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TAHITI

 

UN PAYS HORS DU TEMPS

 

Par Rached Trimèche

 

 

PAPEETE (Avril 1974).Les passagers du vol UTA 5613 de Tahiti se bousculent devant le douanier de service. A ma gauche mon regard croise celui d’une jeune fille inquiète, qui cherche à… communiquer. Elle s’approche de notre file de passagers et me glisse un paquet. Me voilà encombré d’un colis anonyme, bien ficelé et lourd, et une adresse manuscrite. L’adresse de la mère de cette étudiante Polynésienne à Los Angeles…C’est mon tour, le douanier m’appelle, je n’ai même plus le temps de poser une seule question à cette jeune fille, que je ne reverrai plus jamais.

 

 

           

Après huit heures de vol nocturne, nous voici arrivés à l’aéroport FAAA de PAPEETE à TAHITI ! Nous sommes à 19 000 kilomètres de Paris, avec 11 heures de décalage horaire. Il est 6 heures du matin ici, et déjà 17 heures à Paris. Aux pluies de Los Angeles succèdent les chaleurs sub-tropicales de Tahiti (28° C de température moyenne/an). A moitié nus, sous une faible lueur de jour, les employés de l’aéroport FAAA déambulent devant ces étranges et matinaux touristes assoiffés d’exotisme. (Tous les vols arrivent à l’aube à Tahiti).

 

            Dans un taxi Simca M. Atae semble être intrigué de conduire un touriste directement chez un Tahitien. Nous arrivons bientôt devant un petit cottage de style colonial et d’une légère teinte anglaise. Une famille de douze personnes déjà bien réveillées, vient à notre rencontre sans trop se presser. Les grandes filles en PAREO (sorte de pagne coloré) et une TIARE, fleur blanche de Tahiti à l’oreille entourent leur mère, qui arrête son triage de coprah de noix de coco, pour nous accueillir avec un joyeux IAORANA bonjour. Le temps de boire un frais jus de fruit, de remettre à la mère le « colis » de sa fille de Los Angeles, et me voilà déjà refusant gauchement l’aimable invitation de séjourner chez cette famille. En sortant c’est au tour du chauffeur de taxi d’être un peu fâché, de me voir refuser cette hospitalité, et le voilà me proposant à son tour d’habiter chez lui, en plein centre ville. Et c’est ainsi, que je me trouve en train de boire un chaud CARO, boisson à base de coco, chez ma nouvelle famille tahitienne de sept enfants… et rêvant au glorieux passé de Tahiti.

 

            Il n’y a que 145 000 habitants dans les 130 îles des cinq archipels de la Polynésie Française : les Marquises – les Tuamotu – les îles Sous le vent – les Australes – les îles du Vent ou de la Société.

Le tiers des 93 000 habitants de la Polynésie Française, soit près de 30 000 personnes vivent dans la capitale tahitienne Papeete.

Mais où est au juste Tahiti dans ce vaste Pacifique ? Nous sommes ici à 6 500 kilomètres de la Californie, à 5 400 kilomètres de l’Australie, à 9 500 kilomètres du Japon et à plus de 20 000 kilomètres de la Tunisie.

Nous sommes enfin au cœur de la Polynésie Française, qui est presque aussi vaste que l’Europe ! Dans ce dédale d’îles du Pacifique, je ne pouvais ne pas penser à une autre île célèbre île, que j’ai connue antérieurement. Cette autre île fut découverte par le Hollandais Roggeveen un jour de Pâques 1722… l’île de Pâques ou RAPA NUI, avec ses statues mégalithiques pleines de mystère et de grandeur !

 

            Le lendemain, c’est le nouvel ami Michel AGLADE, qui me fait visiter son quartier général. A la périphérie de Papeete, sous de grands cocotiers, se cache une insolite baraque de bois jaunâtre. Nous sommes au siège du journal français de Polynésie, à 4 000 exemplaires par jour, « La Dépêche ». Dans un tout petit bureau mal aéré, sous une accablante chaleur, une noix de coco essaye de se maintenir en équilibre entre un tas de livres dispersés et un vieux Larousse fermé, sur la table de travail de Michel, qui nous parle à son tour de la Polynésie :

«  En 1768 un an après l’Anglais Samuel WALLIS, un Français l’amiral M. de BOUGAINVILLE redécouvrit TAHITI, la revendiqua au nom du roi de France et en fit la NOUVELLE CYTHERE ! C’est une femme POMARE I de la dynastie des Pomaré, qui abdiqua en 1880 et céda ses Etats à la France. C’est donc ainsi que toute la Polynésie Française devient aujourd’hui un Territoire d’Outre-mer de la République Française, un TOM ».

 

« Les Polynésiens de race MAORI forment 77 % de la population, avec en outre 9 % de Chinois et 14 % de Français et autres Européens. Depuis 1957 un Gouverneur représente la France dans le Territoire d’Outre-mer. Une assemblée territoriale de 30 membres élus déteint le pouvoir législatif (sauf justice, défense et monnaie). Un député et un sénateur nous représentent à Paris. C’est enfin un conseil de gouvernement de cinq membres, présidé par le Gouverneur, qui détient l’exécutif !

 

            Il fait trente degrés à l’ombre ce midi, je suis attablé à la terrasse du restaurant chinois « Le Mandarin » à la rue Paul Gaugin dégustant une « Hinano » bière tahitienne. Face à nous les passants nonchalants et fleuris déambulent avec un air de penser à RIEN. Plus de la moitié de la terre rêve de visiter Tahiti, pour voir ses femmes, ses fleurs, ses mers, l’ombre de ses cocotiers et ses danses sensuelles ! Au risque de vous décevoir, je vais tenter de démystifier toute cette légende sur Tahiti et essayer de vous présenter ce très particulier caractère polynésien, qui est à la base de tout. De la superbe et indescriptible beauté du pays, nous nous en parlerons lors de nos prochaines escales insulaires à BORA BORA et à MOOREA.

 

            FIU ou FIU est le mot clef de la Polynésie. Ce mot tahitien FIU (prononcer fiou) signifie « ras le bol » ou « fatigué » ! Comment se fait-il qu’un petit peuple qui vit dans une si belle et si généreuse nature, où les femmes sont belles et la vie si facile peut-il être fiu ?

 

            Voilà plus d’un siècle déjà, un riche Anglais voulut venir planter du coton à Tahiti. Les Tahitiens étant trop paresseux pour travailler, cet Anglais fut obligé d’importer de la main-d’œuvre étrangère. Sur un vieux cargo il fit venir 72 Chinois, avec la condition (posée par les Français de l’île) de les rapatrier au bout deux ans. Mais le grain de coton était mauvais, et la récolte fut si catastrophique que l’Anglais a fait faillite et ne put rapatrier ses 72 Chinois diligents. Les TINTOS sont aujourd’hui les descendants des 72 Chinois et sont si nombreux, qu’ils détiennent tous les commerces de l’île. L’importation qui couvre 70 % des produits consommés est également canalisée par ces Chinois. Et voilà que les Tahitiens laissent faire le commerce aux TINTOS, abandonnent le profit aux POPAS (Européens) et laissent faire ce qui resterait aux DEMIS ou métis.

 

            Un proviseur de lycée me racontait à ce propos, qu’il arrivait à un Tahitien enseignant de partir au milieu du mois sans avertir et sans même réclamer son salaire…

 

PAI est encore une expression idiomatique, ou tournure linguistique, qui ne veut strictement rien dire. C’est tahitien ! AITEA PEA PEA est le « Take it easy » des Anglais, « L’INCHALLAH » des Arabes ou le simple « on verra çà ». Ici la pratique du vol s’appelle emprunt, l’amour est une union libre, et le travail n’est pas toujours un tabou (pêche, cueillette et petite agriculture). Aitea Pea Pea, il ne faut pas s’en faire, tout cela est bien tahitien… et le monde continue de rêver de Tahiti !

 

En cette troisième journée à Papeete, c’est le tour de l’île qui est à l’honneur, avec un réveil matinal. Dans une petite Renault de Professeur de lycée en congé, Francine se fait mon guide pour la journée. L’île de Tahiti est au fait composée de deux îles accolées d’un côté, une petite ellipse collée à une seconde plus grande. Une route capricieuse carrossable presque de partout, avec d’un côté la ceinture de corail du lagon du rivage et de l’autre côté des jardins édéniques. Ce qui surprend surtout en ce tour de l’île, c’est la richesse et la variété de la végétation. Les fleurs sont très belles et odorantes. La tiaré à pétales blancs, qui sera dans toute couronne et collier est la fleur nationale.

 

Les frangipaniers, canas, bougainvilliers, hibiscus et gardénias sont tous plus beaux les uns que les autres. Quant aux fruits c’est tout un festin au programme. Par quoi commencer, par les papayes, les bananes, les avocats, les pamplemousses, ou les mangues ?

 

Dans ce district de Mahina,  entre la Pointe de Vénus et le trou du souffleur, nous commençons une deuxième visite, qui fera annuler ma prochaine escale voyage aux îles FIDJI, où l’on soignait les lépreux à l’huile de chaulmoogra…Ce que me présenta le docteur Martin dans cette léproserie de Tahiti m’enleva toute envie d’aller rechercher mes lépreux de Fidji !

 

Pas loin d’un petit aéroport, dans une verte clairière se dresse la léproserie de Tahiti. Le Dr. Martin est afféré. « Ce Monsieur que vous voyez assis sur un tabouret est un de nos trente patients lépreux. Depuis cinq ans nous le soignons ici ». La main du malade est crispée et décharnée, son regard est absent et son corps est squelettique. Un autre lépreux à la jambe coupé garde un tendre sourire opiniâtre. Un troisième est en quête de médication. Les contagieux, sont parqués dans un petit jardin. Avec une nausée non dissimulée, Francine et moi continuons cette visite insolite. S’adressant à un infirmier le Dr. Martin lui demande de rechercher dans le lobe de l’oreille d’un malade un B.H (bacille de Hansen ou Mycobacterium Leprae). Voyant notre expression il nous dit : « Voyons il ne faut pas avoir peur comme cela, il faudrait avoir une plaie ouverte pour attraper cette cochonnerie… ».

 

Une halte culinaire au restaurant RATUI pour déguster un poisson cru mariné au jus de citron et arrosé de lait de coco, avant d’aller découvrir le musée GAUGUIN. Mais qui est donc ce célèbre Gauguin ?

Pour y répondre une chaîne de télévision française a dépensé un million de dollars, pour raconter en sept heures la vie de ce grand peintre Français. Gauguin l’ami de Van Gogh vint s’installer en Océanie au soir de sa vie. Gauguin n’est pas le seul grand et célèbre artiste qui fut attiré par Tahiti. Pierre LOTI, Somerset MAUGHAN, Roberty STEVENSON et Alain GERBAULT artistes de la plume connurent aussi Tahiti.

 

  MOOREA

 

            En quinze minutes à peine ce petit avion d’Air Polynésie nous débarque à Moorea une petite île heureuse. Après trente kilomètres de piste, nous arrivons en bus, au village « Noa Noa » du club Méditerranée.

 

            Un climat bien tropical nous attend avec 34° à l’ombre et 85 % d’humidité vite oubliés au bord de cette mer sans ride, au sable fin et luisant, au cœur d’une ambiance folle et joyeuse ! Deux journées de vraies vacances en Polynésie !

 

            Au FARE ou bungalow en bambou Nr 255 je trouve refuge, et au Faré 229 « Marara » je trouve culture japonaise et évasion… Au bord de la plage en petit short blanc et en fine chemise, Popy 60 ans, nous souhaite l’IAORANA ou bienvenue !

 

«Mon boulot dans ce club consiste à expliquer aux touristes le caractère polynésien et à le démystifier. Leur parler de la non sensualité des Tahitiennes malgré leur tamouré et de la paresse naturelle et légendaire des hommes ! Pourquoi faut-il donc travailler en Polynésie ? La mer est riche en milliards de poissons (espadons, thon, bonite et mahi mahi). Les cocotiers aux fruits juteux et charnus et l’URU ou arbre à pain servent de riche complément alimentaire au Polynésie. Mais voilà que nous Français sommes venus apporter d’autres raisons à leur grande paresse :

1)      la bière qui en fait de grands buveurs avec le soir une … pauvre épouse !

2)      la motocyclette infernale !

3)      la guitare pour accompagner leurs chants qui n’en finissent pas ! »

 

Reste enfin la Tahitienne : « C’est vrai que les tahitiennes sont belles. A les voir

déambuler avec leurs paréos colorés, très déshabillés, elles évoquent l’amour. Mais au juste elles passent à côté, car elles sont prudes, timides et surtout gamines. Le tahitien est fait pour vivre dans et avec la nature. Mais la civilisation est venue tout bouleverser. Tiens, voici une invitation pour le club MOOREA et une seconde pour BORA BORA, il y a un avion dans deux heures à peine ! »

A ma grande surprise me voilà transformé sans l’avoir cherché et pour quelques jours, en touriste Américain nanti.    

              Rached Trimèche

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