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BORA BORA

DERNIER PARADIS TERRESTRE…

 

 

Par Rached Trimèche

 

 

 

 

Papeete. (Avril 1974). Faute de temps ce matin j’attrape mon petit avion en tenue de bain. De nouveau quinze minutes de vol pour arriver à Papeete. J’ai juste le temps d’attraper ma correspondance du vol 432 d’Air Polynésie en payant 600 Fr. CFP, et de monter en compagnie de quatre autres passagers dans un minuscule avion, qui nous mènera au dernier paradis terrestre BORA BORA !

 

            La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. De même pour une île ! Tout comme pour une femme il est d’ailleurs subjectif de dire « la plus belle »… Le monde est si grand si vaste… Je n’en connais que le bon tiers en nombre de pays onusiens et j’imagine que bien des paradis terrestres se cachent là où l’on s’y attend le moins. Que pensez vous au fait des Hauts de Montreux en Suisse, d’Acapulco au Mexique, de Bali en Indonésie, du minuscule Liechtenstein par beau temps ou du tout dernier Sausolito de San Francisco ? A vous de juger !

 

Un anneau vert turquoise d’une grande clarté entoure l’île de Raiatea Uturoa que nous survolons à basse altitude. Il ne reste plus que quinze minutes pour achever l’heure de vol et les 420 kilomètres qui séparent Papeete de Bora Bora. Vue d’avion cette île de Raïatea nous éclaire sur la géographie des îles du Pacifique : trois sortes d’îles font la fertilité ou la stérilité de ces lieux. Ici par exemple une île est cernée à prés d’un kilomètre au large par un anneau de corail presque fermé. L’ouverture ou « passe » laissée par ce second cercle ou anneau de corail permet à la mer cernée ou lagon de se rafraîchir. Ce lagon constitue toute la richesse de l’île. D’une part l’île conserve ainsi son eau douce, qui en plus de la chaleur et de l’humidité confère à l’île une grande verdure et de riches plantations ; d’autres part enfin, l’océan ne vient pas directement buter contre les plages de l’île.

 

Les îles Marquises forment la deuxième catégorie de ces îles. Aux Marquises qui ont inspiré Jacques Charrier à leur emprunter leur nom, pour sa société cinématographique, on ne trouve pas de barrière de corail, et donc point de lagon. Donc stérilité. Les Marquises sont des îles-montagnes dressées d’un seul jet.

 

La troisième catégorie d’îles m’est largement commentée par ma compagne de vol, madame J. Boutry, qui a vécu en Tunisie à l’époque où Menzel Bourguiba s’appelait Ferry Ville, et où Gisèle Halimi était sa camarade de promotion en droit.

« Aux îles TUAMOTU on rencontre un simple anneau de corail fermé et creux à l’intérieur. La mer est dans creux intérieur et tout autour de cet anneau de corail fermé. Là de riches cocoteraies peuplent ces îles insolites, les ATOLLS… ».

 

            Les Français ne pouvant prononcer correctement PORA PORA (applaudir) appelèrent cette île BORA BORA. 2 300 habitants vivent ici en dehors du temps et loin de toute pollution, dans un tout petit paradis terrestre à une heure d’avion de Tahiti !  

 

            Au bout de la piste d’atterrissage de notre petit avion, une barque à moteur nous attend pour nous conduire de cet aéroport de Bora Bora au quai de notre hôtel du club Méditerranée ! Ma cabane sur pilotis dans l’eau, ou Faré, porte le nom de « Hina ». Me voilà de nouveau transformé en riche touriste installé dans un Faré sur l’eau, baignant dans la fraîcheur… La mer est bleue, claire et transparente. J’étais là à la fenêtre de mon faré les narines au vent, les pupilles dilatées de curiosité dans ce calme impressionnant, admirant cette végétation dense parmi ces innombrables cocotiers. La chaleur tropicale et la passivité langoureuse des Polynésiens vous ôtent toute énergie et vous invitent au HAUMANI ou dolce vita

 

            Michel KO le responsable de ce club Méditerranée de Bora Bora a du sang franco asiatique dans les veines. A 26 ans il ne peut déjà plus se passer de cette précoce retraite à Bora Bora…. « Regarde ces oiseaux sur l’arbre, au bec mou dans cette île au roc dur! Ne survivent parmi eux que les oiseaux dont le bec devient très dur, pour s’adapter ainsi au milieu ambiant ! ».  

 

VIVRE EN POLYNESIE

 

            « Pour vivre en Polynésie si différente de notre occident, il faut également changer de bec et de pensée ! Regarde ces Tahitiennes, elles sont faites pour vivre avec leur paréo ou pagne, avec et dans l’eau, pour leur faré ou maison… Elles restent ainsi un peu sauvages, belles, naturelles et douces. Dés qu’elles quittent la nature tout est fichu… La Vespa et le verre de bière achèvent de dépersonnaliser le Polynésien.

Ici, on n’aime pas beaucoup travailler, on est pour le Tamaraa fête tahitienne, et pour le Tamouré véritable danse du ventre ! ».

 

            A six heures du matin Morphée me libère déjà, et me voici gambadant sur cette plage au bord de cette eau oh ! Combien cristalline ! Dans un coin de sable de gros crabes gris de dix centimètres de long creusent leur cachette. Pour les fuir il faut éviter toute terre grise. Après cette promenade et un bon café me voilà calé entre deux couples de vieux Américains (la majorité de la clientèle) dans une petite barque à fond de verre. Nous voici jouant les Commandant Cousteau en admirant à travers le fond de verre de notre barque un fantastique paysage sous-marin, avec son corail multicolore et ses innombrables et rapides poissons aux couleurs chatoyantes. Un véritable spectacle !

 

            Nous passons bientôt devant le MOTU le plus proche. Certaines personnes possèdent leur propre motu ou îlot, qui n’a souvent que 40 mètres de diamètre. Notre amiral de fortune à la barque au fond de verre ne parle que le tahitien et un peu d’anglais, qu’il a appris entre 1942 et 1945 à l’époque de l’occupation de l’île par les 7 000 soldats Américains. Nous voici enfin arrivés à la barrière de corail. Le moteur est arrêté et nous restons béats d’admiration devant ce fond marin. Ici, les algues font place au corail. Du corail de partout à satiété et surtout de couleur blanche. Un VANA oursin de 15 centimètres de long attend au fond de l’eau un avide pécheur…

 

            De retour de cette promenade en mer, après un bon déjeuner j’allais visiter l’autre extrémité de Bora Bora, qui n’a que 30 kilomètres de périmètre. Au fond d’une cocoteraie se dresse la plus envoûtante et charmante maison de l’île. Jean MASSON TAMAURI était le plus grand peintre de la Polynésie Française, le Picasso d’ici comme ils disent. Décédé l’an passé, c’est sa jeune épouse (la troisième en justes noces) Tahitienne Rosine MASSON, qui continue l’œuvre du grand artiste disparu.

 

            Avec un teint très basané, une fine taille, une silhouette élancée, une noire chevelure en cascades, de très grands yeux noirs et brillants, une allure un peu sauvage et féline, moulée dans un provoquant paréo imprimé dans son propre atelier, un chapeau de paille fleuri coquettement incliné sur le front, Rosine me reçoit en arborant un large et doux sourire à toute épreuve.

 

            Dans son atelier je ne pouvais me lasser d’admirer toutes les œuvres de son défunt mari, allant du portrait aux natures mortes. Prés de vingt différentes cartes postales vendues à Tahiti représentent Rosine Masson nue ou à moitié nue…posant pour son mari. Tahiti a choisi pour l’année 1974 un tableau représentant Rosine pour en faire le timbre postal de l’année…

 

COUCHER DE SOLEIL A  BORA BORA

 

            Dans un ciel dégagé de tout nuage, la toute ronde lune est bien haute. Cette baie ou crique semble avoir été créée pour lover la maison à double étage, en bambous et branchages des Masson.

 

            Les quatre enfants de la jeune maman de 24 ans s’amusent au bord de la plage. Le soleil couchant donne à ce petit monde une couleur et une ambiance extra-terrestre. Accroupie devant un seau d’oursins la voisine des Masson, mi-tahitienne mi-française en tout petit bikini, aidée par une noire de Fidji, nous invite à partager le fruit de sa pêche…Faut-il passer par la mort ou la résurrection pour « trouver » le paradis ? Je ne pense pas qu’il faille prendre tant de peine ! Le qualificatif paradisiaque n’est pas de trop pour qualifier ce voyage ! Je crois qu’en douze ans de longs périples à travers 59 pays, c’est cette ambiance, ce coucher de soleil, ces lumières diurnes, cette plage, ce calme, ce silence, ces présences, ce tableau naturel dans la crique des Masson à Bora Bora, qui font de cet instant LE souvenir le plus inaliénable et peut-être le plus beau de tout ce que j’ai pu voir ou avoir vécu…

 

            En ce troisième jour de séjour à Bora Bora je suis reçu par le maire de l’île Mr. Teriirere Tabatua, dans une cabane au bord de l’eau, appelée ici mairie, avec sur son toit un large drapeau tricolore bien connu.

 

            Monsieur le maire me parle avec amour de son île :

« En 1972 j’ai été élu par mes 2 300 habitants comme premier maire de Bora Bora ! Je suis en outre conseiller à l’Assemblée de Papeete, et suis enfin responsable ici de la compagnie aérienne Air Polynésie ».

« Plus de la moitié de nos habitants ont moins de quinze ans. 75 % des habitants de l’île vivent du tourisme qui vient d’arriver, et qui est pratiquement la seule ressource de l’île! La cherté de la vie est un problème. Ici en tenant compte du transport des produits de consommation, tout coûte 17 % plus cher qu’à Papeete. A Tahiti en général nos salaires sont le quart des salaires français, mais nos prix sont le double des prix à Paris… »

 

            Monsieur le Maire a bien raison ce coin de monde est très cher et même plus cher que la ville de Tokyo (nous y reviendrons). En quittant la mairie je passe devant la « cabane-banque » de Polynésie, et devant la « cabane-poste ». Toute une administration en cabanes.

 

            Histoire de voir ce fameux Bora Bora Hôtel je commande juste un petit thé au bar de cet établissement, qui passe pour être l’un des hôtels les plus chers et les plus luxueux du monde. A 120 dollars par nuit pour une simple chambre, ces nombreux Américains trouvent ici une parfaite évasion. Je pensais à cette vieille Américaine connue dans l’avion reliant San Francisco à Los Angeles qui me disait : «  One see is worth on hundred tells » en commentant un vieux proverbe chinois qui dit  « Voir une chose est cent fois plus important que d’en entendre parler ». Et je pense à l’impossibilité de vous décrire Bora Bora. Je souhaite seulement à chaque voyageur de faire un jour un crochet par Bora Bora

 

FAAA DE NOUVEAU

 

            De nouveau une heure de vol et me voici débarquant pour la troisième fois à l’aéroport FAAA de Papeete. Une drôle d’agitation règne dans ce petit aéroport. Tahiti apprend la mort du Président Pompidou de France ! Et voici ces Tahitiens parlant de leur France à eux et poussant sur un échiquier les candidatures de Mitterrand, Giscard, Faure ou Chaban…Mon séjour Polynésien touche à sa fin et les problèmes de Tahiti se décantent peu à peu dans mon esprit.

 

            L’époque du passage de Pierre Loti et de Paul Gauguin est bien loin aujourd’hui. Ils connurent eux une Polynésie belle, douce et calme. Ce calme a changé. La vie est beaucoup moins paisible, simple et facile. Aujourd’hui certains Tahitiens réclament leur indépendance territoriale. Le FRANCHI ou Français n’est plus du tout aimé. Une cause à tous ces maux : les expériences atomiques françaises aux Atolls, à 1 400 kilomètres au large de Tahiti. Les retombées radioactives et politiques ne sont pas négligeables. Tahiti, l’Australie, la nouvelle Zélande et même le Pérou rouspètent auprès des autorités françaises. 

 

            Ma petite enquête personnelle sur un sujet quasi tabou, et une interview d’un ministre Tahitien en exercice vont peut-être nous éclairer un peu sur cette situation atomique du Pacifique ! Nous y reviendrons dans un second article.

 

            Les 75 tonnes annuelles de nacre, les 20 tonnes de vanille (genre d’orchidée en liane), les 10 000 tonnes de coprah (amande de coco donnant huile et tourteaux), les perles de culture, les fruits tropicaux (mangues, avocats ou ananas) ne suffiront jamais à nourrir les Tahitiens indépendants et loin de la France. Tout le problème reste posé en entier. Certains vont jusqu’à dire, que si la Tahitienne Miss Edna TEPAVA a été élue Miss France 1974, c’est un peu pour faire oublier aux Tahitiens leurs problèmes…

 

            Qui est donc cette divinité TIKI de forme humaine, portée ici en effigie par la majorité des gens ? Cette effigie rappelle un peu le succès d’une autre effigie la FIGA du Brésil représentant un pouce entre l’index et le majeur. Notre TIKI tahitien a toute une histoire qui mériterait que l’on s’y arrête.

 

            KHO le premier dieu polynésien enfanta deux dieux TANGARA ou TAAROA et TANALE qui, à son tour enfanta l’homme ou le TIKI ! Tiki fut ainsi selon la légende le premier homme de la Polynésie. Aujourd’hui des milliers de statuettes de bois, de pierres rares ou d’or représentent ce dieu Tiki ! Quant aux scientifiques ils pensent eux que l’origine tahitienne n’est point le Tiki, mais les hommes venus de l’Asie du Sud-Est 1500 années avant J.C…Devant une histoire aussi confuse, une langue tahitienne si décousue et une politique aussi chaude, je décidai d’aller rencontrer un monsieur fort érudit en ces trois différents domaines.

 

AVEC LE MINISTRE

 

            Au Palais du Gouvernement, dans un bureau un peu trop climatisé, je suis reçu par son excellence M. Haamaa Tuaiahutapa ou Tevane pour le service, Conseiller du Gouvernement à Papeete, chargé de la population et de la Santé (ministre de la santé). En chemise blanche, très décontracté, monsieur le ministre me reçoit longuement.

Avec érudition il me confie :

« Je suis en train de créer une académie de langue tahitienne. Le tahitien parlé de nos parents et amis est un dialecte de la langue mauri du Pacifique Sud. Les missionnaires Anglais furent les premiers à retranscrire cette langue afin de rédiger la bible en tahitien, d’où un langage compliqué, biblique et peu apte à la simple correspondance.

 

            Le grec, le latin, l’anglais, le français et l’hébreu vinrent enrichir notre dialecte et le transformer. Messie donna par exemple Metia en tahitien…Je suis en train d’essayer parallèlement à mes activités politiques, de reconstruire notre patrimoine linguistique national et à édifier une langue tahitienne écrite ! ».

 

« Dans le département de la santé je dispose de 50 médecins pour toute la Polynésie. Leur nombre serait suffisant s’ils disposaient de moyens de transport rapides, pour aller d’île en île au service de leurs malades. C’est le manque d’infirmiers qui reste notre grand problème ! Nous avons peu de candidats au concours d’entrée de l’école d’infirmerie d’Etat, où nous exigeons le niveau du BEPC. On sera bientôt obligé de baisser le niveau ou « d’importer » des infirmiers ».

 

« Vous évoquez les trois grands problèmes économiques, politique et de délinquance juvénile, je vous répondrais…

 

1)- le problème économique : Nous pensons compenser le départ du CEP par le tourisme ! Car du point de vue économique la vanille, le coprah et le nacre ne sont plus rentables. Nous ne pouvons pas nous lancer dans l’élevage car l’espace vert est très réduit à Tahiti. Nos surfaces sont petites et pourtant leur fertilité est très bonne.  Nous n’avons pas d’impôts sur le revenu. Notre budget local est maintenant surtout alimenté par les droits d’entrée et de douane.

 

2)- le problème de délinquance juvénile : En effet ces jours derniers certains marins Français se sont fait « tabasser » par des jeunes Tahitiens. Ces jeunes ont derrière eux une assise politique, qui réclame l’indépendance de l’île ! Pensez à un autre fait tahitien ici l’enfant naît indépendant, dans une famille il est le roi et reste ainsi jeune homme très indépendant. Au fond je pense que ces jeunes sont contre le « franchi » ou français, sans même trop savoir pourquoi…

 

3)- le problème politique : Notre président de l’Assemblée Nationale, Mr FLOS vient de rentrer de Paris, où il a déposé une proposition de loi devant une commission de sénateurs, pour demander une Autonomie Régionale de la Polynésie Française ! Ainsi nous aurions une autogestion de nos propres affaires tahitiennes, sans devoir chaque fois passer par le Gouverneur ! Si nous devenions subitement indépendants sans grandes ressources, nous ne pourrions même pas avoir une véritable indépendance…

 

VEILLE DE DEPART POUR AUCKLAND EN NOUVELLE ZELANDE

 

Un pittoresque truck ou car taxi (camionnette avec deux bancs arrières face à face) me conduit du centre de Papeete au terrain de tennis périphérique, en compagnie d’une dizaine de passagers pour la modique somme de 30 Fr. CFP. Le Dr. Dédé Pariente m’attendait pour passer ensemble ce dernier après-midi à Tahiti, dans ce très agréable complexe sportif…

 

Le dîner touche à sa fin. La compagnie s’éparpille. Dédé propose de me raccompagner chez mon aimable logeur, le chauffeur de taxi. Au pas de la porte Dédé avait la larme à l’œil en caressant un petit objet des deux mains…

 

Bien que me sachant non fumeur mon père a tenu à glisser dans mes bagages, quelques paquets de cigarettes tunisiennes…Dédé en caressant ce paquet de cigarettes « Cristal » sentait sa douce Tunisie et revoyait son Nabeul d’enfance. Ce jeune chirurgien dentiste était venu passer deux semaines de vacances à Tahiti. Six ans après il y est encore ! Une belle clientèle à mi-temps lui laisse beaucoup de temps pour savourer une vie tahitienne langoureuse et joyeuse.

« Tu penseras à ton retour à aller dire bonjour à ma mère, à la rue de Marseille à Tunis… » PARAHI au revoir !

Rached Trimèche

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