles. La source est vite trouvée à moins de cent mètres du guichet de douane. Le képi sur le genou et le gilet rose mettant en relief un ventre replet, ce fonctionnaire dort et ronfle bruyamment affalé sur une chaise. En quelques minutes, le douanier, le policier et même les quatre chauffeurs de taxi sont alertés. Nous sommes enfin arrivés à Montserrat.

Une fois les formalités passées nous voilà pris d'assaut par les quatre chauffeurs de taxi du pays qui interrompent leur sieste. Trapu, jovial et dandinant sous ses tempes grisonnantes et sa casquette inclinée, Brother White nous mène derechef vers son vieux taxi Toyota âgé de vingt ans au moins.

 

BROTHER WHITE

Cette arrivée à Montserrat, dans le taxi de cet heureux sexagénaire, restera un évènement indélébile. Imaginez ce chauffeur de taxi qui est du reste prêtre dans sa paroisse, qui s'appelle Blanc parcequ'il est Noir et qui gesticule et chante sans arrêt, maniant avec dextérité son volant en évitant ravins et grosses pierres dans cette forêt que nous traversons à vive allure. L'arrivée au Coconut Hôtel se fait dans une hilarité totale avec un Brother White soprano et guitariste du volant. Ici, le temps semble avoir suspendu son vol. Cette maison coloniale de 1908, qui servait d'habitation aux maîtres d'une plantation de canne à sucre, est aujourd'hui aménagée en Coconut Hôtel. Cette grosse baraque de bois aura résisté à quatre-vingt ans d'intempéries et de forte humidité. L'entrée de l'hôtel est un Eden beau, paisible et envoûtant par sa luxuriante végétation. Des petits lézards, iguanes et salamandres ne sont guère effrayés par notre présence. Sous ce gigantesque hibiscus rouge, des oiseaux picorent le vert gazon. Un grand acajou rouge semble protéger cette géante fougère dorée.

L'intérieur de notre hôtel est digne d'un roman d'Agatha Christie. Les vieux meubles craquent, le lit est à baldaquins, le seau de glace préhistorique mais la douche fonctionne à merveille. Etant les seuls clients de l'hôtel, notre groupe s'octroie le droit de concocter son menu du jour, chez la belle cuisinière Edith, qui trouve enfin de quoi meubler sa journée.

Dehors, ces visages Indiens au regard absent préservent jalousement leur origine Caraïbe et Arawak. Nous avons vu dans une île précédente, la Dominique, l'origine des Caraïbes. Ici, c'est ce jeune Rotarien, Brian Brihay qui nous parle de ses ancêtres Arawaks tout en ingurgitant bière sur bière au balcon de notre hôtel face à la mer des Caraïbes.

LES ARAWAKS

Avant Christophe Colomb les hommes Caraïbes et les "Arawaques" ou Arawaks formaient la population des Petites Antilles.

Ce peuple amérindien, vivait dans le bassin de l'Orénoque, l'actuel Venezuela. Au début de l'ère chrétienne, ils occupent peu à peu les Petites Antilles, pour être décimés au IXe siècle par les Indiens Caraïbes. Les premiers se défendent en plantant l'arbre au suc vénéneux, le mancenillier et les seconds s'entourent de serpents venimeux.

Belliqueux guerriers et anthropophages, les Caraïbes l'emportent aisément sur les pacifiques Arawaks.

Les Arawaks vivaient sur la côte non loin de l'embouchure des rivières pour disposer d'eau potable, et pour poser facilement leurs nasses en mer protégée. Leurs villages circulaires entourés d'un talus d'un mètre de haut renferment des cases sur pilotis autour d'une place centrale. Petit de taille l'Arawak portait au cou un "Karacoli" ou croissant formé de lames d'or enchâssées dans une pièce de bois. Leurs belles femmes étaient très prisées par les Caraïbes qui se débarrassaient des hommes en les boucanant sur un bon feu de bois pour les manger ensuite.

Armes : arcs de bois durs, haches en roche volcanique, couteau de pierre en jaspe rouge.

Où sommes nous donc dans cet îlot perdu?

Surnommée l'Ile d'Emeraude en raison de son épaisse couverture végétale, Montserrat est un petit paradis tropical à 3O km au Nord-Est de la Guadeloupe, en pleine mer des Caraïbes.

Loin de la pollution, du tourisme bruyant, d'industries lourdes et d'agitation, cette île volcanique est le refuge de célébrités mondiales tel que Paul Mc Cartney l'un des Beatles.

Dans ce mouchoir de poche, s'élèvent plusieurs massifs montagneux dont la Galway Soufrière (815 mètres). Ces hauts sommets accrochent les nuages et provoquent d'abondantes pluies qui arrosent le pays.

Ainsi sur une superficie de 1O2 km2, (le sixième du Lac Léman) vivent

12 OOO heureux et bénis insulaires.

 

HISTOIRE

Le Docteur CHANCA raconte à merveille l'histoire de Montserrat : " En rencontrant une montagne escarpée comme certaines montagnes espagnoles, l'Amiral baptise ce 1O novembre 1493 cette île Montserrat. Sachant que les Caraïbes ont dépeuplé cette île, nous ne nous arrêtâmes pas".

 

En 163O, Thomas Warner, un colosse Irlandais pris possession de l'île. Aujourd'hui encore, des noms à consonance irlandaise sont très courants, tel que les Kennedy par exemple, et même le trèfle irlandais fera parti du blason officiel de Montserrat. En 1967 par un vote massif, les habitants de Montserrat choisissent de rester une colonie anglaise tout en devenant un Etat autonome.

 

PLYMOUTH

Quelle curieuse impression que de visiter à pied et en moins d'une heure cette capitale aux 2 OOO habitants.

Dans ce gros bourg de style colonial, la place du marché d'un niveau inférieur à la chaussée, présente des dizaines d'étals de divers beaux fruits et légumes. Chaque ménagère s'arrête longuement pour choisir et peser sa papaye et examiner sous toutes ses coutures sa salade. La nonchalance des vendeurs n'a d'égale que celle des acheteurs.

Un marché unique au monde par ses quelques mètres carrés d'envergure et par son calme de potager. Un port minuscule, presque au centre ville, compte quelques barques amarrées au large. Ce pêcheur au chapeau de paille et à la chemise retroussée tient au bout d'un bras un lourd poisson et ne semble nullement perturbé par cette averse qui s'abat sur lui.

La maison du Gouvernement au style victorien ressemble plutôt à la cité de Madurodum, ce village lilliputien construit pour les enfants de Den Haag (La Haye) en Hollande. La Fort Street de Plymouth fait de ces vieilles maisons restaurées des magasins fort bien fournis. A voir cette svelte vendeuse au teint hâlé et au chic foulard jeté sur une épaule parlant avec un accent très oxfordien, on peut difficilement résister... à l'achat de ses nappes brodées. La broderie et le tricot sont le fort de l'artisanat de Montserrat. Ce second magasin est des plus inattendus, sur deux étages une galerie de peinture expose sur ses murs des dizaines de tableaux naïfs dit Haïtiens. Un client parisien émerveillé par ces toiles et parlant en collectionneur averti souffre le martyr en souhaitant les acheter toutes. Ces toiles, 5O% moins chères qu'à Paris, sont pourtant vendues entre 5OO et 5 OOO dollars US, pour les simples aquarelles.

Plus loin, cette petite librairie est tenue par une forte dame en blue-jeans. Veuve depuis cinq ans, Madame Smith, née au Sud de Londres passe le plus clair de sa vie entre de pittoresques cartes postales et toutes sortes de livres en anglais. Gloria, sa fille droguée et longtemps hospitalisée, vient de quitter la Grande Bretagne pour venir fêter son quarantième anniversaire chez sa maman, qui espère ainsi la "doper" par le calme et la sérénité de l'île.

Cette après-midi, perdus à la sortie de Plymouth, nous décidons de rentrer à notre hôtel en auto-stop. Bruyamment, cette Volkswagen de couleur sable, s'arrête devant nous. Léchant chacun sa glace avec délice, ils nous ouvrent la porte arrière de leur véhicule. Ce jeune couple en maillot de bain est "en train de savourer",entre deux cours, la pose de seize heure. C'est que dans cette île du bout du monde, on peut faire trempette et acheter des glaces entre deux cours universitaires. Mais cours de quoi? Le calme de Montserrat, aura su attirer des jeunes "fils et filles à papa" du monde entier pour venir faire leurs trois premières années de médecine dans l'île au prix de 15 000 US dollars par an.

Cette "American University" ou "Caribbean University" me rappelle l'entrée de l'Université Simon Bolivar à Caracas au Venezuela. Mais là s'arrête toute comparaison. Cette faculté de médecine ne compte que 103 étudiants, vivant dans un cadre de rêve, encadrés par des professeurs triés sur le volet.

Venant du Liban, du Congo, du Zaïre, d'Europe et d'Australie, ces jeunes futurs médecins aux parents généreux ont conscience de leur double chance.

TRIBUNAL

Dans ce bar anglais, où nous venons pour nous désaltérer, Julie la caissière se lance dans un laïus et ameute tous les clients du bar pour mettre au point la liste complète des huit pays antillais qui utilisent le dollar E.C. (East Caribbean Currency Authority) : Antigua, St Kitts and Nevis, Anguilla, Montserrat, St Vincent, Dominique, Grenade et Santa Lucia.

En continuant notre promenade, je suis attiré par cette énorme porte, en bois précieux, grandement ouverte. Grimpant les sept marches qui nous séparent de cette porte, je tombe sur un curieux spectacle.

Imaginez une énorme salle jonchée de banquettes vides, avec au fond, un premier pupitre central où siège gracieusement une jeune dame en tenue ocre. Face à elle, à sa droite et à sa gauche, se tiennent dans leurs box respectifs un jeune homme en pull bleu et une jeune femme en blouse rouge. Sur une estrade supérieure à la dame en ocre, siège majestueusement un noir monsieur tout de noir vêtu,  lisant à haute voix un texte incompréhensible.

Ce n'est ni une école ni une église, mais bien le principal tribunal du pays. Nous sommes dans la "House of Parliament and Courts of Justice". Au bout de dix minutes, un policier noir à gants beurre frais et à l'allure très "british", nous demande gentiment de quitter le tribunal. Qu'ont donc fait ces jeunes accusés moralement soutenus par trois vieilles dames assises tout au fond de la salle? En quittant la salle je repense au semblable tribunal de Victoria, Capitale des Seychelles, bondé de personnes souhaitant interrompre ou conclure un mariage.

Cinq cent mètres plus loin, nous arrivons à l'un des fleurons de l'industrie de Montserrat : le bureau philatélique. Rare sera le touriste qui ne viendra pas acheter plusieurs séries de timbres postes, plus beaux les uns que les autres dans cet îlot perdu.

A la sortie de ce bureau et toujours dans la même "Parliament Street", nous sommes surpris par une langoureuse musique sortir de cette haute fenêtre grillagée. Ce n'est que la petite fenêtre de la prison civile du pays qui a pignon sur Rue. Décidément, ce pays "mouchoir de poche" restera  plein de surprises!

LA SOUFRIERE

 Après l'Université et le bureau philatélique, nous voici devant la troisième importante entreprise du pays.

C'est ici au milieu de ce bosquet, niché au creux d'une colline, que Paul Mc Cartney a construit ses studios d'enregistrement. C'est qu'enregistrer à Hollywood par exemple, est une tâche qui demande une grosse fortune et une longue liste d'attente. Ici par contre, Paul Mc Cartney permet aux musiciens du monde de venir enregistrer à des prix très modestes, presque sans attente aucune et de surcroît dans une île idyllique. En quittant ces studios, nous commençons cette tournée des belles villas de Montserrat qui en constituent peut-être la première industrie. Certains milliardaires en quête de paix et de beauté, se font construire à Montserrat de luxueuses villas qui ne fonctionnent que quelques jours par an et font travailler les importateurs bien sûr, mais surtout une énorme main d'oeuvre locale en quête d'emploi.

Nadine  notre guide nouvelle, contourne cette belle villa en construction pour nous emmener au fin fond du bois et nous présenter cet arbre au tronc dénudé que nous retrouverons de partout la semaine prochaine en Guadeloupe. Cette écorce ôtée entrera pour certains dans la composition d'un cocktail de rhum, et pour d'autres, connue pour ses vertus aphrodisiaques elle sera appelée "bois bandé".

Notre promenade se termine à la Soufrière. En moins de trente minutes de voiture, nous arrivons devant le cratère de ce volcan. Cette pénétrante et nauséabonde odeur de soufre (H2S) ne nous quitte point. Notre ballade à pied commence par un sentier recouvert de feuilles mortes humides et glissantes. A mon premier dérapage ma chemise blanche vire au cuivre et mes chaussures ne sont plus que des patins. C'est pieds nus que je commence à arpenter le cratère du volcan entouré par mes amis moqueurs. Là cette fumerolle me rappelle une autre île paradisiaque très loin d'ici. C'est l'Islande dont les Geisers et les fumerolles  laissent échapper des entrailles de la terre cette eau bouillante et fumée. Nous voici tous en train de nous remplir les poches de petites pierres jaunes et légères. Ne sont-elles pas à l'origine même du nom de la Soufrière?

Cette frégate noire et blanche ne cesse de nous épier en nous survolant. Ce curieux échassier qui s'approche de nous est un ibis blanc perché sur de longues pattes qui semblent difficilement se tenir en équilibre. L'odeur du soufre ne semble guère déranger ces charmantes tourterelles blanches, qui nous escortent vers le parking du volcan. C'est une toute petite chèvre blanche avec une grosse tâche noire sur le dos qui nous attend devant notre petite voiture. Ce lointain berger suivi de quatre moutons, n'a même pas remarqué l'absence de cette petite chèvre polissonne.

De juteuses papayes nous remettent en forme pour entreprendre la descente vers Plymouth la capitale.

En ville nous sommes attablés au café Johnny's en compagnie d'un vieux couple d'Anglais qui vivent ici depuis plus de trente ans.

L'érudit octogénaire nous révèle dans ce café toute la richesse de la faune des Antilles. En commençant par les oiseaux de mer, en passant par les oiseaux de terre et en terminant par les animaux dangereux.

Au fur et à mesure que le soleil se couche, le bruit continu de milliers d'insectes s'amplifie. Les grenouilles naines, les "fofos" ou crapauds et les grillons y vont bon train. Quant à la blatte américaine ou rave, elle est friande de colle, de livres et de timbres-poste, mais elle est le menu préféré des poules. L'observateur patient apercevra le "cheval Bondieu" ou "cheval à Diable" à la gorge gonflée comme un ballon, se camouflant en brindille de bois pour se dissimuler dans les arbustes. Les amollis ou lézards verts sont d'infatigables gobes moustiques et des chasseurs de mouches. Les margouillats, lézards aux pattes munies de petites ventouses, se déplacent même sur les plafonds.

 

HORRIBLE MYGALE

Avec une peau de serpent, des épines dorsales et une queue interminable, l'iguane, animal préhistorique, a trouvé sous ce climat un refuge idéal.

Le manicou sorte de marsupial porte ses petits dans une poche ventrale. Il se nourrit de charogne et passe la journée à dormir.

Toute cette joyeuse escadrille est inoffensive, mais la forêt renferme également toute une faune dangereuse.

Le "fer-de-lance, serpent trigonocéphale long de deux mètres, a une tête triangulaire. C'est le plus dangereux des serpents. Il ne hante plus que les champs de canne à sucre de la Martinique. Curieusement, il est inconnu en Guadeloupe.

La mangouste lutte contre les reptiles, mais préfère de loin vider les poulaillers.

La "matoutou-falaise" ou mygale, cette horrible araignée noire, grosse et velue porte deux crochets venimeux à la face.

Les "bêtes-à-mille pattes" ou scolopendres, fréquentent les endroits humides sous des couches de feuilles ou des souches d'arbres. Piqué soudainement par un agressif moustique, notre orateur sort rapidement un petit flacon d'essence de citronnelle. C'est le meilleur moyen nous dit-il pour faire fuir les moustiques. Puis il reprend son récit.

Enchaînant avec les oiseaux notre ami nous apprend qu'en Dominique, on trouve encore des "sissirous" ou perroquets dissimulés dans les grandes forêts. Avec la haute floraison, arrivent les colibris ou "oiseaux-mouches". Ils ont une huppe sur la tête, le mâle est moins petit que la femelle. Sa vertigineuse vitesse de battements d'ailes lui permet de butiner les fleurs sans se poser. On compte actuellement quatre cents variétés de cet oiseau.

Dans les savanes et les bosquets, le pipiri tyrannise son entourage. Il ne supporte aucun autre oiseau dans son périmètre, et tue tous les insectes qui passent à sa portée. En créole "au pipiri chantant" signifie le point du jour. Dans les villages, le merle des Antilles à la couleur bleu marine ou jais, se réunit le soir en groupe sur des palmiers ou manguiers et piaillent jusqu'à la tombée de la nuit. Le petit "cici" est le plus courant oiseau des îles, il se déplace partout à la recherche d'une moindre miette de pain, et lance un petit cri qui lui vaut son nom créole, et tout comme le merle , pénètre dans les maisons pour subtiliser certains aliments. En compagnie des sarcelles et des canards sauvages, la poule d'eau au cachet rouge ou vert, vit dans les mangroves et les étangs. Les  "grands-gosiers" ou pélicans, les "malfinis" ou frégates, sont les sédentaires de la mer. Ils ont le goût de l'eau mais pas celui du voyage. Parmi les migrateurs nous retrouvons le puffin de l'herminier, oiseau de haute mer à cri humain, qui dort sur l'eau pendant la journée, et vole la nuit pour pêcher des "pisquettes" ou petits poissons. La  "mauve-à-tête-noire", la plus connue des mouettes vit en bandes très nombreuses.

Ce matin nous sommes à la recherche des vieux sites qui ont abrité les moines de Montserrat aux siècles passés. Au bout de cette rue à moitié asphaltée, se trouve l'ancien monastère de Montserrat. Seules quelques croix bâties dans le mur même de l'enceinte se remémorent ce fervent catholicisme du passé. Cette bâtisse squattée par des familles créoles, garde en elle tous ses secrets. Juste en face, cette grande église porte une stèle datée de 1720. Cette "Church of God of Profery" est semblable à un bâteau renversé, avec  un plafond en verre et même deux vieux tambours au pied de l'hôtel. Montserrat n'est plus seulement le monastère des moines, mais est aujourd'hui un grand pays de 12 000 habitants.

 

LES ADVENTISTES DU 7ème JOUR

Deux Rastas musclés et effilés nous arrêtent brusquement à la sortie de l'église. En ouvrant leur sac de jute, ils en sortent furtivement une noix de coco qu'ils décapitent d'un habile coup de machette. Pour un seul dollar E.C., nous avons la joie de boire et de manger ensuite cette délicieuse noix de coco. Les curieux qui s'approchent de nous, essaient de répondre à toutes nos questions sur les monastères de Montserrat. Nous apprenons bien vite que tout cela est un peu révolu et que l'île vit aujourd'hui un catholicisme pur et dur ou même les Adventistes du 7ème jour ont pignon sur rue. Notre promenade se termine à midi dans une crique insolite. Imaginez une crique microscopique, baignée par une mer bleu turquoise, au sable des plus incroyables. Ni blanc, encore moins blond, mais noir comme du charbon. Tel est la couleur de cette fine cendre qui forme le sable de cette plage. La salinité de la mer fait fuir tout poisson et prononce encore plus le caractère unique de cette plage au sable noir d'origine volcanique. Cette baignade restera longtemps présente en nous par sa beauté, sa joie, et par ce cadre enchanteur. En nous rhabillant au pied de notre voiture, nous sommes couverts de cendre noire. Ingénieux, l'homme de Montserrat a tout prévu. A trois mètres de notre voiture, cet arbre portant une plaque "WATER TREE" (ARBRE A DOUCHE) nous attend avec son caoutchouc généreux en eau douce...

Bob et Marlène, ce jeune couple, arrivent en voiture et stoppent devant cet  arbre. Calme et méthodique, ce jeune policier en permission, se fait aider par sa femme pour nettoyer, récurer et laver chaque centimètre carré de leur voiture. Dans ce lieu ombragé, en bord de mer, le lavage d'une voiture n'est-il pas un réel plaisir?

 

LE GOUVERNEUR DE MONTSERRAT

Une énorme pelouse bien taillée, semble se terminer en pleine mer des Caraïbes dans ce parc de la résidence de Christopher-John TURNER, Gouverneur de Montserrat. Derrière la porte grillagée, la guérite du gardien est vide, le passage est libre.

Une élégante dame au teint hâlé et aux gènes indiens, ouvre la porte de sa résidence, pour nous inviter à rejoindre, par un escalier extérieur, son époux le Gouverneur. Dans cette minuscule salle d'attente faisant office de bureau de la secrétaire, un vieux coffre fort d'avant première guerre fait face au portrait de sa Très Gracieuse Majesté la Reine d'Angleterre. Les murs sont pavoisés de blasons anglais et d'une carte détaillée de Grande Bretagne. Le plafond est bas, le mobilier ancien, et seule cette minuscule fenêtre égaie les lieux par ce soleil débordant. De cette minuscule fenêtre paraissent les deux voitures soigneusement parquées de son Excellence. La première, grande Anglaise, arbore le macaron officiel de la Grande Bretagne, tandis que la seconde  n'est qu'une rouge petite Buggy.

C'est par un escalier lilliputien que cette austère secrétaire nous mène à l'étage supérieur, au bureau du Gouverneur. Dans un vaste bureau, John TURNER nous accueille avec un sourire désarmant, tout en regrettant de nous avoir fait attendre. Un technicien qui vient d'être électrocuté sur un chantier de Montserrat, a nécessité l'intervention et le contrôle du Gouverneur. D'emblée  nous sommes situés. Dans cette colonie anglaise, le Gouverneur s'occupe de tout et a main mise sur tout. Il est vrai aussi qu'un Premier Ministre assisté de quatre ministres assure les affaires courantes du pays. Le Gouverneur coiffe la police, l'armée et les affaires étrangères sans partage. Adroitement notre gouverneur répond à toutes nos questions :

"Oui... Hong Kong, Gibraltar, Falkland ou Montserrat par exemple, sont des colonies anglaises. Les Français préfèrent appeler ceux-ci des DOM ou des TOM. Ici le peuple a par exemple le droit de décider de son indépendance. Mais quel est le leader politique qui se présenterait comme indépendantiste pour perdre tout scrutin? Il y a quarante ans, ce test a déjà été fait et s'est révélé négatif. Montserrat n'est pas pauvre puisque l'Angleterre fait à l'île un don annuel de deux millions de dollars US et que la construction des villas résidentielles est une véritable industrie. Ici le peuple est joyeux, le rythme de vie est autre et deux festivals par an procurent à notre île beaucoup de joie.

En sortant de chez le Gouverneur, je demande à notre ami de Montserrat et à sa compagne Anglaise de bien vouloir me montrer leur passeport. En voyant de près ces deux passeports, je remarque vite leur similitude et je reste perplexe devant toute cette prose : "Colony of Montserrat" est même

écrite en lettres dorées. "British Dependant Territories Citizen" est également bien inscrit, tout comme cette phrase française figurant sur tout emblème britannique : "Honni soit qui mal y pense, Dieu et mon droit". Le Lion et la Licorne complètent le paysage de la première page du passeport.

Le chauffeur de taxi qui nous ramène ne cache point son malaise en nous prenant de la Résidence du Gouverneur. Il ne tarde pas à nous confier que le peuple souhaite non pas une indépendance, mais l'arrivée des Américains, qui seraient moins colonialistes et plus profitables au pays. Malheureusement, aujourd'hui même, le Gouvernement de Montserrat a fermé une nouvelle banque américaine... Petit Montserrat qui sera le maître de ton avenir? Tes enfants, la Mère Patrie, ou quelqu'un d'autre?

 

ECONOMIE.

Le tourisme qui accroît la demande alimentaire, augmente le déficit agricole chiffré à 4 millions de dollars US en 1988. Montserrat n'ayant aucune exportation de denrées agricoles, ces quatre millions représentent l'importation alimentaire annuelle soit 1O% du PNB (Produit National Brut).

L'industrie ne représente qu'un dixième du PNB et s'articule principalement autour de la fabrication de petits moteurs électriques et sacs en polypropylène. Le tourisme qui fait le quart du PNB compte 32 OOO visiteurs en 1988, presque tous logés autour de Plymouth la capitale. Ce pays sans inflation aucune et avec une dette extérieure minime a un PNB par tête et par an de 38OO $ (le double de la Tunisie). Classé 69ème sur un total de 2O4, il est considéré comme pays relativement riche.

L'Eastern Caribbean dollar monnaie des Antilles Anglaises (2,7 EC pour un US $) est la monnaie courante de Montserrat.

 

ADIEU MONTSERRAT

Ce samedi midi, est notre jour de départ. Nous sommes à l'aéroport depuis quatre heures. Il est douze heures trente, et l'avion de neuf heures trente pour Antigua n'est toujours pas arrivé.

Que faire d'autre que s'asseoir sur sa valise et observer. La belle Hélène moulée dans un jean et un tee shirt bleu, tient à bout de bras un bébé de six mois. Grande, belle et bien maquillée, elle met en relief son profil et sa peau légèrement métissée.

Piaffant d'impatience, elle fume cigarette sur cigarette et avale d'un trait son troisième cognac. Habitant les Iles Vierges américaines au large de la Floride, elle est venu passer une journée à Montserrat visiter sa vieille maman et un de ses boy friends.

Plus loin, trois Rastas, au visage de cire dépourvu de toute expression, assis au fond de ce salon d'aéroport qui n'est qu'un vaste préau, profitent de l'aubaine d'un retard d'avion pour occuper leur journée à observer.

John et Maria venant de Santa Lucia achèvent leur semaine de vacances à Montserrat, et ne supporte plus cette attente.

Me faufilant derrière le comptoir des bureaux de la LIAT, je tombe sur les trois responsables de la compagnie aérienne en grande conversation. Tout le monde ne parle plus que du dîner dansant de vendredi soir. Le retard de notre avion? Qu'à cela ne tienne, il finira bien par venir!  pourquoi s'affoler?

En rejoignant le bar de fortune dans l'aéroport, je retrouve l'homme au tee-shirt noir qui dévore à mains nues sa quatrième cuisse de poulet!

 

Le temps de ce petit massif montagneux en dents de scie et du monastère du même nom Montserrat, dans la banlieue proche de Barcelone est loin de cet aéroport agité.

Beau et heureux Montserrat. Reste pour notre planète ce gîte d'exotisme, de calme, de beauté sauvage et de simple bonheur sur le visage des enfants. Petit pays béni, tu feras la joie de tout voyageur qui abordera tes côtes.

 

                                                                     Rached TRIMECHE

(03/9/89)

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