Rached Trimèche  > Articles  >

 

 

HAITI LA BELLE

Au pays de Baby Doc

 

Par Rached Trimèche

 

 

 

Port-Au-Prince. (Août 1982). Une dernière escale aux Etats-Unis avant les Caraïbes, avec une journée à Miami Beach, dans cette ville de Floride au climat tropical, aux palmiers nombreux et aux centaines d’hôtels touristiques. Miami, cette ville de vacances où les capitaux incolores et inodores de l’Amérique du Sud et des Caraïbes trouvent refuge ! On parle d’un tel étranger qui a acheté tout un hôtel cette année, par grosses coupures de 100 dollars bien alignées dans une caisse en bois…

 

 

Ici, de partout c’est la langue castillane qui devient la seconde langue du pays. Nous sommes si proches de l’Amérique Latine ! Miami aux quatre S (Sun, Sea, Sex and Sand) pour soleil, mer, sexe et plage ! Une publicité américaine qui s’avère exacte dans cet Etat de Floride aux millions d’orangers, de Disney World et de millions de touristes en quête de climat tropical…

Deux heures et demie de vol pour atteindre Port-au-Prince, la capitale haïtienne, première escale aux Antilles, avant Porto Rico, Guadeloupe et Martinique.

En descendant les marches de la passerelle de notre Boeing, je lis sur la façade de l’aéroport, ce long texte « Aéroport International Duvalier. Bienvenue en Haïti ». Nous voilà déjà en plein pays des Duvalier.

 

ARRIVEE HAÏTIENNE

 

            Un douanier méticuleux tient à fouiller tout le contenu de ma valise rouge bordeaux. En m’aidant à la refermer, il me propose de me « trouver un taxi » pour 10 dollars la course pour aller en ville ! Je refuse gentiment. Dehors, c’est toute une file de taxis qui attend ! Un rituel marchandage et me voici embarqué dans une vieille voiture américaine pour Pétionville la banlieue résidentielle et surélevée de Port-au-Prince, la capitale…Non, je ne resterai pas dans cet hôtel Ibo Lele à quatre étoiles ! L’hôtel est certes très beau, mais je serais le second client de l’établissement et je ne tiens pas à moisir dans la solitude, n’étant ni un vieillard en quête de repos, ni un amoureux qui se cache du monde. En pleine campagne, sur une colline, je décide de changer d’hôtel. Mon taxi est parti et point d’autre taxi à l’horizon en cette fin d’après-midi ! Qu’à cela ne tienne, le prochain hôtel El Rancho de Pétionville n’est qu’à deux kilomètres au bas de cette colline.

 

            Me voici tirant à bout de bras ma valise roulante sur une route non asphaltée, heureux, libre au vent si doux, dans une luxuriante et belle nature tropicale. Tout au long de la route se dressent des « flamboyants », gros arbres aux mille fleurs rouges et flamboyantes, des fougères de 4 mètres de haut, des hibiscus au port altier, des pins divers, des papayers en fruit et des acajous  centenaires. Des lézards d’une dizaine de centimètres s’approchent de ce curieux touriste et s’éloignent en courant vers leur bosquet. Des cigales et des mini-grenouilles au son strident forment tout un orchestre à ces décors. A se croire bercé par Ravel descendant les pistes du Paradis ! Je revoyais cette descente nocturne en 1972, de la montagne péruvienne de Machu Picchu en compagnie de certains joyeux compères et joyeux globe-trotters !...

 

            Voilà ma première impression de Haïti, pays de vaudou, impression indélébile malgré toutes les découvertes que je ferai sur la dynastie tyrannique des Duvalier, de la misère noire dans ce pays des noirs, si beau et si attachant, des exodes massifs en « boat people », des tontons macoutes et de leur sinistre organisation, de l’économie ébranlée et agonisante du pays de la NON LIBERTE des Haïtiens !

 

            Malgré tout cela et par rétrospection déjà j’aime Haïti la belle et que l’on me pardonne certaines vérités ! Mon métier est de ne rien taire ou de vous donner au moins une idée concise de cette île des Caraïbes choisie dernièrement pour les vacances de la brune Ornella Muti, avant de raser sa belle et longue chevelure noire, à Trieste où elle tourne un film, ou choisie encore par la blonde et autre belle femme, Ariane Larteguy en croisière sur le « vendredi 13 »…

 

REPUBLIQUE D’HAÏTI

 

En une petite demi-heure à peine un « tap tap » me descend ce matin de Pétionville au centre de Port-au-Prince. Ce tap tap en question fort riche en couleurs rappelle les « beccaks » de Djakarta, les hautement colorés « Jeapnays » de Manille, les orgueilleux « pouse-pouse » de Saïgon ou de Hong Kong, ou enfin les milliers de petits taxis collectifs de Bali la douce ! Le tap tap est la vraie couleur de Port-au-Prince, une 404 bâchée (encore elle) ou un véhicule similaire aménagé en mini-bus de 15 voyageurs bien serrés. Des louanges à Dieu, des vœux pieux, des prières et des prénoms sont écrits ou dessinés de partout sur ces tap tap bruyants… C’est tout un autre monde riche en couleur et en mystique !

 

C’est qu’ici nous sommes au monde des Caraïbes, en Amérique Centrale, entre le Venezuela au Sud, la Floride au Nord, à l’Ouest de Cuba la rouge et à l’Est de la limitrophe République Dominicaine, en plein dans les grandes Antilles. Six fois plus petite que la Tunisie en surface, Haïti compte pourtant autant d’habitants que la Tunisie, soit prés de 6 millions de sujets.

 

En 1492, en découvrant l’île d’Haïti, Christophe Colomb l’appela l’Hispagnola et elle fut colonisée par les Espagnoles. En 1697 arrivent les Français qui scindent l’île en deux, en prenant possession de la partie occidentale Haïti et en laissant le côté Est de l’île aux Espagnoles, la République Dominicaine ! Ainsi, le nom de Haïti sera aujourd’hui aussi bien celui de la République d’Haïti que celui de toute l’île englobant ainsi la République Dominicaine !

 

Avec les Français arrivent plus de 500 000 esclaves noirs originaires du Golfe de Guinée, qui un siècle plus tard se soulevèrent sous le commandement de Louverture. Ce n’est enfin que le 1ier janvier 1804 que Jacques Dessalines proclame l’indépendance d’Haïti et prend le titre d’empereur. Puis nous retrouverons notre ami Pétion de la banlieue Pétionville (l’hôtel…) qui crée la première république noire des Caraïbes en 1821 !

 

Après un bref passage de l’occupation américaine en 1915, c’est l’arrivée au pouvoir en 1957 du célèbre dictateur noir « PAPA DOC », François Duvalier, qui se proclame bien vite président à vie, titre qui sera repris par son fils « BABY DOC », Jean-Claude Duvalier, en 1971 à l’âge de 19 ans… !

 

PORT-AU-PRINCE

 

            Imaginez Bali mais avec des Noirs, Jogjakarta et ses odeurs de marché, Manille et ses bus fumants, pétants et multicolores, Saigon avec sa foule et sa pauvreté, ou encore Kuala Lumpur sans ses mosquées et ses salons de massage… cette symbiose de villes c’est un peu Port-au-Prince, cette capitale haïtienne où se serrent côte à côte prés d’un million d’habitants de couleur foncée que les statistiques locales refusent encore de reconnaître ! Au bas de Pétionville s’étend cette large bourgade de capitale, aux vieilles maisons coloniales en dentelle de bois peint, et sans grands immeubles en acier…

 

Sur le boulevard Dessalines, proche du port, je suis obligé en marchant sur le trottoir d’enjamber tous les cinq mètres un égout aérien, un peu comme à Dubosville au Sud de Tunis, ou dans les Favellas de Rio. Point d’égouts internes, tout est évacué dans les rues. Voici déjà un premier signe de misère au cœur de la capitale de Duvalier ! A la Banque du Canada, je voulais changer mes dollars contre des Gourdes locales… sur un billet de 20gourdes, ce petit texte : « Un dollar vaut cinq gourdes ». Et oui, de façon constante un dollar vaudra 5 gourdes ! Telle est la dépendance financière d’Haïti aux USA ! Ce n’est qu’un petit exemple au pays des Duvalier…

 

En sortant de la compagnie Air France, où je confirmais mon prochain départ pour Porto Rico je m’arrête devant le blanc et énigmatique palais résidentiel. Des haies d’hibiscus rouges et de grandes fougères se dressent à l’ombre d’un gros acajou, cet arbre qui fut si prolifère qu’il meubla à l’époque les parquets du Palais de Versailles par son beau bois rouge noir !

 

En traversant l’avenue John Brown, je suis pris d’assaut par une dizaine d’enfants de 12 à 15 ans qui me lancent des « Pou toi, moi fait un bon pi !». Avec de tendres sourires, ils me tendent de véritables objets d’art.

 

Devant la cathédrale Saint Trinité aux bibliques peintures murales reflétant de nouveau tout l’art haïtien, le plus grand des Caraïbes, je retrouve un petit groupe des passagers de l’avion d’hier soir. Une jeune dame créole faisant partie du groupe se propose de nous conduire au marché de fer. C’est une large place de marché à plusieurs ramifications, un immense souk de Marrakech, un grand « Souk Enhass » de Tunis où des Haïtiennes mal et peu vêtues vous proposent gentiment leurs œuvres ou celles de leurs hommes, des lampadaires, des casseroles, des marmites et cent autres divers ustensiles métalliques. Une grande animation colorée dans une grande pauvreté. J’écoutais notre guide sans pouvoir trop me concentrer… Créole, d’un noir infidèle, au petit nez, à la large fine bouche et aux yeux…bleus ! Oui, bleus comme les yeux d’une Islandaise devant un geiser

 

Ce soir, mes amis m’accompagnent en voiture à Boutillier à prés de 400 mètres d’altitude, au-dessus de Port-au-Prince qui s’étend faiblement éclairée à nos pieds. L’odeur enivrante des frangipaniers mêlée à tant d’autres fleurs, dans un clair de pleine lune, bercé par cet éternel chant de cigales-grenouilles, je suis emporté au loin…dans un paradis. Tout est calme, très calme… et pourtant c’était la semaine dernière à peine, à deux kilomètres d’ici, sur la route qui monte à Boutillier que la chose a eu lieu…

 

L’AVION DU GENERAL

 

            Sur cette route de Boutillier, une voiture a été kidnappée avec ses passagers, par des hommes venus du ciel, dans un vieil avion qui atterrit en pleine campagne, qui laisse descendre un général et des soldats pour diffuser des messages, prendre et relâcher ensuite les passagers d’une voiture. Tout cela n’a rien d’extra-terrestre, mais ceci est une longue histoire économico-politique de la dynastie des Duvalier, qui fait d’Haïti aujourd’hui l’un des 18 pays les plus pauvres du monde, avec un PNB de 230 dollars par tête et par an, à peine le un cinquième du déjà très pauvre PNB tunisien. En Haïti (on ne dit pas à Haïti) pourtant, quelques célèbres 4 000 familles ont un revenu annuel de 50 000 dinars ! Tel est le problème. Le pays de la différence !

 

            Le Haïtien ne s’affole pas beaucoup devant cette différence. Il a son monde de vaudou, ses multiples croyances fétichistes, ancestrales ou catholiques un peu comme le Brésilien de Bahia, et son strabisme crânien qui le pousse à penser autrement…Fataliste, il acceptera sans trop de tristesse toute dictature, toute politique, toute misère, tout tonton macoute et même tout nouvel esclavage par son nouveau maître, noir cette fois. Sinon, désabusé c’est le refus obstiné qui appelle et commande l’exode vers Miami, New Yok, Montréal ou Porto Rico par milliers, par dizaines de milliers…

 

            A Boutillier toujours, un de nos amis me tend un petit papier, qu’il déplie soigneusement de son geste de professeur d’anglais au lycée de garçons de Port-au-Prince. « La brigade Hector Riohe signale sa rentrée sur la scène en vue de la libération de Haïti, des 25 années de dictature répressive des Duvalier et de leurs acolytes. Le temps n’est plus aux palabres mais à l’action… ».

 

            Voilà les fleurs moins belles, l’air moins frais et le ciel plus bas ! Ce petit papier a été lancé en centaines d’exemplaires par cet avion « venu du ciel ». C’est vrai hélas, puisque je reverrai chez d’autres amis, ce même papier ou tract dont je ne viens de reproduire que le début. Nous y reviendrons !       

 

AU PAYS DE « BABY DOC »

 

Le Grand-Mét ou grand maître responsable de la marche générale de la vie règne sur le monde vaudou, ce monde d’indigénisme haïtien et guinée de croyances et cultes animistes, qui vient du Dahomey et qui attribue une âme aux phénomènes naturels…Secondé par des IWAS, ce grand maître dirige cet univers de rites insolites ! Les morts viennent en hiérarchie juste après les Iwas, et sont également vénérés. C’est enfin dans les temples ou UMFOS que se fait l’initiation des Hugants hommes et des Mambos femmes. Dans cet univers de vaudou, l’Iwa montrera les chemins du diable et du Bon Dieu ! La vie paysanne du Haïtien se passe dans cette atmosphère magique des Iwas, Umfos et Mambos, à qui il demandera conseil à chaque nouveau pas de la vie et fera tout, selon les canons du vaudou sacré ! Voilà la trame de ce peuple haïtien si bon enfant, de ses maîtres actuels si tyranniques…Tout est un peu vaudou… on accepte les faits ou on quitte le pays en tragiques « boats people » vers l’exode fuyant « Baby Doc »…

 

ESCAPADE A IBO LELE BEACH

 

            Un « tap tap » en forme de mini-bus cette fois, attend toujours à la place Dessalines que le soleil de midi soit encore plus fort… il fait 40 degrés au moins dans ce bus et le chauffeur du tap tap émérite attend encore l’éventuel passager qui voudra bien se serrer entre cinq personnes sur une banquette de bois de quatre passagers ! « GATI GATI GATI !» lance ce jeune vendeur de gâteaux. En créole un autre garçon invite les passagers du tap tap au soleil…à leur vendre une glace par la fenêtre du bus ! Imaginez un bloc de glace recouvert d’un bout de sac en jute, lavé il y a un an ou deux, reposant dans un réceptacle de chariot à deux roues. Le vendeur, armé d’un racloir métallique incurvé, racle cette glace qui s’amasse en miettes fines dans ce même racloir. Un cornet en plastique tout neuf vient recevoir cette glace râpée. Une série de 20 vieilles bouteilles de whisky ou de soda au bouchon crasseux renfermant un jus de quelque fruit donneront le parfum adéquat à cette glace maison par une dose de bouchon…Et les passagers achètent. Et le tap tap attend !

 

            Entre la fenêtre et une grosse dame noire qui me lance des « Veuillez bien m’excuser cher monsieur » (c’est que l’on parle toujours et encore le français en Haïti et même un français châtié chez certains ! Le créole, cette langue d’un mélange africain français, espagnol et anglais, est la langue populaire) en m’écrasant un peu plus. Nous roulons enfin vers Ibo Lele Beach, à une heure de route de Port-au-Prince.

 

REGIME HAÏTIEN

 

            A l’arrêt du tap tap, il me reste encore 3 kilomètres de piste à franchir à pied, une bananeraie pour arriver à la mer. Là, c’est un combat de coqs qui attire les désoeuvrés des centaines de « cabanes-huttes » voisines. Ici, c’est un ruisseau où se baigne cet enfant nu, où boit cette chèvre blanche tout comme le paysan. Plus loin, c’est une ribambelle d’enfants qui s’approchent à mon passage avec pour tout vêtement un lambeau de tissu crasseux et un regard souriant…C’est dans cette bananeraie que m’apparaît encore plus significative la misère d’Haïti !

 

            60 % de la population ont un revenu annuel de 35 dinars. Un taux d’analphabétisme de prés de 80 % ne vient pas au secours d’une économie agonisante. La canne à sucre, le café, les bananes et le coton ne peuvent nourrir 6 millions d’Haïtiens exploités par la famille Duvalier !

 

« Baby Doc », Jean-Claude Duvalier, succédant à son père en 1971 se décide lui à jeter un peu de lest à son peuple. Il commence par créer une petite industrie, qui se résume à une centaine de petites manufactures de sous-traitance qui fait d’Haïti le premier producteur mondial de soutiens-gorge et le second de balles de base-ball ! La matière première est entièrement importée et le produit fabriqué est entièrement exporté. Cette industrie de sous-traitance représente 85 % des emplois industriels du pays, en payant l’ouvrier à 0.5 dinar (0.7 $) la journée de travail ! Cette industrie sert bien plus l’étranger que l’autochtone.

 

            L’Haïtien affamé qui reste au pays et qui ne trouve pas l’emploi sur ces terres, se tourne vers le voisin de l’Est, la République Dominicaine, qui partage avec lui la même île. Entre les dictateurs Duvalier et Trujillo suivis par Guzman, un tacite contrat est conclu depuis longtemps : Pour la « Zafra » ou la coupe de la canne à sucre, des contingents de milliers de « braceros » ou travailleurs au noir sont envoyés par Haïti à Saint-Domingue, contre rémunération à Duvalier. Le dernier contingent de braceros ou la traite de ces nouveaux esclaves rapporta l’an passé plus de 3 millions de dollars pour 15 000 travailleurs, m’affirma un jeune économiste universitaire un soir dans une villa de rêve à Port-au-Prince…

 

            Ces 3 millions de dollars vont aux Duvalier bien sûr ! A la République Dominicaine, les Haïtiens « loués » sont parqués et bien utilisés, un peu comme les 350 000 autres qui vivent déjà ici. L’économie dominicaine repose à 50 % sur le sucre et le pauvre voisin haïtien est là pour réduire les frais de récolte de zafra, par des contrats entre gouvernements en 1982 encore…A Port-au-Prince, c’est la loi du silence qui prévaut !

 

LES TONTONS MACOUTES

 

            Au bord de la mer, une petite barque à moteur attend les passagers. En dix minutes, nous arrivons à l’îlot Ibo Lele. Non, ce n’est pas Bora Bora au récif de corail et au lagon cristallin ! C’est une petite plage étroite de sable gros, au bord d’une eau claire et limpide. Des cabanes sont toutes fermées faute de touristes. Devant l’une de ces cabanes, l’eau est si cristalline et bleue que je m’apprête à plonger…au fond de l’eau limpide…des méduses visqueuses et petites aux longs filaments, accrochées au sable attendent l’intrépide plongeur ! Un petit bruit à mes côtés me fait retourner : c’est une file de gros crabes gris de 10 centimètres de long qui veulent être seuls sur cette plage éloignée du centre touristique de l’île et de la majorité des baigneurs.

 

            Des manguiers, des bananiers, des avocatiers, des palmiers et des papayers sont une décoration de rêve pour cette île rêvée, où le temps semble avoir arrêté sa marche, comme à 200 kilomètres plus loin, au paradisiaque Cap Haïtien et sa célèbre citadelle du roi Christophe…Et je repense aux Duvalier !

 

            Comment fait « Baby Doc » pour maintenir 6 millions d’Haïtiens sous sa coupe dans une cruelle misère ? Il fallait créer un corps de répression, l’ordre des tontons macoutes ! Ils doivent tout faire pour maintenir Duvalier au pouvoir !

 

            Ainsi, prés de 35 000 tontons macoutes sont lâchés dans le pays pour créer la terreur et imposer le duvaliérisme ! Le tonton macoute non rémunéré (sauf les chefs) se fera payer là où il est, en exigeant ce qu’il veut du citoyen contrevenant, taxé de rébellion. A tonton macoute de juger ce qu’est une rébellion et de jauger la dîme que devra payer ce pauvre diable, une partie du bénéfice de son commerce, des gains à la « boulette » ou loterie nationale, ou même payer tout simplement de sa vie. Un soir, chez des amis, dans un jardin édénique, la maîtresse de maison me parlait des « erreurs » des tontons macoutes qui viennent tuer tous les habitants d’une maison et même le chien, pour s’apercevoir le lendemain que c’était les habitants de l’autre maison qu’il fallait liquider !

 

            Personne ne peut crier ni porter secours…c’est la loi du pays. La peur !

            Quel choix a donc le Haïtien dans cette galère infernale, bien qu’un peu plus humaine depuis deux ans, où la faim le ronge et où le duvaliérisme le persécute ?

 

            Accepter les choses et dire « M-pa de politic » je ne fais pas de politique et accepter ainsi le régime sans le contester. Le Haïtien fonctionnaire ou petit homme d’affaires – sans parler des 4 000 familles – vit assez bien dans ce beau pays tropical. Mais les autres ? Ils n’ont plus qu’une issue, la mer, le large !

 

            C’est ainsi que plus d’un million d’Haïtiens quittent le pays pour Porto Rico la voisine, pour les camps d’internements de Miami, pour la République Dominicaine et la zafra, ou pour Montréal où l’on parle aussi français et où plus de 1 000 Haïtiens font le chauffeur de taxi (voir article n° 1) au canada. C’est l’exode, mais pas l’exile doré !

 

LE DUVALIERISME

 

Ce matin au marché de Port-au-Prince, je suis pris dans un embouteillage de taps taps. Nous devons traverser toute une rue bordée de centaines d’étalages de fruits, d’épices fraîches et de nourritures diverses. « Madepe madepe », mangez du pain, crie ce vendeur en tenant un crasseux panier d’osier jaune. « Pépiu pépiu » lance cette jeune fille en vendant des tranches de bananes cuites. Cette ambiance de marché aux milles vendeurs me conduit à Bali aux mille odeurs ou au marché péruvien de Cuzco avec sa saleté et son extrême pauvreté ! Le tap tap ne quitte toujours pas cette rue et mon écoeurement est grand ! Pourquoi toute cette misère au pays où Duvalier seul possède une fortune de 100 millions de dollars dans les banques américaines, qui de toute façon ont la mainmise sur Haïti ?

 

            Je remonte à Pétionville pour faire bientôt mes valises. Sur notre chemin, je vois cette inscription sur l’école H.E.C. « reconnue d’utilité publique ». Plus loin un jardin Duvalier, un complexe commercial Duvalier, une école Duvalier…tout cela dans la même rue !

 

            Aujourd’hui, Haïti un des derniers bastions de la dictature et de l’extrême pauvreté vit guidé par le F.M.I., les U.S.A., l’alliance politique des deux familles Duvalier et Guzman, le voisin dominicain et par une mainmise sur son commerce par des familles arabes, Mourra, Makhlouf, Stambouli, Cassis ou Hakime qui règnent sur la République Dominicaine avec des ramifications et des mariages en Haïti…

 

            Aujourd’hui, l’ouvrier non syndicalisé est surexploité, le secteur industriel est des plus squelettiques, les bonnes terres arables diminuent avec des projets insensés, comme ces deux barrages hydro-électriques de l’Arbonite qui priveront le Pays d’une très bonne terre, l’appareil administratif est désuet et l’exode pour fuir le phénomène « Zombie » qui fait travailler gratuitement les gens en esclaves, devient sauvage ! Voilà un bien triste tableau de l’état de cet Etat !

 

ADIEU HAITI

 

            Ce soir, mon dernier soir, je suis dans un élégant restaurant de Pétionville en compagnie d’amis Français natifs d’Haïti et d’une vraie Haïtienne, Carolle, qui après des études littéraires à Heidelberg et Paris, travaille maintenant sur un projet (ici on ne parle que de projets) de fièvre porcine africaine à Port-au-Prince. Carole, en fin gourmet, nous recommande un menu aux fruits de mer.

 

            Un rhum au citron, le meilleur des Antilles disent les Haïtiens, comme le diront plus tard les Martiniquais ou les Guadeloupéens pour le leur, en apéritif, me fait déjà tourner la tête ! Le poisson blanc est délicieux, le crabe farci est superbe et les ananas et mangues du dessert sont un délice. A voir les clients de ce restaurant manger sur une terrasse à la lueur d’une chandelle, à voir ces serviteurs courtois et zélés, on croit avoir rêvé de tonton macoute et de duvaliérisme…

 

            Un grand flamboyant aux si belles et nombreuses fleurs rouges au port altier d’un saule pleureur est là pour nous inviter à revenir au paradis haïtien, au paradis touristique (le tourisme démarre timidement), au paradis floral, au paradis de la gentillesse de ce peuple affable, souriant et amical qui m’a reçu dans différentes maisons d’amis avec grande chaleur et hospitalité !

 

            Haïti que deviendras-tu dans 10 ans ? Où seront tes enfants ? « Baby Doc » tiendra-t-il le coup ? Un vent de liberté soufflera-t-il sur cette première république noire du nouveau monde, sur la perle des Antilles, aux belles plages, belles femmes, belles fleurs et aux suaves fruits ? Je l’espère ! Adieu Haïti !

 

Rached Trimèche

www.cigv.com